La Maison mystérieuse

 
 
Nous avions rarement l’occasion de pénétrer dans la chambre de mes grands-parents, et lorsque cela se produisait c’était toujours pour assister à quelques choses d’extraordinaires, (pour nous), comme par exemple la pose de ventouses sur le dos de « Popeye ». (Mon grand-père)
Ce soir là, l’objet de notre venue et de notre curiosité était un « jouet », du moins c’est ce que je crus d’abord, il s’agissait de la maquette en contre plaqué d’une petite maison presque cubique avec un hangar sur le coté droit et une « véranda » sur la face arrière. Cela ressemblait fort à nos petites fermes en bois qui nous permettaient de jouer aux paysans, avec nos troupeaux de moutons en plastique, nos veaux, vaches, cochons, couvées en même métal, comme dirait mon père.
Je me demandais bien pourquoi nous devions tous nous extasier devant cette maisonnette, et j’attendais le moment où nous pourrions en prendre possession pour nous amuser.
Je fus très désabusé lorsque mon grand-père replaça très religieusement la maquette dans l’armoire normande de sa chambre. Pour nous consoler, il nous montra les emprunts russes, qui avaient l’air d’amuser tout le monde. Je ne pouvais pas savoir que cela représentait toutes les économies que mon arrière-grand-mère avait placées avant la guerre de 1914. Mon grand-père les remis à leur place en disant « On ne sait jamais, les soviétiques finiront bien par respecter les règles internationales ». Je ne comprenais rien à tout cela, pourtant Popeye finira par avoir raison, quinze ans après sa mort, les Russes acceptèrent, en 1998, de rembourser en francs, ce qui avaient été payé en « francs or » près d’un siècle avant. Sauf les intérêts, bien sur ! ! !
J’oubliais rapidement les emprunts russes et la maisonnette en carton, retournant à ma vielle ferme qui avait finalement son charme.
Un nom commençait cependant à « traîner » dans les conversations, celui de VILLIERS, qui constituait avec PAULNAY et SAULNAY les  « Trois pays du triangle des sorciers » d’après un dicton du BERRY et où reposait « l’Oncle Auguste ». Il était de son vivant sabotier et garde chasse. Deux métiers de fainéant disaient les paysans, ce qui manquait d’indulgence, sinon d’objectivité. On lui reprochait d’être un grand coureur de jupons devant l’éternel ce qui était très exagéré, car sa réputation était telle que ce sont les filles qui lui courraient après. L’oncle Auguste était un homme superbe, de haute taille, et qu’il avait été cuirassier pendant le service militaire. Il faisait aussi fonction de prévôt d’armes, c’est à dire entraîneur d’escrime. Avec ses jolies bacchantes et sa belle prestance, pas étonnant qu’il ait fait des ravages parmi ses contemporaines. Et je n’oublie pas de rappeler qu’en outre il exerçait comme il se doit la sorcellerie, désenvoûteur d’après ses amis, et jeteur de sort pour les mauvaises langues.
Un beau jour de printemps, je devais avoir six ou sept ans, la famille se mit en ordre de marche, comme je vous l’ai déjà décrit par ailleurs : mes grands-parents dans la 4 Cv, nous derrière, Luc entre Jean-Claude et moi dans sa caisse d’Omo, en guise de berceau, une partie des valises solidement fixées sur la galerie du toit, le reste dans la « cinquième roue », sorte de remorque équipée d’une seule roue au centre et attelée de manière rigide au pare-chocs de la voiture. Quant à mes parents, ils suivaient comme d’habitude sur la Vespa.

 

Villiers

La maison Mystérieuse (derrière la Mairie École)

A la sortie d’une petite agglomération, en direction de MEZIERES en BRENNE, nous stoppâmes devant une maisonnette cachée par des plantes grimpantes. Après quelques minutes je réalisais que je me retrouvais devant la même maison que celle de la maquette, mais en vrai. Elle ne paraissait pas aussi fraîche que son modèle réduit, mais la ressemblance était frappante. Nous étions à VILLIERS.

C’était un petit paradis pour des enfants, dans les grandes herbes qui envahissaient le jardin, Jean-Claude et moi, trouvâmes deux petites huttes, en chaumes. C’était d’anciens poulaillers, une véritable aubaine pour nous de « posséder » ainsi des cabanes toutes faites, et qui nous appartenaient, car, nous avions déjà compris une chose importante, nous étions « chez nous ».
Le hangar qui jouxtait la maison était fait de planches, plus tard, conformément à la maquette, Popeye le remontera en « dur », quant à la véranda, c’était en réalité l’atelier de sabotier de l’oncle, Auguste GEORGET, avec ses outils et des sabots en cours de fabrication, comme si le maître artisan, s’était absenté pour quelques minutes et allait reprendre son ouvrage, après nous avoir accueillis.
J’étais trop jeune à l’époque pour partager l’émotion que devaient ressentir les adultes à cet instant, où tout était figé à la minute où le vieil homme avait fait le malaise qui allait l’emporter, alors qu’il confectionnait sa dernière paire de sabots.
L’oncle Auguste était le mari de la Tante Berthe. Nous avons partagé pendant dix huit mois le même toit, après son veuvage, elle était venue vivre chez mes grands-parents, mais je n’ai bien entendu aucun souvenir d’elle étant encore un nourrisson à son décès, je sais seulement qu’elle aimait bien ma compagnie, elle qui n’avait pas eu enfant.
Par contre mon père avait fait plusieurs séjours chez elle, en particulier pendant l’exode de 1940, quand à quatorze ans il avait traversé la France avec son frère en vélo, afin d’aller chercher refuge dans le Lot. Il aimait se rappeler les fromages de ses chèvres, les oeufs de ses poules, ses lapins savoureux et les odeurs si particulières de sa maison, ex. rendez-vous de chasse. Odeurs complexes de bois, de copeaux, de cuir, de vernis, de peaux de sangliers... Un univers olfactif!
Tante Berthe avait autant de personnalité que son mari, mais pas dans les mêmes domaines. Fille et petite fille d’instituteurs, très instruite, elle chantait très bien, connaissait une foule de chansons du Berry, elle cuisinait merveilleusement et elle était aussi un peu sorcière.
   Pas une méchante sorcière, non, une gentille. Pour tout dire elle avait les “ dons “. En 1914, juste avant la déclaration de la guerre, elle avait vu dans le ciel une immense faux, présage de la grande moisson que la Mort allait faire parmi la jeunesse européenne. Certains esprits forts vous diront que ce n’était pas très difficile de prévoir ce désastre, mais à cette époque, on criait plus facilement « à Berlin » qu’ « Attention danger ! »
   En plus, elle attirait la foudre... Je vous rappelle que nous sommes au cœur du Berry dans le « triangle des sorciers ». Aujourd’hui encore rebouteux et jeteurs de sorts y prolifèrent à l’aise. Marquée par la foudre, Tante Berthe portait sur le bras et l’avant bras une cicatrice en forme de fougère. Lucette la demie sœur de mon père (Ma grand-mère maternelle était veuve de guerre en première noce) se trouvait sur ses genoux le jour où la foudre passant par la cheminée la projeta à travers la pièce. Elle garde le souvenir du curé bénissant la maison.
Ses pouvoirs avaient manifestement des limites, ou du moins elle n’avait pas des prédispositions à la voyance, car lorsque mon oncle Pierre et mon père arrivèrent chez elle pendant l’exode, elle les prit à part pour leur glisser dans l’oreille « Méfiez-vous ici, il y a le péril rouge ». Pauvre Tante Berthe, elle faisait entrer le loup dans la bergerie.
 Pour la petite histoire, ce minuscule Village fut mêlé à l’Affaire MIS et THIENOT qui défraya la chronique en 1950. Le crime de MÉZIÈRE en BRÊNNE s’est déroulé à moins de huit kilomètres de la maisonnette de la Tante Berthe. Le très douteux et très contreversé principal témoin à charge, logeait à cette époque chez sa mère à VILLIERS, c’était un simple d’esprit que le Patron du Garde Chasse assassiné fit transférer dans ces propriétés du Nord de la France après le procès pour qu’il ne puisse pas être « manipulé » par le comité de soutien.
C’est dans cette maison que mon grand-père se retira lors de sa retraite qui coïncida avec la mort de ma grand-mère. La jolie maquette en bois était leur projet commun, il se retrouva seul pour le réaliser.



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