En avant vers le passé

 
 
Moi, je ne suis pas fais comme tout le monde, quand je sors ma boule de cristal, ce n’est point afin d’explorer l’avenir, mais, tout au contraire, pour me plonger dans le passé. En fait, à bien y réfléchir, c’est plus intéressant : mon futur, il est quelque peu limité et il se rétrécit de jour en jour, tandis que mon passé, lui s’accroît sans cesse, (enfin pour le moment), il ne me réserve pas de mauvaise surprise, (je ne suis pas mort !!) ni de bonne, (je ne gagnerai pas au loto ni hier ni avant-hier !!!). Il y a bien quelques chipotaïres qui inverseront ma dernière phrase, mais je m’en fous, c’est mon blog et j’écris ce que je veux, non mais !!!!
J’ai donc plongé mon regard dans ma boule de cristal, (pas celle qui, en la secouant, me permet de prédire s’il va neiger sur la tour Eiffel ou sur notre Dame de la Garde), mais une autre, qui a la forme d’un phare de voiture type années Cinquante. Quand nos bagnoles s’appelaient Aronde, Versailles, Vedette, Dyna, Frégate, Caravelle, Floride, Dauphine, Chambord, Ariane, elles sortaient de chez Simca, Panhard, ou Auto Union, Quand vous achetiez une « deux chevaux », elle sortait du Quai de Javel sans passer par la case Portugal. Nous ne connaissions pas les voitures japonaises, seulement le nom des motos, et ça nous faisait rire, « Yamamoto » «  Suzuki », on n’a pas idée de sortir des appellations pareilles, prêtant à des jeux de mots plus ou moins vaseux.
Quand ton secrétaire syndical (tu sais, celui qui roulait en Lada) te disait « achetez français », ça avait du sens. Pas comme maintenant où ta Clio vient de Tchéquie, la VW de ta sœur du Brésil et la Toyota du voisin de Lille. Bon bref, tout cela pour en revenir à cette époque ou l’industrie de l’automobile ne connaissait pas la crise, il fallait attendre des mois, voir une année ou deux avant de recevoir la voiture neuve que vous aviez commandée. Mon Grand père avait signé le bon de commande de sa « dedeuche » en 57, il fut livré en 1959 !!!! Les garagistes ne te demandaient pas de verser des arrhes, si tu ne voulais plus de la bagnole, un autre le prenait aussitôt, si bien que le prix d’une « occasion » récente était supérieur au prix du neuf. Certains petits malins qui avaient un peu d’argent d’avance avaient bien compris le système, ils avaient toujours une ou deux voitures en commande, dès qu’une d’entre elles arrivait, ils revendaient la précédente en faisant un petit bénéfice.
Mon père, n’avait, quant à lui, pas du tout le sens des affaires, si tu avais besoin d’un pigeon, t’avais qu’à sonner chez nous, il répondait toujours présent. Il avait lui aussi commandé une « deuche » en 1958, avec l’espoir insensé qu’elle serait livrée avant l’été 59 afin que nous puissions partir tous ensemble en vacances, sans être tributaire des trains, des correspondances et des retards de toutes sortes qui transformaient nos voyages en épopées héroïques.

Bien entendu, il avait passé son permis chez un garagiste qui faisait aussi auto école, car en ces temps immémoriaux, il n’était pas obligatoire de passer par une officine « pompe à fric » et nul certificat d’aptitude n’était demandé pour former les néo conducteurs. Les vendeurs se charger de cette tache sans problème, ce qui leur permettait de fidéliser les futurs acheteurs. En l’occurrence, notre homme était spécialisé « toutes marques » !!! Avec une petite préférence pour les « Simca » et en second pour les « Panhard ». Mon père effectuait régulièrement quelques menus travaux de peinture « en lettre » au black pour ce mécano, et il avait ainsi un bon contact avec lui. Il ne fut donc pas particulièrement surpris quand notre garagiste vint lui proposer « une bonne affaire » et quelle affaire !!! : Une voiture neuve d’ici quinze jours, c'est-à-dire juste avant les congés d’été.

« Enfin, monsieur, vous vous voyez traverser la France du Nord au Sud en « Deux chevaux » avec vos trois enfants ? Si on vous livre votre voiture d’ici là, ce qui n’est pas certain du tout ? Franchement vous seriez mieux dans une Dyna Panhard, plus de place, plus de confort, plus de performances, Écoutez, j’ai une combine, je peux vous avoir, avec certitude une Dyna neuve avant le 1er juillet, grâce à moi, vous passerez avant tout le monde, voyez, je vais même m’engager à vous prêter gratuitement, le temps qu’il faudra, un de mes véhicule, si par hasard, elle n’était pas livrée à temps. »
Mon Père était très tenté, et commença à mordre à l’hameçon tout en restant méfiant, il demanda s’il fallait qu’il verse un supplément pour être livré de suite.
« Mais enfin, qu’est-ce que vous croyez, c’est pour vous que je fais ça, vous l’aurez au prix usine, sans le moindre francs de plus, vous pourrez même choisir la couleur, ça ne posera pas de problème »
« Au 1er Juillet l’année modèle va changer et …… »
« Je peux vous certifier que la Dyna Panhard ne subira aucune modification notable dans les mois qui viennent »

Et pour cause, 10 jours après que mon père ai pris possession de sa « Dyna », sa production s’arrêtait au profit de la PL 17, de conception plus moderne, avec (enfin !) les portes avant qui s’ouvraient dans le bon sens, provoquant une chute du prix de l’occasion de la Dyna. Mon père venait de participer à l’écoulement du stock des anciens modèles.




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