Mon Grand-Père Benjamin CHIER

 

Mon grand-père maternel, Benjamin CHIER, (prononcez CHIÈRE, s’il vous plait), était connu sous le surnom de « CAGA  à la « Compagnie de Provence » qui exploitait la ligne de Nice à Digne où il était conducteur de locomotive.

Il me fallu beaucoup de temps pour réaliser que l’orthographe de son patronyme ne correspondait pas à sa prononciation. Cela se passa vers mes douze ans, il nous arrivait, avec mes frères d’aller chercher nos parents à la sortie de l’Hôpital où ils travaillaient, nous devions attendre dans hall où se trouvait la pointeuse. Pour passer le temps je me mis à lire le nom des infirmiers sur leur fiche de pointage, je trouvais celle de ma mère et je lus : Madame RENOUX Denise née CHIER, aussitôt il me vint cette pensée, « Quelle drôle de façon de naître !». Pour la première fois je réalisais que ma mère portait en fait un patronyme pour le moins difficile à porter. A vrai dire, j’étais tellement stupéfait par cette révélation que je n’ai pas cherché à comprendre sur l’instant pourquoi il fallait prononcer « CHIÈRE » au lieu de CHIER. Je trouvais juste chanceux pour ma famille que cela soit possible. Ce fut bien plus tard que je me suis intéressé à l’origine du nom de mon grand-père. Je trouvais une première explication dans un ouvrage sur l’étymologie des noms de famille.

 Origine du nom CHIER : Jusqu’au début du 19ème siècle, les juifs vivant en France n’avaient pas de nom de famille et ne pouvaient faire l’objet d’un recensement officiel quelconque. Napoléon, toujours en quête de nouvelles recrues pour ses armées, y mit bon ordre. Tous les israélites de France durent se faire enregistrer à l’état civil, ceux qui possédaient un surnom héréditaire pouvant le faire inscrire comme patronyme, ceux qui n’en possédaient pas devaient s’en trouver un dans les six mois, sans que ce fût un nom de l’ancien testament ou un nom de lieu. La plupart s’en inventèrent d’agréables. Les juifs d’Alsace employèrent même une ingénieuse et assez touchante méthode. Combinant les initiales des prénoms de leur père, de leur mère et des grands-parents, ils fabriquèrent des patronymes ayant un sens.

Dans le bassin sidérurgique de la « CHIÈRE », des familles juives, en combinant leurs initiales, obtinrent le mot « CHIER » et se déclarèrent sous ce nom patronyme qu’ils prononcèrent « CHIÈRE », c’était une façon de détourner la loi qui interdisait les noms de lieu auxquels pouvaient se rattacher une communauté. Ces familles se seraient dispersées en France, principalement après 1870, et l’annexion de l’Alsace Lorraine par les Allemands.

 Mon cousin René MOSTI, a une autre explication, d’après lui, lorsque le Comté de NICE fut rattaché à la France,  il aurait été permis aux niçois d’origine de franciser leur nom, pour les différencier de ceux d’origine italienne. Ce serait le cas d’une famille « CHIERI » (prononcer à l’italienne « QUIÈRI »). La francisation aurait donné « CHIER » mais que l’on aurait continué à prononcer « QUIÈRE » pendant quelques temps puis « CHIÈRE ».

Cette version me paraît peu probable pour deux raisons :

Les « CHIER », du moins ceux de ma famille n’étaient pas assez riches pour faire modifier leur état civil. Cette Francisation aurait eu lieu après 1860, or on retrouve des « CHIER » nés bien avant cette période, en autre mon arrière-grand-père, sans qu’aucune trace de cette transformation n’apparaissent. A moins qu’il n’y ait une erreur de date, et que cette opération ait eu lieu sous la révolution ou le premier empire, lors du premier rattachement.Aucune de ces explications ne me convient, les Allemands, en 1944, se sont penchés sur notre cas, persuadés que l’hypothèse Juif - Alsacien était la bonne avant de renoncer devant les certificats de baptême, ce qui paraît logique, en effet pourquoi des juifs alsaciens auraient fuit l’antisémitisme Allemand pour venir finalement se convertir en Haute PROVENCE ? Je pense, sans aucune intime conviction, qu’il est possible que CHIER soit bien une altération de CHIERI, mais que cela se serait fait au fil des ans et des générations, comme d’ailleurs pour la plus part des noms propres et non à la suite d’une volonté de francisation. 

Ma mère avait beaucoup souffert de l’orthographe de son nom, je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle s’est mariée pour ça, mais comme je l’ai écrit précédemment, son père avait déjà du se trimbaler toute sa carrière de cheminot avec ce surnom de « caga ». Lorsqu’elle est décédée en 2003, nous avons orthographié son nom de jeune fille, sur le faire-part du Midi Libre, sous sa forme phonétique « CHIÈRE », elle y tenait beaucoup, ne voulant pas que l’on rit et que l’on se moque de son patronyme le jour de sa mort. En consultant un site permettant de situer les lieux de naissance des personnes portant le nom de CHIER depuis un siècle, j’ai constaté qu’il s’agissait essentiellement d’une localisation dans des Alpes Maritimes et départements limitrophes, avec quelques cas par ci par là sur le territoire national. En fait (et fort heureusement) le nom est très peu répandu.  Lorsque j’ai effectué des recherches sur mon oncle Jean RENOUX, tué en 1918 à la veille de la seconde bataille de la Marne, j’ai consulté le site de l’Armée « Mémoire des Hommes » concernant les soldats « Morts pour la France » pendant la première guerre mondiale. J’y ai trouvé 148 RENOUX, dont 11 avec mon prénom. Par curiosité j’y ai aussi recherché les CHIER, ils ne sont que quatre avoir péris entre 1914 et 1918, deux étaient niçois, les deux autres du Berry, l’un d’entre eux vivait dans un tout petit village de l’Indre, au fin fond des marais de la Brême, village dont le maire à la fin des années 60, n’était autre, curieuse coïncidence, que mon grand père « paternel », qui était venu se perdre là, presque par hasard après le décès de son épouse auprès de qui il repose désormais dans le cimetière communal.

Si s’appeler « CHIER » présente pas mal d’inconvénients, cela peut aussi avoir quelques avantages. Mon frère et moi, nous en avons fait l’expérience quand nous étions de jeunes militants « révolutionnaires » post 68. Une ou deux fois par mois, nous allions coller, la nuit, des affiches dans les rues d’Aix en Provence, et tout aussi régulièrement nous étions interpellé par la police. Cela se passait bien généralement, sauf une fois (voir la note « Mon Mai 68 »), les policiers se contentaient de relever notre identité. Nous n’attendions qu’une chose, le moment où ils nous demanderaient le nom de jeune fille de notre mère, et là, nous leur lancions un magnifique « CHIER », qui provoquait un sursaut colérique du fonctionnaire de police.

« Vous pouvez répéter ? », « CHIER » « Alors comme ça on vous fait chier ? », et là, car il ne fallait quand même pas trop insister, nous leur précisions qu’il s’agissait bien du nom de notre mère. Hélas, cette plaisanterie avait ses limites, le commissariat d’Aix n’était pas très important et ses effectifs réduits, nous finissions par tomber toujours sur les mêmes policiers, qui, lorsqu’ils nous apercevaient nous lançaient, « Tiens voilà les chieurs ».

Eh oui, comme le disait souvent ma mère, ce nom, quoi qu’on fasse, on finit toujours par y mettre le nez dedans.




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