Le Carnet de Route de l'Oncle Jean

Du 1er Août 1914 au 13 Septembre 1914

Prmiers combats, premières blessures

 
 
 

Samedi 1er Août. Mobilisation.

carnet de route

Le Carnet de route de l'Oncle JEAN

 
Dimanche 2 Août. Adieu à tous les parents et amis, Départ à 12H½, arrivée à Châlons 7 heures. (19 heures)
Départ pour Verdun 8 h 20, (20h30) pas moyen d’avoir de pain au buffet de Châlons. Voyage rapide de Châlons à Verdun, arrivée à la gare à 2 heures, au Fort Lachaume à 2h½ après avoir été arrêté par 4 ou 5 sentinelles.
Aussitôt arrivé, aussitôt couché. Réveil à 5 heures du matin. Je retrouve des anciens de ma classe et suis heureux de me retrouver en pays de connaissance.
 
Lundi 3 Août. Le fourrier me dit que je ne suis pas affecté au 165ème. J’attends mon ordre de départ pour Châlons, après avis du colonel, je dois rester à Verdun. J’attends une décision avec impatience.
Il arrive des territoriaux de l’artillerie et j’ai la chance de retrouver Mr Charlas avec qui je peux causer de Paris.
 
Mardi. Réveil à 3h½. Aucune nouvelle de quoique ce soit.
 
Mercredi 5 Août ; Un commandant de l’artillerie nous annonce la déclaration de guerre. Nous répondons par des cris qui laissent voir avec quel entrain nous ferons notre devoir. Nous attendons toute la journée le moment du départ. Enfin à 6h (18h) départ pour Glorieux où le régiment doit se réunir. Arrivée à 6h½ (18h30),nous n’avons rien pris à manger, mais nous nous endormons dans le calme ne pensant qu’à ceux que nous laissons.
 
Jeudi 6 Août. Nous faisons connaissance avec les gradés et les officiers que nous ne connaissons pas encore. Nous ne savons pas encore où nous serons affectés. Pour l’instant nous sommes à la Cie H-C.  Toute la nuit et toute la matinée des trains venant de Paris amènent des troupes. Que d’hommes ! Nous avons des nouvelles que nous croyons exactes et qui nous réjouissent, les français sont dit-on à Mulhouse. Par contre les allemands sont à Brisy et se sont livrés à des actes de brutes en fusillant 2 jeunes gens de 17 ans à X…...
Deux Alsaciens viennent s’enrôler à notre régiment et sont la curiosité générale. Couché à 10 heures (22hoo).
 
Vendredi 7 août. Réveil à 3h½. Rien à faire et pas de nouvelles, on nous apprend que nous sommes réserve des troupes de Verdun, combien aimeraient mieux être en avant. Je retrouve mon ancien lieutenant Hubert qui parle de moi au capitaine pour me faire prendre comme cyclos. J’attends notre répartition dans les autres compagnies. Soupe à 12 h. revue en mobilisation à 15h½. J’attends des nouvelles de Paris mais rien encore, j’espère que la prochaine distribution ne sera pas blanche pour moi. En effet à 6 heures (18h) une bonne lettre de Mlle Yvonne Masguières me donnant des nouvelles de Paris. J’y répondrais demain si le temps ne me fait pas défaut, couché à 8 heures (20h).
 
Samedi 8 Août. Réveil à 2h½ et départ à 4 heures pour faire des tranchées et des travaux de défense au fort des Bois Bourrus. Départ avec le chargement complet, 12 Km à faire. Arrivée vers 6 heures. Nous coupons des arbres pour faire des abattis, nous sommes 30 pour porter les arbres. Jusqu’à 11 heures travail après casse-croûte et travail jusqu’à 15 heures 15. Départ et retour à Glorieux…sur notre route nous croisons le 101ème et le 102ème de Paris, ils doivent remonter vers le Nord. Arrivée à 6 heures (18h) pour la soupe qui n’est pas en quantité. Couché à 7h½ (19h30) fatigués et ayant 3 ampoules aux pieds.
 
Dimanche 9 Août. Réveil à 3h½. Revue par le capitaine pour 8 heures. Tenues de mobilisation, mes pieds me font mal, mais je me raidis. On annonce que des blessés sont arrivés à VErdun hier. Ils ont donné de bonnes nouvelles, tant mieux.
 
Lundi 10 Août. Réveil à 3h½. Tranchées jusqu’au soit.
Mardi 11 Août. Idem
Mercredi 12 Août. Idem
Jeudi 13 Août. Repos.
 
Vendredi 14 Août. Tranchées, nouvelles bonnes de Paris. Au rapport on nous lit les atrocités commises par les Allemands.
 
Samedi 15 Août. Travail comme un jour ordinaire.
Dimanche 16 Août. Idem
 
Lundi 17 Août. Tranchées, le soir je vais à Verdun et rencontre Guy et un autre camarade. Rendez vous pris pour dîner ensemble le Mercredi.
 
Mardi 18 Août. Repos, lavage du linge de corps.
 
Mercredi 19 Août. Tranchées. Les nouvelles que nous avons sont bonnes. Je reçois 3 lettres égarées me donnant des nouvelles de tous.
 
Jeudi 20 Août. Tranchées.
Vendredi 21 Août. Idem
 
Samedi 22 Août. Tranchées. A 12h on vient nous prévenir que nous devons partir dans la nuit. Retour à 4h. Revue par le capitaine à 5h½. Préparatif de départ qui est fixé à 3h10 demain.
 
Dimanche 23 Août. Dans la nuit une locomotive entre en collision avec un train, 3 blessés. Nous partons à 3h10 et faisons 4 kilomètres. Nous sommes prévenus que contre ordre est donné. Retour à Glorieux et repos jusqu’à 11 heures pour aller aux tranchées.
 
Lundi 24. Tranchées.
 
Mardi 25. Réveil à 11h40. (23h40) Départ en train jusqu’à Abaucourt.
Arrivons à la ligne de feu. Après avoir pris nos dispositifs de combat vers 3 heures. Pour commencer les allemands bombardent le 240ème Territorial et de nombreux aéros qui n’ont pas l’air de s’émouvoir de leurs obus. Le 240ème a du souffrir du feu. Nous nous rapprochons et bientôt les obus sifflent au dessus de nos têtes. Notre section par 4 venait à peine de quitter une position qu’un obus éclatait à la place. Nous le saluons comme il faut. En tirailleurs nous abordons les crêtes, l’infanterie Allemande tire sur nous sans faire de mal. Une section de la 5ème entre dans une cour de ferme. Des Allemands embusqués à l’intérieur tirent à 40 mètres, 2 morts et 8 blessés. La section se retire et en revenant tue un officier ennemi caché sous un tas de foin. L’artillerie tire toujours et la lutte se réduit bientôt en un duel de cette arme. Nos canons portent avec tant de précision que les allemands abandonnent leurs fusils, sacs, cartouches, c’est la fuite. Nous entrons dans Warcq et sur notre route trouvons des blessés du 240ème, ils luttaient depuis 2 jours.
Dans le village des maisons brûlent, 2 cadavres de Bavarois sont dans les rues. Dans une maison un vieillard est sur son lit la gorge ouverte, probablement par l’ennemi. Nous nous reposons et faisons du café. La lutte a duré 14 heures. Nous remontons sur les côtes et couchons dans des tranchées. À 9 heures (21h) nous partons contourner Herméville et arrivons à 10h. (22h) Couché 11 heures (23h). Le spectacle des blessés et des morts m’a plus émotionné que le feu.
Quel triste spectacle !
 
Mercredi 26.Réveil à 4h et départ à 6h½ pour Verdun. Nous rendons visite aux blessés, un meurt sans pousser une plainte, un éclat d’obus lui avait ouvert le ventre. Nous partons et allons faire grande halte à Maresan. La route a été longue et dure. Retour à Verdun à 5 heures du soir. On nous annonce que nos pertes de la veille sont de deux morts et 18 blessés. Nous présentons les armes pour nos camarades tombés au champ d’honneur et rentrons fatigués mais content d’être débarrassés de ces boches.
 
Jeudi 27. Repos jusqu’à 11 heures. Départ à Charny pour faire des tranchées et retour vers 6h½ du soir.
 
Vendredi 28. Réveil à 4h et départ pour Charny. Tranchées.
 
Samedi 29. Départ pour aller cantonner à la ferme de Villers les moines, contre ordre en route, nous allons à Charny et sommes logés dans une belle grange. Nous allons faire des réseaux mais ¼ d’heure après nous rentrons pour soi-disant repartir à Belleville. Nous avons vu passer hier un Uhlan prisonnier, il pleurait et tenait un chapelet dans ses mains.
Au rapport d’hier soir, on apprend que le 164ème a eu son colonel tué le 25. Le 240ème a eu plus de 200 tués et encore plus de blessés. Nous couchons à Belleville.
 
Dimanche30. Départ à 3 heures nous restons dans un bois pour surveiller des Uhlans qui doivent passer dans un défilé. A 17h départ pour Brabant nous allons prendre les avant postes, la nuit est froide, nous faisons des patrouilles et des tranchées.
 
Lundi 31. Les Allemands veulent passer la Meuse, nous devons les en empêcher à Coursenvoy, nous avons avec nous du 211 et du 220 (211ème et 220ème régiments) qui manoeuvrent très mal et nous force à reculer après avoir pris un avantage. Pas beaucoup de pertes pour nous, nous rentrons pour Brabant, au cours d’une pause un obus vient éclater et tue 5 hommes, moment d’émotion compréhensible. Nous couchons à la belle étoile.
 
Mardi 1er Septembre. Nous revenons sur Vacherauville et Charny pour se reposer un peu
 
Mercredi 2.Tranchées à Charny toute la journée.
 
Jeudi 3. Nous allons cantonner à la ferme de Villiers les Moines, corvée de lavage et travaux divers.
 
Vendredi 4. Départ pour Bois Bourrus pour faire un garis.
 
Samedi 5. Idem.
 
Dimanche 6. Réunion du régiment à Glorieux, nous partons pour empêcher un corps d’armée ennemi de bousculer le 6ème corps, nous les prenons par le flanc et avons une vive résistance. Un obus m’envoie une balle de plomb dans la jambe gauche, je continue de marcher, au cour d’une accalmie je veux faire mon pansement, je reçois une balle dans le dos tout près de la colonne vertébrale, je souffre beaucoup sur le moment. Un ami caporal Chartier vient me faire un pansement. J’attends les brancardiers toute la nuit, de temps en temps je crie mais toujours rien, c’est une nuit longue, je me traîne comme je peux vers la route et croise pas mal de cadavres. Le jour commence à pointer et déjà le canon tonne.
 
Lundi 7. Je suis au bord de la route derrière un gros cerisier qui m’abrite bien des balles sifflantes à mes oreilles. Il faut que j’attende le soir pour avoir l’espoir de voir les brancardiers. Des gradés passent vers 17h m’assurant qu’ils vont chercher les ambulances. Je pleure, ma blessure me pique dans le ventre. La balle est restée et je ne sais pas ce qu’elle a fait dedans. Je pense bien à mes parents et à ma petite Margot, les reverrais-je, je l’espère si je suis enlevé tout de suite et que je suis opéré sans retard. Je ne suis pas le seul malheureux bien d’autres souffrent aussi. Quelle triste chose que la guerre, chose stupide à mon idéal. J’ai soif, je n’ai rien pris depuis 24 heures, quelles souffrances que la soif, jamais je n’ai souffert autant, j’ai bien du mal à me rhabiller comme il faut enfin, j’y arrive non sans peine. La nuit arrive et je ne vois pas venir les ambulances, Je m’endors dans du foin apporté par un camarade.
 
Mardi 8. Vers 1 heure du matin le froid me réveille, j’ai la fièvre et j’ai bien soif, je me demande ce que je vais faire aujourd’hui. Je réunis mes forces et prenant deux branches de cerisier tombées par terre, je m’en sers comme béquilles pour aller jusqu’au prochain pays si je peux. Avec bien du mal j’arrive à Ville sur Cousances, j’aperçois une fontaine et m’abreuve un bon coup. Je tombe par l’effort commis et une femme vient me relever et me conduit à la mairie. On me donne un bol de lait que j’avale d’un trait. La mairie est pleine de blessés et une grange en face en contient une dizaine. Je me repose un peu sur de la paille. Vers 5 heures deux voitures emmènent une trentaine de blessés, mon tour sera pour ce soir probablement.
Dans la mairie il y a un capitaine blessé, il est avec nous et donne des ordres à l’instituteur pour nous faire évacuer le plus vite possible. Un camarade est mort cette nuit et est resté dans la salle. L’après midi un civil vient laver nos plaies et mettre un linge dessus. L’instituteur annonce que nous partirons le soir même. Nous sommes tous très content à l’idée d’être mieux soignés. Les obus tombent pas très loin du pays et les habitants se sauvent dans leurs caves nous laissant seuls. La nuit arrive et nous allons rester encore là. Je souffre de l’aine pendant la nuit et ne sais comment me placer pour être bien. Je ne dors pas et attends impatiemment le jour.
 
Mercredi 9. Les gens viennent nous voir vers 3 heures du matin. Le capitaine se fâche et fait demander l’instituteur. Il arrive 1 heure après. Il est sommé d’avoir à nous fournir deux voitures et deux chevaux pour nous emmener. Enfin les voitures arrivent nous sommes serrés mais contents d’être sortis de là. En passant dans le village, les allemands tirent sur un aéro qui passe juste au dessus de nous, les débris d’obus tombent sur les toits et aucun de nous n’est touché.
Nous arrivons par la route à Rampont, tout le pays est brûlé, nous trouvons le service de santé du régiment très étonné de nous voir dans cet état. Nous continuons jusqu’à Blercourt où un train est formé pour nous. On nous descend chez le garde barrière et un premier pansement nous est fait. On nous donne à boire et on nous met dans le train pour Verdun. Nous arrivons vers 1h½ (13h30) et sommes aussitôt dirigés vers l’Hôpital Saint Sauveur. Nous passons chacun notre tour sur la table de pansement. On coupe un poignet à l’un et un orteil à un autre ! C’est mon tour. Le médecin me demande si je sens où est la balle, je lui montre l’endroit, il regarde et après m’avoir fait tenir par trois personnes commence à faire une incision dans le coté. Le bistouri me fait mal mais je ne crie pas trop, enfin la balle est sortie, on me la donne et après le pansement on me transporte dans une salle où nous sommes 6, j’ai la fièvre et ne peut dormir.
 
Jeudi 10.Réveil à 6 heures, je suis à la diète, le major passe à 8 heures, je suis très constipé et le ventre me fait mal, je dors un peu dans la journée. Deux prêtres viennent nous causer et la journée est passée.
 
Vendredi 11. La fièvre est un peu tombée 37°3 je suis mis au lait environ 2 litres par jour et à la tisane à discrétion, je bois beaucoup, j’ai toujours mal au ventre, je le dis au major, il me donne 3 cachets de rhubarbe qui ne font pas d’effet.
 
Samedi 12. 4 camarades dont évacués, nous restons 2 dans la chambre. L’infirmière vient prendre la température, on me donne un lavement à la glycérine et 50 ctgr de quinine pour la fièvre. À 10 heures je bois du bouillon et mange quelques pommes de terre, l’après midi je lis, à 5 heures riz et singe à la vinaigrette. Je m’allonge et compte bien dormir. Dehors un vent de tempête nous réveille à chaque instant. Enfin vers 1 heure du matin je m’endors assez bien.
 
Dimanche 13. Je bois du café et mange un petit morceau de pain. Je n’ai plus de fièvre. J’espère qu’on va me changer mon pansement aujourd’hui.
 
Je reste à Saint Sauveur jusqu’au 4 octobre où je suis évacué.
Séjour dans les Hôpitaux de Marseille
 
Je suis embarqué sur un brancard mais je ne sais pas dans quelle direction. Départ à 4 heures nous roulons toute la nuit et vers 9 heures le lendemain nous sommes à Neufchâteau . On nous descend du train pour visiter les pansements et nous donner du lait ou autres aliments, à 11 heures on nous remonte dans un autre train qui part à 12 h pour le midi. Nous passons à Dijon en pleine nuit et nous voyons Lyon et la Drôme beaux pays sur toute la ligne. Enfin dans la nuit du 7 au 8 (Octobre) nous arrivons à Marseille Gare Saint Charles, on nous transporte du train dans des tramways électriques et nous filons dans les hôpitaux. Je vais à l’Hôtel Dieu. On me déshabille et me couche, le lit est doux et je sens que je serai mieux soigné qu’à Verdun. Les infirmières font le service et les gros travaux sont fait par des hommes. Le major est secondé par un médecin, un chirurgien et plusieurs internes qui nous soignent très bien. Je suis en observation pendant deux jours et nuit, ce traitement me fait du bien, le coté devient moins dur mais les élancements persistent toujours. Je suis à la diète lactée et au repos absolu. Le 3ème jour je suis à la purée et au lait, la glace est remplacée par des gélules d’opium. Je peux dormir et cela me semble bon nous sommes très bien traités. Nous avons des visites tous les jours. Aujourd’hui Dimanche j’ai récolté des gâteaux, des bonbons, des cigarettes, les journée passent vite et si j’avais des nouvelles je m’estimerai heureux.
Je reste couché jusqu’au 22 (Octobre), je me lève et malgré ma canne je vais de tous les cotés tant mes jambes sont faibles. Le 24 départ pour Sainte Marguerite où je suis très bien, il y a un grand jardin où l’on peut se promener, j’en profite de trop car le 26 je suis repris par mes élancements et dois me recoucher, on me met des cataplasmes au laudanum pour me calmer. Je me sens mieux le 3 (Novembre) et me lève pour me mettre dans une chaise longue, cadeau de la surveillante de nuit. Le 6 sortie et visite de la ville pour les costauds, je n’en suis pas, ce sera pour une autre fois.



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