Ah te voilà, je commençais à croire que tu m’avais posé un lapin. Comment ça ?, mais non, ça ne me dérange pas que ton beau-frère vienne écouter la suite , à condition bien sûr qu’il paye les consos, hé hé !! Pour une fois qu’on peu faire casquer un parisien, comment ? Il est lyonnais ? , pas grave c’est pareil. En tout cas, s’il veut suivre mon récit, il va devoir revenir en arrière et lire la première partie de l’histoire du « Trou du Taureau ».
A propos de taureau, il faut que je lui explique quelques petits trucs sur les abrivados à ton beauf, parce que ça a une certaine importance dans ce qui va suivre, je ne veux pas être passéiste, mais il est quand même nécessaire que je te rappelle, qu’avant, nous ne disposions pas de « barrières beaucairoises » sensées préserver les spectateurs pendant les manifestations taurines, je dis sensées, parce que ma Dame Zette s’est retrouvée à l’hôpital alors qu’elle croyait être sagement à l’abri derrière l’une d’elle, mais c’est une autre histoire que je te raconterai une autre fois.
(Barrières beaucairoises)
Pour sécuriser les parcours, on bloquait les rues adjacentes avec des camions de la mairie, des remorques, des barricades faites de palettes, et il n’y avait aucun abri aménagé. Quand les taureaux étaient lâchés, il fallait grimper aux arbres, aux fenêtres ou sur les voitures, si quelque malheureux avait oublié d’enlever la sienne.
(Le Boulevard Gambetta)
Quand aux « attrapaïres », tous les coups leur étaient permis , y compris de faire entrer le taureau qu’ils avaient capturé dans les bistrots ou dans les couloirs des maisons d’habitations. Bon, quand c’était dans le café qui abritait le siège du club taurin, ça pouvait être rigolo, maintenant, pour ceux qui logeaient au rez de chaussé et qui retrouvaient un « biou » dans leur salle à manger, ça l’était déjà moins, Mais le comble de la connerie (si ça peut exister) pour certain énergumènes c’était de faire sortir le taureau du circuit de l’abrivado et de le lâcher en pleine ville , là où passants et touristes se promenaient tranquillement, à mille lieux d’imaginer qu’ils allaient se retrouver face à un taureau de Camargue en totale liberté.
(Entrée du passage marchand coté Bd Gambetta)
Attend, j’ai soif, demande à ton beauf de remettre une tournée, je commence à avoir le gosier comme du parchemin. Où j’en étais déjà ? Ah oui, ça y est le décor est planté, donc, cette année là, pour la fête votive, il avait une abrivado d’organisée sur le boulevard, ici même devant nous, et ce soir là, quelques abrutis bien empastisés, ne trouvèrent rien de mieux que d’ouvrir la barricade en palette qui fermait le passage marchand qui se trouve juste en face et d’y relâcher le taureau qu’ils venaient d’attraper.
A l’autre extrémité de la ruelle venait de s’engager une jeune femme, que je nommerai Camille (où Dominique, c’est au choix). Elle flânait sereinement quand soudain elle vit débouler la bête face à elle. Prise de panique, elle se mit à courir, elle aperçu les rambardes de protection de la terrasse en sous sol du Bar Glacier, sans hésiter elle sauta par-dessus, suivi par le taureau avec qui elle se retrouva trois mètres plus bas.
(Le passage avec, marqué en rouge, l’emplacement du trou du taureau)
Dans leur chute ont-ils arraché les câbles de l’éclairage provisoire du passage ? Toujours utile qu’à cet instant même la ruelle fut plongée dans l’obscurité la plus complète.
Tu imagines la panique !!, seule certitude, Camille était toujours en vie, Elle hurlait de toutes ses forces, elle hurlait de douleur, elle hurlait de terreur, le « biou » à quelques centimètres d’elle, Les premiers témoins ne disposant pas de lampes électriques essayèrent d’éclairer la scène à la lueur des briquets, en vain. Enfin quelqu’un amena une torche, au fond du trou Camille gisait dans une marre de sang, incapable de se déplacer, les deux bras et les deux jambes brisés, quand au taureau il était couché à coté d’elle, inerte. Un sauveteur réussi à descendre, et première bonne nouvelle, le taureau n’était plus un problème, il était mort le cou brisé par sa chute et vidé de son sang par une hémorragie.
(Sortie du passage coté Place aux Herbes)
Les pompiers durent se faire ouvrir l’établissement en chantier pour pouvoir évacuer Camille, pendant plusieurs semaines elle fut totalement immobilisée sur un lit d’hôpital, complètement dépendante, incapable d’effectuer le moindre geste de la vie quotidienne et de se suffire à elle-même, Il lui fallut plusieurs mois de convalescence et de rééducation avant de reprendre son travail.
Pendant ce temps là, les uzétiens qui empruntaient le passage marchand ne pouvaient s’empêcher de jeter un œil dans ce qui était devenu « Le trou du Taureau » au fond duquel une tache de sang brunâtre subsistât fort longtemps. La Direction du bar glacier renonçât à son idée de terrasse en sous sol et de grands baies vitrées opaques remplacèrent la rambarde.
Quand à Camille, ce fut l’assurance du comité des fêtes qui régla l’addition, elle toucha des indemnités de dommages et intérêts qui lui permirent d’acheter un petit appartement à Uzès.
Sûr qu’elle aurait préféré gagner au Loto.