Le Bagne des Enfants

 
Lorsque, dans votre beau bermuda de touriste, où bien dans votre tenue de randonneur, vous foulerez le causse de Campestre, à la recherche de la grande épopée du Larzac, faîtes donc un détour par Le Luc, vous y verrez une grande bâtisse avec sa belle cour d’honneur, et là, braves gens, ayez une pensée pour les gamins de la colonie agricole du Luc, autrement dit : Le BAGNE POUR ENFANTS. Que cela ne gâche pas vos belles vacances, mais vous allez plonger dans le monde de l’horreur.
Pour moi, cette découverte a eu lieu il y a une dizaine d’années, un vieux monsieur, (que je voyais dans le cadre de mon boulot à la résidence pour personnes âgées où il demeurait, au VIGAN),  m’a amené un jour un petit bouquin, et m’a demandé de le lire. Je ne me souviens plus du titre, mais il avait été rédigé à partir des archives du Bagne du Luc et Campestre, on y relatait les évasions, les punitions, il y avait même le registre des entrées avec la liste des enfants qui y avaient été détenus, la date d’admission, celle de la sortie, (ou du décès) le motif de l’incarcération, toute la misère du monde, toute la honte de la France de l’entre deux guerres. Ce n’était pas une maison de correction, c’était pire. La colonie pénitentiaire, c’était les travaux forcés pour des enfants parfois à peine âgés d’une dizaine d’années, vagabonds, petits voyous ou tout simplement coupables d’être victime d’inceste. Certains n’avaient commis aucun autre délit que celui de s’être enfui d’un orphelinat ou d’une maison de correction, (Marie Rouanet, dans les enfants du bagne, cite le cas d’un enfant condamné pour vol à l’âge de 7 ans, mort à quatorze en détention).Pour ces jeunes, l’armée coloniale semblait être le seul moyen efficace de fuir cet enfer avant les vingt et un ans de leur majorité. S’évader, le rêve de tout prisonnier, mais quelle chance pouvaient-ils avoir dans ce pays perdu ? D’autant qu’une prime était accordée à toute personne qui ramenait un fuyard, A la colonie d’Aniane les habitants n’hésitaient pas à corrompre les matons afin qu’ils facilitent les évasions. Ensuite, on y mettait le paquet, on sortait les fusils, les chiens et on partageaient la prime de 50 francs « par tête » avec les gardiens. Au tristement célèbre Bagne de Belle-Île, lors d’une évasion massive en 1934, la prime fut fixée à 20 francs, même des vacanciers participèrent à la chasse aux fugitifs. Le Club MED avant l’heure en quelque sorte, « Alors DUPONT la joie, ces vacances ? Magnifique, j’ai chassé le sauvageon, non seulement ça ne m’a pas coûté un sous, mais j’y ai même gagné deux cents balles ! ». La mortalité infantile était effarante, il fallut pourtant attendre les années trente pour voir amorcée la fermeture de ces bagnes qui s’étala jusqu’en 1945.
Quant ils fermèrent, car certains furent reconvertit en Institutions publiques d’éducation surveillée. Autre bel effet de la sémantique pénitentiaire, pour se mettre en conformité avec la loi sur le travail des enfants, les travaux forcés devinrent des « formations professionnelles ». A la lecture d’autres témoignages sur les bagnes d’enfants, il semblerait que Le Luc n’était pas le pire, Aniane, Mettray et surtout Belle-île furent les plus tristement célèbres , ce dernier étant l’objet de plusieurs films ou téléfilms relatant la révolte de 1934.
Alors ? m’avait demandé le vieux monsieur, deux jours après m’avoir confié son livre, qu’en pensez vous ?
Mais où avez vous  eu cet ouvrage ?
A la bibliothèque du VIGAN, il paraît que le Luc n’est pas loin d’ici, pourriez vous m’y amener un jour ?
Quelques semaines plus tard, mon emploi du temps ayant eu la gentillesse de me laisser quelques créneaux de libres, nous nous sommes retrouvé au Luc en compagnie de deux autres personnes. Nous n’avons eu aucune difficulté à trouver les bâtiments de l’ancienne colonie Agricole dont nous avons franchi le porche. Était-ce un à priori ? mais j’ai de suite pensé aux photos de la cour d’honneur de Cayenne, là où l’administration pénitentiaire dressait la guillotine pour accueillir les « transférés » en provenance de l’île de Ré. Les « relégués » savaient ainsi à quoi s’en tenir s’ils faisaient les malins. (Plus de cinquante exécutions officielles à Saint Laurent, peut-être des dizaines en une seule nuit lors d’une révolte aux îles du Salut).
 Finalement, il n’y avait pas grand-chose à voir, du moins c’est ce que nous pensions, le Soleil brillait, le paysage est fabuleux, et il faut une imagination un peu débordante comme la mienne, pour se projeter dans le temps, à l’époque où ce bâtiment était un lieu de souffrance.
Je pensais à AUSWITCH « Arbeit macht frei- Le travail rend libre » avaient écrit cyniquement les nazis sur le porche d’entrée, Tout aussi cyniquement les matons du Luc auraient pu mettre un panneau « Vente de fromage », parce que ceux que confectionnaient les « petits sauvageons » avaient une telle réputation que la fromagerie a survécue à la fermeture du bagne dans les années trente. Nous sommes ressorti avec l’intention de nous rendre à la galerie artificielle qui permettait l’accès à la fabrique de pélardons au fond d’un aven, quant en contournant le pénitencier, nous avons aperçu une dépendance de celui-ci qui était en travaux. Nous nous sommes approché, le chantier était désert, une porte du rez-de-chaussée était ouverte, nous y avons pénétré et là…. l’horreur !
Nous étions dans les cachots, des pièces obscures, avec juste une ouverture en hauteur qui laisse passer un rai de lumière, des portes de chênes munies de verrous de forte taille, des banquettes en ciment en guise de lit, et aux murs, ces inscriptions laissées par des gosses, leurs cris désespérés, leurs colères, leurs soifs de vengeance, et le seul bien qu’il leur était propre, leur nom.
« Dans les ménageries, il y a des animaux
 Qui passent toute leur vie derrière des barreaux
 Et nous, on est les frères de ces pauvres bestiaux
 On n’est pas à plaindre, on est à blâmer
 On s’est laissé prendre, qu’est-ce qu’on avait fait,
 Enfants des courants d’air,
 Enfants des corridors,
 Le monde nous a fichus dehors,

 La vie nous a foutus en l’air »

 

 (Paroles de la chanson d’un film sur le pénitencier de Belle-Île que devait réaliser Marcel Carné après la guerre. Faute de crédit le projet fut abandonné)
Dans ce lieu chargé de douleur et de désespoir, l’émotion nous étreignait, nous n’imagions pas les cris des enfants, nous les entendions, ils résonnaient encore entre ces murs.
Nous n’avons pas eu le courage d’aller à la fromagerie, nous nous sommes assis en pleine lumière, celle-la même qui manquait tant à ces enfants du malheur quand ils se voyaient infligé plusieurs semaines d’isolement dans l’un de ces cachots.
Le vieux monsieur s’éloigna du groupe, il allât s’asseoir à l’écart sur un muret. Je pouvais voir ses épaules secouées par les sanglots. J’avais lu son nom sur le registre des entrées.



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