Ces souvenirs dédiés à mes petits enfants et à leur descendance n’ont aucune prétention littéraire, j e sais très bien, hélas, que je n’en ai pas les moyens. Qu’importe !
J’ai voulu simplement les renseigner sur beaucoup d’événements dont j’ai été le témoin oculaire et impartial. Ceux qui m’auront connu savent que je n’aime pas mentir et que je vais donner ma parole d’honneur que ce que j’ai écrit est réellement arrivé. Aucune exagération, simplement la vérité, sans aucune imagination.
Mes enfants ne sont pas exclus comme on pourrait le croire à la première ligne mais, pour une part ils ont été les témoins de ce que je me suis efforcé de raconter.
J’ai voulu, également, vous faire connaître mes origines.
Je n’ai connu qu’une grand-mère et sa sœur pour lesquelles je conserve une très grande admiration.
MES ASCENDANTS PATERNELS.
Je n’ai pas connu mes grands-parents, décédés le 6 et le 9 Février 1885, victimes tous deux du rude climat de 1’AUVERGNE et de conditions de vie misérables en comparaison avec celles que nous connaissons.
Mes grands-parents étaient originaires de BOURG-LASTIC à 15 km du MONT-DORE. Mon grand-père était scieur de long, mais faute de travail dans cette profession, il s’est adapté suivant les circonstances : journalier, il fut tour à tour meunier, ou bien, quand la ligne de chemin de fer “PARIS-NIMES” fut construite, il travailla avec mon oncle François, son fils cadet.
Ma grand-mère se louait comme serveuse, le plus souvent dans les hôtels de LA BOURBOULE et du MONT-DORE pendant la saison thermale.
Ils sont inhumés dans le cimetière de BOURG-LASTIC.
MES ASCENDANTS MATERNELS.
Mon grand-père : Pierre, Alexis OUDET était né à VOUCQ (08) le 10 Janvier 1810 ; Il était greffier audiencier auprès du tribunal de VERDUN (56). Il se maria le 28 Septembre 1859 [1] à Jeanne, Hyacinthe, Elizabeth PIERRET née en 1815.
Ils eurent deux filles :
P Elisa, Émilie OUDET, née le 31 Mars 1835 à VOUZIERS, (décédée le 26 Juin 1926 à CUNLNAT)
P Angélique, Félicie OUDET, née le 10 Mai 1837 à VOUZIERS (décédée le 10 Août 1928 à CULNAT.)
Ma grand-mère Félicie, plus connue sous ce prénom alors que celui d’Angélique lui allait très bien (car je garde d’elle un magnifique souvenir)-Grande, très belle femme, douce, très distinguée ayant une instruction correspondante à celle du Brevet Élémentaire (pour le moins), elle fut demandée en mariage par Charles BUISNEAU, né à LA FLECHE le 23 Décembre 1821. (Son père Joseph Marie BUISNEAU était maître serrurier à LA FLECHE, marié à Marie DUCHATEL ; tous deux décédés respectivement le 11 Octobre 1853 et le 10 Décembre 1857 à LA FLECHE-72)
Mon grand-père, Charles BUISNEAU, avait perdu sa femme, et il lui restait un fils de son premier mariage ; Quand il demanda ma grand-mère Félicie en mariage, mon grand-père était en garnison à ALGER, et était affecté à la brigade topographique du Génie, comme chef de bureau des dessinateurs qui avaient pour mission de dresser les plans de fortifications de la côte.
Charles et Félicie se marièrent le 28 Septembre 1859 à Verdun, Mon grand-père retourna en ALGERIE, emmenant sa femme. Je me souviens vaguement des merveilleux récits que me fit ma grand-mère en découvrant ce monde ensoleillé et nouveau pour elle.
En cherchant bien dans les papiers, vous trouverez des lettres qui relataient cela et qui la tenaient au courant des démarches effectuées pour revenir en FRANCE.
En effet, après la naissance de ma mère (Louise) le 11Mars 1863 à ALGER, ma grand-mère était retournée dans sa famille avec sa fille (Louise) et son fils adoptif, en attendant la nomination de mon grand-père, nomination qui eu lieu le 14 Mars 1864 au PRYTANEE IMPERIAL de LA FLECHE, Hélas, étant allé chez son frère à SAINT NAZAIRE, i1 mourut subitement le 19 Avril 1865, d’après Lucette, il se serait noyé dans la baie de SAINT NAZAIRE.
Après avoir travaillé quelque temps à SAINT NAZAIRE, ma grand-mère retourna à PARIS, et entra dans un magasin de nouveautés, faisant le coin de l’Avenue de CLICHY et de la rue LEGENDRE “Au Grand Marché”, elle y resta 35 ans comme caissière, son patron, Monsieur TOUCHARD, qui fit obtenir la médaille du travail. On lui remit, dans le grand amphithéâtre de LA SORBONNE, la médaille en argent offerte par la société d’encouragement au bien (c’est Janine qui conserve cette médaille en raison de sa bonté bien reconnue). Ma grand-mère a élevé ses deux enfants et avait pris la charge de sa sœur Émilie (qui était presque aveugle). Je crois même que pendant un certain temps ses parents furent aussi, en partie à sa charge. Ils se trouvèrent à PARIS pendant le siège, et en souffrirent terriblement.
En 19O7, mes parents, Louise et Antoine RENOUX, prirent avec eux, à VINCENNES, les deux soeurs, elles suivirent notre destinée en 1910 à EYMOUTIERS (86), puis à BOURG-LASTIC (63), à CHAMALIERES et à CUNLHAT (63), où elles reposent avec mes parents.
MES PARENTS.
A l’école, mon père s’était fait remarquer par son assiduité et son attention. Sur intervention du curé de BOURG-LASTIC, mon père Antoine fut envoyé au collège de TAUVES (63), puis au séminaire de LAVAL (53). N’avait-il pas la foi ? , je ne sais, car il ne nous a jamais parlé de cette période de sa vie. Il quitte ce collège et vint travailler à PARIS, dans le magasin où ma grand-mère Félicie était caissière. Pour l’époque il avait une excellente instruction et une présentation impeccable. Ma mère y était également vendeuse aussi l’amour fit le reste. Ils se marièrent le 3 Octobre 1885 à PARIS (l7eme). Mon père avait 27 ans, ma mère 22 ans. Le 9 Octobre 1886 naissait mon frère Félix, puis 10 mois plus tard mon frère Émile arrivait. Mon frère Jean le 20 Janvier 1889 et moi-même le 26 Octobre 1897 (après une fausse couche qui aurait été également un garçon). Aussi quand j’étais sur le point de venir au monde, mes parents, prenant leurs désirs pour une réalité s’attendaient à voir arriver une fille qui aurait été prénommée Madeleine
Parait-il, j’étais très vigoureux et ma mère m’a souvent raconté la frayeur de la sage femme qui venant de me poser sur le lit et s’étant mise à s’occuper de ma mère, s’aperçut tout à coup que j’étais déjà rendu au pied du lit. Mon père était tellement fier de raconter cela à ses collègues du “BON MARCHE” qu’ils me surnommèrent “le colosse” qui me resta très longtemps.
(A 76 ans ½ quand je vous raconte cela (en 1973), je m’amuse car tout perclus que je suis, je me rends compte du long chemin parcouru).
MES PLUS ANCIENS SOUVENIRS
Je me revois, encore en robe, comme il était d’usage (ou de mode) à cette époque, avec des grandes boucles blondes ( !) très contrarié et pleurnichant parce que le coiffeur était venu à la maison pour me transformer en “garçon” ; je devais tout juste avoir trois ans, à la même époque, dans le jardin de 1000 m2environ que mes parents avaient loué (bd National), il y avait outre des légumes du potager, de la vigne et des cerises. Un jour que mon père procédait à un échenillage, et faisait brûler des branches chargées de toiles grisâtres contenant ces bestioles, je ne fis rien de mieux que d’empoigner une branche en flammes et de gesticuler avec. Mon frère Félix, qui devait avoir 14 ou 15 ans, aidait mon père et fut brûlé légèrement par mes gamineries. J’ai probablement reçu une fessée (ou toute autre taloche) bien méritée, mais je n’ai pas souvenance...
Puis ce fût, un peu plus tard, mon premier voyage à l’occasion des vacances de mon père, pour aller à VOUZIERS (08), pays de ma grand-mère Félicie et de sa sœur. Nous avions été reçus par une grand-tante et j’avais été chouchouté par elle et surtout par sa fille. Ma grand-mère était très heureuse de revoir son pays natal et ses amis d’enfance.
Mon père avait été entraîné à une partie de pêche dans l’AISNE par le cousin. Ils revinrent tous deux à la maison avec un barbot de 85cm de long. Ce fût un événement dans le pays, aussi, un ami du cousin, correspondant du journal local, avait rédigé un article avec une photo du poisson et des deux pêcheurs. Beaucoup plus tard, nous apprîmes la vérité de la bouche de mon père. C’était un brave pêcheur du coin, qui ne sachant que faire d’une si belle pièce, était venu la proposer au cousin pour 5Frs. Mon père n’hésita pas et glissa une “thune” dans la main du pêcheur. A l’époque peu de gens gagnaient cette somme dans une journée de travail (aussi le gars était-il enchanté de sa journée).
Pour moi, mon père avait été “formidable” bien que cette expression n’était pas employée, ce qui explique que ce voyage est particulièrement bien gravé dans ma mémoire.
MA SCOLARITE.
Après être passé dans une institution tenue par des religieuses, je fus placé dans une autre “boite” plus laïque, où je m’aperçus que le maître me prenait avec plaisir sur ses genoux et s’arrangeait pour que mes petites mains se trouvent placées où vous pensez ! Quand ma mère apprit cela, elle me retira aussitôt, après avoir dit ce qu’elle pensait au directeur.
Enfin, j’entrais à l’école “du NORD” dans la classe de Monsieur GRASSOUILLET qui portait bien son nom. Son enseignement ne m’a pas particulièrement marqué. Il n’en fut pas de même l’année suivante avec Monsieur GRENET, en 2emeB, classe qui avec la 2èmeA préparait au C.E.P (Certificat d’études primaires pour l’année scolaire 1908/1909.Nous étions 45 à 50 par classe). Presque tous étaient reçus.
L’année suivante, 9O9/191O, je partis au cours supérieur en première, avec Monsieur BIBER (très ami avec mon ancien maître Monsieur GRENET). Tous deux avaient loué un local en ville pour nous faire travailler jusqu’à 18h environ ou 19h (moyennant 10 FF par mois).
Nous faisions nos devoirs, sans aide et nous avions une explication collective sur ce que nous n’avions pas compris. En fin d’année, je fus présenté à l’examen pour entrer au cours complémentaire: j’y fus reçu deuxième.
En Octobre 191O, je fus admis à la nouvelle école du. PLATEAU, à proximité de “mon” pavillon. Le maître du cours complémentaire, Monsieur BALLEY, se rappelait très bien d’avoir eu trois frères successivement ; je devais normalement continuer la série mais un événement familial bouleversa ma vie scolaire.
Mon père, sur les conseils de son cousin germain, Joseph MEZURE, chef des rayons de chemises au “BON MARCHE”, après la visite que lui fit un de ses fournisseurs, propriétaire d’une fabrique de chemises à EYMOUTIERS (86) accepta la proposition qui lui fût faite de diriger cette fabrique. Nous partîmes donc en Novembre1910 pour ce charmant pays de la HAUTE VIENNE. Nous habitions au 2eme étage d’une très belle maison neuve, dont le propriétaire habitait le 1er et le rez-de-chaussée. Construite à flan de coteau, nous avions une vue superbe sur la vallée de la VIENNE, la route de LIMOGE et la ligne de chemin de fer, Nous y avons passé un hiver très froid, car normalement le climat est assez rigoureux. Je fus mis au collège, comme externe, et je perdis mon temps, dans beaucoup de matières j’étais beaucoup plus avancé que mes camarades, mais dans celles qui ne m’avaient pas été enseignées, je ne pouvais suivre. De plus, en Mars/Avril 1911, mes parents quittèrent EYMOUTIERS, car la situation promise à mon père était fallacieuse, nous partîmes à BOURG-LASTIC où je repris le chemin de l’école primaire. Cette école de garçons ne comportait que deux classes et il n’y avait que peu d’élèves après le C.E.P, un seul était présenté au B.E (Brevet Élémentaire). J’eus très vite le sentiment que je perdais mon temps. Mes parents s’en rendirent compte également et, en 1912, au printemps nous quittions BOURG-LASTIC pour CHAMALIERES, près de CLERMONT-FERRAND. Mon oncle François RENOUX, frère de mon père, exploitait avec ma tante Antoinette, un café restaurant “A la Comète”, rue d’ASSAS à CLERMONT, à deux pas de la place de JAUDE. D’autre part, il travaillait à la banque de FRANCE comme encaisseur, principalement les jours d’échéances et, en conséquence, il était très connu des commerçants et industriels de la place de CLERMONT-FERRAND.
C’est ainsi, que mon oncle François, trouva un emploi pour mon père, chez un marchand de vin en gros: Monsieur DEGIRONDE. Mon père secondait le patron qui s’absentait pour voir ses clients. Il y resta jusqu’en 1915 pour partir seul à PARIS, Le “BON MARCHE” ayant fait appel à ses anciens employés, et retraités, pour remplacer ceux qui avaient été mobilisés. Vous lirez, plus loin, comment il fût logé en arrivant à PARIS. Pour en revenir à CHAMALIERES, toute la famille s’installa, 5 place Sully, dans une maison de 3 étages. Nous habitions le troisième, un appartement de 2 chambres salles à manger, cuisine, cabinet de toilette. En Mai 1912, mes parents me firent entrer à l’école supérieure dans la section commerciale; là encore ce changement en fin d’année me dérouta, pourtant j’apprenais la sténographie (2 méthodes), la dactylographie et la comptabilité commerciale. Ne pouvant rattraper des camarades qui étaient arrivés au mois d’Octobre, je fus dégoûté.
J’avais 14 ans ½, j’étais grand et fort, et je me rendais bien compte que mes parents, avec leurs faibles ressources, avaient beaucoup de mal à nous faire vivre tous les cinq. Je fis part à mes parents de mon intention de travailler. Mon oncle François, après avoir trouvé un emploi à mon père, me présenta au Directeur d’un magasin de nouveauté “AUX VILLES DU CENTRE” place de la Cathédrale à CLERMONT-FERRAND.
MES DEBUTS DE TRAVAILLEUR.
“AUX VILLES DU CENTRE”. J’y appris le métier de vendeur, que ma famille connaissait bien. Je commençais à 7h du matin. Nous sortions d’abord le matériel pour l’installation de la marchandise sur nos épaules. Cela durait 1 heure et nous servait de culture physique.
Après avoir placé les dernières étiquettes, nous retirions nos blouses et nous attendions la clientèle, hiver comme été. Le soir nous faisions la manœuvre inverse. Cette activité ne me déplaisait pas, je savais bien qu’il fallait commencer par là.
MON ARRIVEE A PARIS.
Mon frère Jean, qui était rentré de son service militaire en 1912 (c’est à dire depuis un an), demanda à son patron, s’il n’avait pas une place de second pour moi. Ce dernier ayant accepté, Jean me fit venir à PARIS, après acceptation de mes parents. Il était logé dans l’immeuble où se trouvait le magasin: ”Dentelles & Broderies” rue de RICHELIEU, près de la Bourse. Mon frère Jean occupait deux chambres de bonne au 6ème étage; une des deux chambres nous servait de cuisine et de salle à manger, dans l’autre chambre il y avait un grand lit et une penderie. Nous faisions notre “popote”. Puis un jour après que le magasin fut transféré rue du 4 Septembre, nous changeâmes de logement pour aller rue RAMEAU (petite rue bordant d’un coté le square LOUVOIS, lui-même situé en face de la bibliothèque nationale, rue RICHELIEU). Au 6ème étage nous avions une très grande chambre à coucher, une minuscule salle à manger et un coin cuisine de 2m x 1m. C’était bien suffisant.
Je fus adjoint à un “placier”, intéressé dans l’affaire, car il y avait très longtemps qu’il était dans ce métier, et, il avait la meilleure clientèle. Nous étions une trentaine d’employés, y compris ceux qui restaient au magasin, soit à la comptabilité, à la réception des marchandises et au rangement de celles-ci. En ce qui me concerne je travaillais souvent avec Monsieur MICHEL, dont j’étais le second; Je portais la "collection”, c’est à dire une grande valise contenant toutes les nouveautés de la saison. Nous ne visitions que les maisons de Haute Couture qui nous étaient réservées. Mon frère Jean, et les autres placiers avaient aussi leur propre clientèle. La mode dans ces années là permettait d’utiliser beaucoup de dentelles et de broderies pour les robes, ainsi que pour la lingerie fine. Je me souviens, fort bien, avoir livré des dentelles, de 0,70 m de hauteur. Comme il en fallait un grand métrage, (pour donner une certaine ampleur) cela représentait un prix élevé.
A titre de comparaison, dans l’année 1912, mon frère avait fait “6O.000Frs” OR d’affaires, soit à 10% de commission : 6000Frs OR de gains nets, à cette époque beaucoup de petits employés gagnaient l5OFrs (rarement 300) par mois.
Les “manutentions” où s’effectuait la réception des marchandises étaient en général situées au 5ème ou 6ème étage desservis par des escaliers étroits, obscurs et souvent crasseux.
La clientèle utilisait, par contre, de larges escaliers richement décorés, quelques fois même avec un ascenseur dans la cage d’escalier. Il m’arrivait souvent de monter trois ou quatre manutentions dans la matinée, quelques fois avec des paquets lourds et encombrants. Nous évitions de prendre le métro ou l’autobus, car cela n’était pas remboursé. C’est dire si la graisse ne nous envahissait pas ; mais à 16 ans, c’était l’ambiance qui me plaisait. Cette activité de ce PARIS grouillant mais très supportable à cette époque, les rapports commerciaux avec les employées aimables et agréables étaient bien pour me plaire. Je vécus ainsi jusqu’en Juillet 1914.
[1] Erreur probable, il s’agit plutôt de la date de mariage de sa fille Félicie.