Au Soir du 11 Novembre 1918 -2008

 
La nuit va tomber, et je ne peux m’empêcher de me projeter dans le passé, il y a quatre-vingt dix ans aujourd’hui, à cette même heure des milliers hommes allaient encore coucher dans la boue et le froid, mais pour la première fois depuis plus de quatre ans, ils n’auraient plus peur du lendemain, de cette aube meurtrière, ou la baïonnette avait depuis longtemps remplacé la fleur au bout du fusil, cet instant maudit où l’on sortait des tranchées en pensant à….et puis pas le temps de penser, pas le temps de comprendre, juste celui de mourir.
Mon grand père m’a souvent raconté cette dernière journée, loin des récits romanesques et dramatiques que nous avons pu lire, entre autre sous la plume de Giono, il y a bien eu quelques fanatiques de part et d’autre qui ont essayé de prolongé le combat jusqu’à la dernière minute, officiers français voulant terminer par une dernière victoire, officiers allemands voulant livrer un dernier baroud d’honneur, mais dans l’ensemble dès que la nouvelle a été connue, on a essayé de préserver les vies des combattants, pourtant ce jour là, près de 300 d’entre eux n’entendrons pas sonner le clairon , à la onzième heure du onzième jour, du onzième mois.
J’ai longtemps cherché à retranscrire ce que mon grand –père m’avait relaté, je n’arrivai pas à trouver le bon angle, mais ce matin, en lisant dans le midi libre le récit d’un soldat qui sonna le cessez le feu, j’ai retrouvé cette atmosphère que « Pépé » Maurice m’avait décrite. Blessé sur la Somme, il avait refusé d’être réformé, il avait donc été reversé dans l’artillerie, où, en tant que sous officier, il était responsable du transport d’une dizaine de canons et de leurs servants, lui-même conduisait un des camions affectés à cette tache, car il appartenait au tout premier régiment d’artillerie entièrement motorisé. Dans la nuit du 10 au 11, il avait fait mouvement vers la ligne de front en prévision d’une grande offensive devant avoir lieu le 12. C’était un moment particulièrement délicat, l’armée française savait les allemands au bout du rouleau, et espérait faire une percée de grande envergure permettant de contrôler toute la rive gauche de la Meuse, et même, « fol espoir », atteindre le Rhin avant Noël. Plus les canons français seraient près de la ligne de front, plus ils pourraient couvrir en profondeur l’avance des fantassins et des chars. A 7 heures du matin, Maurice progressait en tête de la colonne, guidé par un soldat du génie, il allait s’engager dans un chemin ouvert spécialement pour eux, parallèlement aux tranchées distantes de moins d’un kilomètre, quand une « estafette » lui transmit l’ordre de s’arrêter, sans autre explication. La première réaction de Maurice et des artilleurs qui étaient avec lui fut de râler, il ne leur restait plus qu’une heure d’obscurité pour atteindre les emplacements qui leur avaient été aménagé par le génie. Dès le lever du jour, ils seraient à découvert. Peu de temps après une deuxième « estafette » vint le voir et lui transmit une consigne adressée à « toutes les unités militaires se trouvant en première ligne ». « Toutes les unités en cours de déploiement devaient cesser leur progression, et se mettre à couvert, toutes les patrouilles devaient être rappelées, aucune initiative pouvant amener une riposte de l’ennemi ne devait être prise. Les soldats du génie devaient cesser les travaux de préparation de l’attaque et se replier vers l’arrière, l’offensive du 12 était annulée ». Dès la lecture de ce message, un jeune artilleur demanda si la guerre était finie, l’estafette n’en savait pas plus mais reconnaissait que c’est la première fois qu’une telle consigne était donnée. Ce qui étonna mon grand-père c’est que l’offensive n’était pas reportée mais annulée. Très vite la rumeur d’un cessez le feu commença à circuler, d’autant qu’un impressionnant silence se fit, comme le décrit l’article du Midi- Libre, le canon cessa de tonner, plus un seul tir de mitrailleuse ou de fusil dans le lointain, « Même les boches ne tirent plus ! » .
Vers 9 heures mon grand père aperçu une section du génie qui se repliait, les hommes étaient joyeux, il interpella l’adjudant qui les commandait, « Qu’est-ce qui se passe ? » « C’est fini, la guerre est finie, on sonne le cessez le feu à onze heures ». Mon grand père m’avoua qu’il avait faillit s’évanouir, ses jambes ne le tenaient plus, et il avait du s’asseoir sur le marche pied de son camion, sa première pensée avait été pour Jean son frère, tué quatre mois plus tôt, «  à quatre mois près….. »
Le clairon, il l’avait entendu que de très loin, il se souvenait cependant de la clameur qui avait suivi, de ces dizaines d’hommes qui avaient surgi de la terre. Il avait même vu au loin un groupe de soldats allemands qui allaient au devant des poilus français. A midi, ordre fut donné de se replier quinze kilomètres plus loin, partout sur le parcours c’était la même liesse, il y a avait même des civils, probablement des paysans du cru, qui se dirigeaient vers la ligne de front en chantant et en offrant des bouteilles de vin aux soldats.
Le soir du 11 Novembre 1918, Maurice qui avait conduit toute la nuit précédente, s’endormit dans une salle de classe d’une école des Ardennes. « C’était la Der des Der », jamais plus l’homme ne devrait connaître de nouveau une telle horreur.
27 ans plus tard, au soir du 8 mai 1945, il assistera en tant qu’officier de l’armée française, issu de la résistance, à la reddition des troupes allemandes de la poche de Saint Nazaire.



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