Les Funérailles d’Antan.

 
Je vous ai déjà conté certaines distractions qui venaient pimenter la monotonie d’une enfance d’après guerre, dans un temps où non seulement la télévision était encore un rêve inaccessible, mais où tout ce qui fait les délices de nos gosses du troisième millénaires était à peine envisageable, nous ne trouvions pas dans nos boites à lettres ces petits fascicules en couleur édités par nos municipalités avec l’argent du contribuable, vantant leur prétendus mérites et, nous fournissant occasionnellement la liste non exhaustive des animations plus ou moins payantes et rarement gratuites proposées à nos enfants, Sorti du patronage du curé, de la fanfare municipale et du club de foot il y avait pas grand-chose, et comme nous ne nous en contentions pas, nous nous créions d’autres points d’intérêt.
Parmi ceux-ci, il y avait les enterrements. Il est vrai, que nous autres enfants de l’école publique, nous bénéficions d’un contexte mortuaire privilégié. Nous étions les premiers informés des futures funérailles car l’entreprise des pompes funèbres se trouvait juste en face de notre établissement scolaire, et c’était un spectacle pour nous de voir les croques morts harnacher les deux chevaux noirs chargés de tirer le corbillard, avant que celui-ci ne soit remplacé, par un véhicule à moteur dans les dernières années de mon séjour,
Pour peu que le mort fut du quartier, nous faisions une joie d’effectuer en quelque sorte « notre visite » au défunt. En ce temps là, vous vous en souvenez, il était encore de bon ton de mettre une immense tenture noire, aux initiales du mort, autour de la porte d’entrée de sa demeure. Rien a voir avec nos pauvres misérabilistes petites tables de condoléances d’aujourd’hui, si nos défunts d’antan voyaient ça, ils reviendraient dans leur plus beaux suaires pour se moquer de nous en sirotant une « petite bière ».
Si par malheur nous avions raté le début de la cérémonie, nous pouvions nous rattraper au final. En effet, nous avions l’habitude d’aller jouer, comme tous les autres enfants de la ville au « Châtelier », vaste promenade ombragée au pied de la Citadelle, où se trouvaient une piste de danse cimentée très pratique pour le patin à roulettes ainsi qu’un jeu de boules (en bois ! ! !). Notre terrain de jeux dominait le cimetière et était longé par la rue qui y menait. Nous étions prévenus de l’arrivée d’un enterrement par un « son étrange », c’était le convoi funèbre qui arrivait, les chevaux devant, les humains derrière à pied. Les passants s’arrêtaient pour regarder passer le cortège, Les hommes ôtaient leur chapeau et se mettaient au garde à vous, les femmes baissaient la tête en se signant.
Nous n’entendions plus que ce bruissement si particulier et à nul autre pareil, mélange du tintement des fers des animaux, des pas du cortège des vivants et de voix chuchotant prières et évocations de souvenirs.
Lorsqu’il n’y avait pas d’enterrement, nous partions à l’aventure au milieu des sépultures. Il y en avait qui nous faisait peur, celles dont les dalles descellées, parfois cassées, pouvaient laisser entrevoir l’intérieur du caveau, nous craignions à tout moment de voir surgir un mort, la curiosité était cependant trop grande, nous approchions à petits pas, risquant un œil, espérant, et redoutant, en vain, d’apercevoir un bout de squelette ou de cercueil.
Nos incursions dans le cimetière nous menaient inlassablement vers le carré militaire où se trouvaient des tombes de soldats allemands avec leurs croix surmontés d’une espèce de toit. Ils reposaient là, victimes de la guerre et du bombardement américain. Notre imagination d’enfant faisait que nous nous demandions s’ils étaient enterrés avec le casque si caractéristique de l’armée d’occupation. C’était un profond mystère qui suffisait à nous occuper pendant de longues heures de chamaillerie, au cours desquelles nous confrontions nos certitudes dépourvues de toute bonne foi mais qui s’alimentaient de notre rage de jeunes coquelets prétentieux.  L’école de la vie……… en quelque sorte.



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