J’ai débuté ma scolarité secondaire en Picardie, à cette époque, j’étais « en pension » chez mes grands parents paternels. Mon père et ma mère traversaient « une mauvaise passe », ils avaient voulu se rapprocher du pays de Nice, qu’ils avaient quittés alors que j’avais à peine quatre mois. De déménagement en déménagement ils avaient échoués à Saint Alban sur Limagnole, près de Saint CHELY d’APCHER en plein Gévaudan, nous étions bien loin de mon cher Mercantour et de la vallée du Var, mais pour eux, c’était déjà le midi.
Quand à moi, je faisais les frais de tous ces changements et je me retrouvais bien loin de mes parents, à une époque où voyager n’était pas aussi simple d’aujourd’hui. J’étais resté déjà un an sans les voir, et je m’apprêtais à « rempiler ». Nous étions en 1960 et je venais d’être admis en « sixième ».
Quinze jours après la rentrée, ma grand-mère tombait dans le coma, elle devait décéder le 12 Novembre.
Mon grand père ne pouvant faire face à la situation, je fut interne dès les premiers jours de la maladie de ma grand-mère.
A la fin du trimestre, ma tante vint me chercher au lycée pour me conduire à PARIS.
Il faisait nuit, je jetais un long coup d’œil à la façade du lycée, me disant que c’était la dernière fois que je la voyais, en passant je remplissais de la même façon ma mémoire d’images de la maison de mes grands parents désormais définitivement vide.
Le lendemain je pris, seul, le train pour Saint CHELY d’APCHER. J’étais désormais inscrit, comme interne au lycée d’état de Saint FLOUR (dans le Cantal) qui était un tout petit établissement, comme d’ailleurs la plupart des écoles et collèges publics de la région. L’enseignement catholique, dite « école libre » écrasait de toute sa puissance le système éducatif.
Face au lycée se trouvait le « petit séminaire », le terme « petit » était mal approprié, uniquement destiné à le différencier du « grand » séminaire qui était le centre de formation des futurs prêtres. Il s’agissait en fait d’un lycée privé, catholique, bien entendu dont la capacité d’accueil était deux ou trois fois celle de notre établissement, parent pauvre de l’éducation nationale.
J’ai été frappé, c’est le cas de le dire, par la violence xénophobe des autres élèves. Moi le Niçois, j’étais devenu « le Parisien », peu importe que je ne connaisse pas du tout Paris, j’arrivais de « la haut » c’était une faute impardonnable qui exigeait une punition exemplaire. Ainsi, pendant les promenades que nous effectuions les mercredis et les W-End que nous passions au lycée, j’avais régulièrement droit à « la mise à l’air », petit jeu qui consistait, sous l’œil hilare des pions, à me saisir à plusieurs, (car ce qui distingue les imbéciles, c’est d’abord leur lâcheté), à me baisser pantalon et slip et à me traîner dans la neige. J’ai ainsi eu de nombreuses fois l’occasion de dévaler à moitié à poil les pentes du château d’eau de Saint FLOUR. Inutile de me plaindre à qui que ce soit, au mieux je risquais de me heurter à l’indifférence des surveillants d’internat, au pire, c’était le prétexte pour recommencer. Il était aussi de bon ton de me coincer dans la cour pour me taper dessus, dès que j’offrais une résistance, le tortionnaire de service bénéficiait d’un prompt renfort. Je passe bien entendu sur les répétitifs « Parisien, tête de chien, Parigot, tête de veau ». Dix fois par jour pendant trois ans, ça saoule.
Il me fallut un certain temps pour comprendre que la meilleure solution était de rendre les coups, de toute façon, ça ne pouvait pas être pire. On pourrait croire que c’est une lapalissade, mais les lâches ne sont pas courageux, l’important avec eux n’est pas le nombre de coups que tu reçois mais celui que tu peux leur donner, qu’importe qu’ils soient plus grand, plus fort, plus costaud, lorsqu’ils ont compris qu’ils risquent de prendre un « bon pain », ils réfléchissent à deux fois avant de t ‘agresser.
C’est une leçon de vie je découvris petit à petit que ce qui est valable dans une cour de récréation l’est aussi au boulot, avec tes voisins ou en politique. Il faut faire comprendre à celui qui t’agresse, même s’il est plus fort, que tu ne crains pas l’affrontement et qu’il y laissera aussi quelques plumes, s’il veut se frotter à toi.
J'y ai aussi compris ce qu'était le racisme, cette ignominie qui permet à des individus, sous prétexte que l’autre est différent et minoritaire d’user de violences envers lui. La Bête du GÉVAUDAN n’est pas morte, elle vit encore dans l’âme de certains.