Auguste aussi avait connu les tranchées en 14 à tout juste vingt ans , il était parti la fleur au fusil « pour l’Allemagne ». Et il avait été servi ! quatre ans en Poméranie dans une ferme stalag, A son retour, son père avait fait le projet de le marier, mais ce n’était pas facile de trouver une femme qui veuille vivre « là-haut » au domaine, d’autant qu’Auguste avait déjà la réputation d’avoir des oursins dans les poches, sauf quand il s’agissait d’honorer « ces dames » dans les « maisons » de Vaison la Romaine ou de Gap au soir des grandes foires agricoles.
En 1927, il avait atteint ses trente trois ans, et s’apprêtait à finir vieux garçon, quand l’idée de lui faire épouser «la petite » vint à sa mère. Certes Violette n’avait pas de dot, mais ça faisait longtemps que tout espoir de trouver une fille qui en apporterait une s’était envolé. Par contre, avec ses dix sept ans et son caractère docile il serait facile de la convaincre qu’on lui faisait une immense faveur, un grand honneur en la choisissant comme bru, de quoi pouvait-elle rêver de mieux, elle allait être la maîtresse du domaine où elle était née, elle allait récolter les fruits du travail de son père !!
-« Ici tu es vraiment chez toi !! Ce serai bête que tu partes ailleurs, tu es au Paradis ! »
Pourquoi a-t-elle accepté son sort sans rechigner ? Elle ne pouvait pas l’expliquer.
-« Si mes parents avaient vécus, je sais que mon père m’aurait aidé, mais ils sont morts de congestion pulmonaire un an après mon mariage, mon beau-père l’année suivante, quand à ma belle mère, elle est devenue gâteuse et j’ai du m’en occuper comme d’une enfant jusqu’à sa mort en 1943 »
Pendant cinquante ans, elle n’avait pas eu le droit de quitter sa maison, elle ne pouvait même pas participer aux travaux des champs, à cause de la jalousie de son mari qui redoutait comme la peste les ardeurs des ouvriers agricoles. Une fois par an, il la conduisait à la foire d’automne à Gap, afin qu’elle s’achète quelques blouses et autres vêtements.
Ses journées se passaient semblables les unes aux autres,
-« Fais le ménage, fais la cuisine, soigne ma mère, et tiens toi à ma disposition quand j’aurai des envies »
Pour seule compagnie dans la journée elle avait son journal et sa radio, pas un seul livre, le soir, elle occupait ses soirées à repriser les chaussettes, trier les lentilles, recoudre le linge.
La mort d’Auguste ne changea guère les choses, si ce n’est que de temps en temps, « elle traversait » pour se rendre à la ferme du domaine où son fils s’était installé, pour voir les films de Louis de Funès lorsqu’il en passait un à la télévision.
Violette promit à Marcelle et à Elie, que la prochaine fois que son fils irait à Vaison, elle lui demanderait de la laisser au passage chez eux et de la reprendre au retour.
Elle n’est jamais venue, dans l’hiver le journal du curé nous apprit qu’elle était décédée.