Un certain Jeudi, le 30 Juillet 1914, alors que nous nous rendions au magasin vers 9H, mon frère Jean acheta son journal en passant près d’un kiosque. Tout en marchant, sur le trottoir, à coté de moi, il ouvrit son journal. Brusquement, il s’arrêta pile: Un titre “Mobilisation générale en RUSSIE”, lui fit comprendre que les événements dont on parlait très peu depuis l’assassinat de l’Archiduc d’AUTRICHE prenaient une tournure dramatique pour nous. Nous n’étions pas préparés du tout à ce qui allait suivre.
Maurice RENOUX en 1917
Quand je dis “nous”, je veux dire la plupart des gens, car on ne croyait pas du tout à la guerre ; Pourtant, depuis le début du siècle quelques alertes sérieuses auraient pu nous inciter à nous méfier. Il est bien certain que dans les sphères gouvernementales les dirigeants étaient très attentifs.
Nous étions alliés avec la RUSSIE et “l’entente cordiale” régnait entre l’ANGLETERRE et nous (les livres d’histoire relatent cela très bien).
Arrivés au magasin la conversation roule sur cet événement et chacun interpellait son collègue pour lui demander quand il partait. Nous nous attendions à apprendre que la FRANCE, à son tour, prendrait des précautions et mobiliserait son armée. Je savais que mon frère Jean devait partir “immédiatement et sans délai” dès que le jour de la mobilisation serait connu. Nous allions voir notre frère Émile, le soir même, et nous entrâmes rue RAMEAU, attendant la suite des événements.
Ce n’est que le 1er Août à 11H environ, alors que nous étions tous les deux en train de boire notre café dans un petit bar, qu’un client arriva au comptoir et dit au patron “Ce coup-ci ça y est ! Les affiches sont posées au Ministère de la Guerre”. La mobilisation générale étant ainsi fixée au Dimanche 2 Août à 0hoo ; Mon frère devait rejoindre le 165ème Régiment à VERDUN. Comme il était prescrit, sur son fascicule de mobilisation, qu’il devait se procurer une paire de brodequins militaires, qui lui serait remboursée, il s’empressa d’aller au plus près (chez MANDFIELD) et nous allâmes dire “au revoir” à notre frère Émile qui ne partait que quelques jours après à CHALONS SUR MARNE, rejoindre son régiment au 5ème chasseurs à cheval. De son coté mon frère Félix rejoignait le 113ème Régiment à BLOIS. Le Dimanche je partis avec Jean à la gare de l’EST et je fus témoin de l’enthousiasme des réservistes... Quelques jours plus tard, j’en fis autant pour mon frère Émile. J’allais le chercher chez lui, Avenue Victor HUGO. Il était en tenue militaire de l’époque : tunique bleu ciel, pantalon garance, Képi rouge et bleu. Quand il sortit de l’immeuble les passants crièrent “VIVE L’ARMEE” et mon frère répondit “VIVE LA FRANCE” ! Ces deux cris reflétaient bien le sentiment général du moment, mon frère avait cru devoir faire passer la FRANCE avant 1’ARMEE.
Il avait été bien convenu avec mes frères que je devais retourner chez nos parents mais il me fallait attendre que les trains puissent amener les civils après la mobilisation. Je crois me souvenir que je partis le 19 Août et le voyage PARIS-CLERMONT FERRAND dura une nuit et une partie de la journée.
Enfin, je me retrouvais en famille dans l’angoisse générale de ce qui allait se passer. Une fois de plus mon oncle François me vint en aide en me trouvant un emploi chez un grossiste, draps, linge de corps, bonneterie etc. . . . Je gagnais 100 FF par mois, ce qui était bien pour un jeune homme de 17 ans. J’étais à 10mn à pieds de chez mes parents. Dans cette maison de commerce régnait une excellente ambiance, les deux patrons “DUCHE & MAGE” étaient bien “braves”. Le chef de rayon aussi et au dehors j ‘avais retrouvé mes anciens copains des “VILLES DU CENTRE”.
Nous sortîmes ensemble et nous faisions partie des “FRANCS ARVENNES”, société sportive où nous faisions de la préparation militaire et en conséquence du tir, du saut, de la boxe. Cela me servit beaucoup en arrivant au 26ème B.C.P en 1915, où je m’étais engagé pour la durée de la guerre.
A la 1ère séance de tir au fusil “LEBEL” à 200 mètres, on me fit coucher et l’on m’indiqua la cible, avec un centre noir gros comme une assiette. Une balle au centre comptant deux points, dans la cible : un point, et zéro en dehors.
L’instructeur, dès les huit balles tirées annonça le résultat : “Huit balles : seize points”. Le sergent, qui surveillait s’écriât : “Ce n'est pas possible, recommencez” : 2eme séance : pareil “huit balles : seize points”. Alors en rentrant au fort de NOISY LE SEC ; j’eus droit à un interrogatoire en règle par le capitaine. Cela me valu la haute considération des gradés et des copains.
Le groupe cycliste du 26ème B.C.P était indépendant des autres unités de ce bataillon. En campagne, il était un des éléments de la 1ère Division de Cavalerie, comprenant six régiments de dragons cuirassiers, hussards ou chasseurs à cheval. Le groupe cycliste permettait à cette époque un déplacement rapide et lointain, puisque nous faisions souvent des étapes de cent kilomètres avec tout le “barda”.
Au fort de NOISY LE SEC, où nous étions cantonnés, la classe 1916 était arrivée depuis peu et je fis une instruction militaire avec eux et j’avais été affecté au peloton des élèves caporaux. Nous allions très souvent faire des exercices au polygone de VINCENNES et je me retrouvais dans mon pays natal.
LES CHARS.
C’est sur ce polygone, dans la partie boisée proche de la caserne des dragons, qu’un jour dans la matinée au lieu d’exercices, nous fûmes placés à une dizaine de pas les uns des autres, le long du grillage qui entourait ce terrain. Nous reçûmes l’ordre de mettre “baïonnette au canon” et de ne laisser approcher personne. Intrigués cela ne nous empêchait pas de regarder ce qui pouvait se passer derrière nous. Le terrain était tout bouleversé, creusé de tranchées avec des tronçons de fil de fer barbelés. Nous vîmes arriver des civils en chapeaux melon et hauts de forme.
Il devait s’agir d’une commission de parlementaires et de techniciens, peut-être même des ministres. Nous entendîmes un grondement formidable et vîmes arriver du fond du bois un engin cahotant, mais qui franchissait tous les obstacles, tranchées et réseaux de fil de fer barbelés avec une grande facilité grâce à ses “Caterpillar” (chenilles), dispositif permettant aux roues de se déplacer sur une chaîne sans fin. (C’était l’ancêtre des chars qui furent construits par la suite et participèrent pour la première fois à l’offensive du 17 Avril 1917 sur le “Chemin des Dames”. Ce fut d’ailleurs un demi-échec, le type de char employé était trop ; volumineux, lourd et trop lent ; il offrait une belle cible à l’artillerie. Par la suite, des chars plus légers et plus rapides furent construits et firent merveille à partir de Juillet 1918).
MON BAPTEME DU FEU.
Alors que je revenais d’une permission passée à CLERMONT FERRAND, j’appris par un copain qu’un renfort de la classe 15 partait le lendemain matin. Aussitôt, je descendis au bureau, et je demandais à être reçu par le Capitaine Commandant. Je lui dis “Je viens d’apprendre, mon Capitaine, qu’un renfort allait partir pour le front, or, vous savez sans doute que je me suis engagé pour la durée de la guerre, en conséquence je désirerai partir avec le détachement.
Il me répondit : ”Je n’en attendais pas moins de vous, d’accord, vous partirez”. Nous débarquâmes du train en ARTOIS et nous nous dirigeâmes sur AIX NOULETTES, (62160) où nous fûmes répartis dans le groupe dont les vides avaient été comblés par le renfort.
Ayant laissé nos vélos avec les cuisines, nous montâmes en ligne par les boyaux rendus bourbeux par les pluies d’Automne. Nous arrivâmes dans la tranchée protégée par un réseau de fil de fer et en avant de réseau il y avait une série de trous d’obus aménagés où nous devions nous rendre en passant silencieusement sous les fils de fer car nous étions à une quinzaine de mètres des premiers allemands. Nous apercevions leur calot vert à bande rouge l’espace d’une fraction de seconde car eux non plus, ne cherchaient pas à recevoir une balle dans la tête. On les entendait très bien parler et chanter. Nous étions à l’abri des tirs d’artillerie car nous étions trop près.
Il y avait eu de nombreuses attaques, surtout en Mai 1915 et de nombreux cadavres n’avaient pas été enterrés. Quand on regardait par un créneau de la tranchée on apercevait toujours six à huit corps dans le champs du créneau !
LA BOUE.
Nous étions dans l’eau, souvent jusqu’au ventre et quand nous fûmes relevés, nous descendîmes dans un abri creusé dans le sol, assez loin d’où nous étions. A peine arrivé, je fus désigné pour aller chercher le ravitaillement, nous étions environ une vingtaine sous les ordres d’un adjudant.
Nous marchions avec peine dans ce boyau, où dans les parties les plus creuses, l’eau nous arrivait sous les bras. Malheur à celui qui glissait et tombait, s’il était seul, il ne pouvait plus se relever, la boue collante le maintenait dans cette position et il devait mourir si l’on ne venait pas à son secours. Par la suite, j’ai appris que des équipes spéciales suivaient les relèves avec des échelles et des cordages pour sauver ceux qui s’étaient enlisés.
Arrivés sur la route pavée (probablement la RN 37), que l’on appelait route de BETHUNE, nous devions retrouver les cuisines roulantes venues nous apporter le ravitaillement, le café et la soupe. Au bout d’un moment, j’avais l’impression d’avoir des cailloux dans mes brodequins et cela me faisait boiter (tant et si bien que l’adjudant s’en aperçut et me demanda gentiment ce que j’avais ; cela peut étonner de lire qu’un adjudant, réputé pour être très dur, puisse parler ainsi : Nous n’étions plus à la caserne et il devait être réserviste, de plus, e paraissais un gamin, je venais d’avoir dix-huit ans, et tout le monde m’appelait “petit” avec une nuance d’affection. Je lui dis donc ce que je ressentais et tout en m’aidant à marcher, nous arrivâmes aux cuisines placées au bord de la route. Les cuistots remplirent notre quart de café brûlant arrosé d’une rasade de rhum et après la distribution des vivres s’effectua. L’adjudant, en me montrant au caporal d’ordinaire lui dit ”Tu emmèneras ce petit à la cuisine et il reviendra demain avec vous”.
Je fus installé sur l’avant train qui traînait la roulante et un moment après nous étions installés dans les ruines d’un pays où les “cuistots” avaient leur dépôt. Ils avaient tous plus de trente ans et ne savaient que faire pour m’être agréable. Ils me firent un bon feu dans la cheminée avec des planches de caisses. J’étais assis devant l’âtre. Je mangeais ce que ces braves gens me tendaient. J’étais déchaussé et je me réchauffais. Tout à coup, je sentis une odeur de cochon grillé, machinalement je regardais mes pieds et je fus stupéfait de voir que ceux-ci avaient doublés de volume. Puis je m’aperçus qu’une braise avait sauté sur l’un de mes pieds, me brûlait sans me faire mal. Je compris aussitôt que j’avais les pieds gelés. Mes compagnons étaient aussi surpris que moi. Ils m’aidèrent à me coucher sur un tas de paille (car je ne pouvais plus m’appuyer sur mes pieds) et me couvrirent avec des couvertures. Le matin, le Major vint me voir et confirma ce que je pensais et il me fit une fiche pour être évacué sur l’ambulance 6/21 située à BRUAY LES MINES le 6 Novembre 1915.
“L’ambulance” était installée dans une école primaire (libre d’enfant), la région étant évacuée. Je fus couché et l’on me fit des enveloppements humides. Tout allait pour le mieux, jusqu’au jour où un obus de 380 vint éclater dans le pays. Toutes les 15mn il en arrivait un. Je revois encore, lors de l’éclatement du premier obus, notre infirmier, qui servait la soupe, sauter en l’air et envoyer son seau de soupe dans la chambre puis se coucher sous un lit.
Je repris ensuite contact avec mon unité (qui était au repos dans la région). Et nous préparions NOEL 1915.
Au début de Janvier 1916, je fus pris de coliques terribles et le Major diagnostiqua une crise d’appendicite. Je fus évacué dans une autre école à DOULLENS où je fus opéré quelques temps après. J’avais été endormi au chloroforme et je vomissais continuellement (les répercutions sur le ventre me faisait terriblement souffrir). Je fus envoyé à PONTIVY pour achever de me remettre. Je pus au mois de Mars 1916 rejoindre mon dépôt au fort de NOISY LE SEC. Je fus remis dans le rang, où je retrouvais mes anciens copains de la classe 1916. Je fus désigné comme instructeur de la classe 1917 qui venait d’être appelée. Le capitaine me fit appeler et me dit : “Tous vos camarades du peloton ont été nommés chasseurs de 1 ère classe. Vous serez donc nommé à la date du 16 Avril 1916.
Le 16 Septembre 1916 je fus nommé caporal afin d’encadrer un renfort qui partait pour le 27ème B.C.A (Bataillon de Chasseurs Alpins). Le 1er Octobre 1916 je fus appelé à la 5ème Compagnie. Nous étions au repos à GAILLEFONTAINE dans la SEINE MARITIME et tout près de la SOMME. Nous fûmes passés en revue par le colonel MESSING, ancien ministre de la guerre, qui commandait la 6eme Brigade de Chasseurs Alpins composée des 6ème,27ème, 28ème B.C.A et considérée comme une troupe d’élite (qui venait de se distinguer le 4 et le 12 Septembre 1916 en enlevant BOUCHAVESNES ). Je revois dans mon esprit le Colonel, à cheval, au milieu des trois bataillons formés en carré et nous criant “Chasseurs, vous allez avoir l’honneur de retourner dans la SOMME. Je compte sur vous tous pour que vous ne vous ne vous contentiez pas de faire que des prisonniers. C’est une guerre à tuer. Il faudra rapporter du sang dans vos bidons !”. Nous n’étions pas dupes et faisions la part de l’exagération. Nos jeunes officiers et aspirants, malgré le “garde à vous” impeccable risquèrent un bref coup d’œil qui en disait long.
J’ai eu peu après, la rare occasion de me trouver à proximité de la pièce de son P.C (du colonel), d’où il téléphonait à un officier qui était en première ligne : ”Commandant, il faut absolument que les parallèles de départ soient creusées cette nuit. Tant pis, on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs etc. etc..”.
J’avais été désigné par mon lieutenant pour aller au devant de la compagnie qui devait nous relever. Ayant rempli ma mission, je revins au “Ravin de l’Aiguille” où se trouvait le P.C ci dessus, j’entendais le bombardement sur les premières lignes et je me disais : ”Pauvres gars qui reçoivent cela”.
Le 4 Novembre 1916, nous prîmes position dans la nuit, nous devions attaquer le 5 à 6Hoo du matin. J’avais pour mission avec mes grenadiers de “nettoyer” les abris derrière la 1ère vague. Il nous avait été distribué six grenades quadrillées à chacun.
L’ATTAQUE DU 5 NOVEMBRE 1916.
Au cours de la nuit, un contre ordre arriva, reportant l’attaque à 11H3O. Nous attendîmes sous l’avalanche qui déferlait sur nos têtes ; je revois la terre voler de tous les cotés et j ‘avais l’impression que nous serions cloués sur place dès que nous sortirions des tranchées. J’étais au coté du lieutenant et à 11H10 il me cria : ”pousse-moi au cul que je sorte”, ce que je fis. Je n’avais personne, moi, pour m’aider et je pris ainsi un retard d’une vingtaine de mètres. Je fus tout étonné d’être vivant et je courus droit devant moi, si bien que je fus arrêté par un tronçon de réseau “Brun”, sorte de boudin en fil de fer d’un mètre de diamètre que l’on déroule très rapidement devant une tranchée ; je ne cherchais même pas s’il y avait une brèche à proximité, je me couchais dessus et l’ayant écrasé, je pus me dégager et continuer à courir, je vis bien des cadavres, mais j’étais tellement crispé que je ne regardais que devant moi.. J’aperçus, tout à coup, un énorme trou d’obus contenant une bonne partie de ma section (dont mon escouade à peu près au complet). Ils étaient en train de creuser la paroi du trou pour se protéger, en attendant peut-être mieux ( ?). Mon premier mouvement fut de me placer en position de tir, mais les gars me tirèrent pour que je sois aussi à l’abri. Ils paraissaient stupéfaits de la défense allemande. Un caporal de notre section spéciale répétait continuellement “Pour un bec de gaz, c’est un bec de gaz”. Cela dura des heures, je vis soudains deux sergents se lever et sortir du trou dans la direction des “boches” Qu’avaient-ils vu ? Je m’approchais du bord, je passais le buste : je ne vis rien ! Je recevais un choc formidable à l’épaule gauche (comme un coup de masse). Je croyais avoir le bras arraché et instinctivement ma main droite se porta sur mon bras gauche qui était toujours en place. Je m’attendais à m’évanouir me connaissant très sujet à cela, mais non. Je ne pensais qu’à me libérer de mon harnachement dont je n’avais plus besoin et les copains me crièrent “Fous le camps car on ne pourra pas t’amener, tu n’as qu’a sauter de trou en trou pour te protéger”.
C’est ce que je fis et j’arrivais ainsi à une tranchée, je m’y laissais choir ! Mon lieutenant était justement à proximité et me demanda à quel endroit j’avais été touché. Il me dit que le poste de secours n’était pas très loin dans le boyau, j’avais à peine fait une cinquantaine de mètres dans le boyau que deux mitrailleurs du 6ème B.C.A, sortant d’un abri, me proposèrent de faire mon pansement. Après avoir découpé la manche de ma capote, ils me mirent le torse à nu et tentèrent de me faire un pansement avec le paquet individuel, mais cela ne tenait pas et je me remis à marcher dans la direction du poste de secours. J’entendis alors des brancardiers crier : “Tous les blessés qui peuvent marcher ont intérêt de descendre au poste de secours, ils gagnent du temps, car nous ne sommes pas assez nombreux”. C’est ce que je fis, je m’arrêtais souvent pour reprendre des forces qui commençaient à m’abandonner. Ce boyau me paraissait long ! J’étais obligé de piétiner les morts. Mon moral n’était pas brillant. Un détachement me croisa et j’implorais les gars pour qu’ils me conduisent au poste de secours, ils me répondirent qu’ils allaient en ligne creuser des parallèles de départ et qu’ils ne pouvaient pas.
Quand le dernier passa, je m’accrochais désespérément à son équipement en lui demandant de me conduire au poste de secours. Il me dit “attends-moi là, je vais prévenir les brancardiers, le poste est tout près”. Il repassa peu après suivi des brancardiers qui m’emmenèrent et me firent descendre dans la cave servant de poste de secours. Le Docteur me fit une injection antitétanique et me fit un pansement normal. En remplissant ma fiche d’évacuation et voyant mon écusson : 27, il s’écriât “Mais pourquoi es-tu venu te faire soigner ici, c’est le poste du 28ème B.C.A “. Je lui dis que je m’étais trompé mais que du fait qu’il soignait les prisonniers allemands, il pouvait bien en faire autant pour moi.
Un peu plus tard je fus emmené par quatre brancardiers au poste de secours de la brigade. Une fois sorties du boyau, ils marchèrent à découvert, ce qui était éprouvant pour moi. Enfin ! , Ils arrivèrent et me déposèrent sous une grande tente, où un infirmier vint me voir pour examiner ma fiche et mon pansement, il me dit “Ta blessure est très grave, il ne faudra pas remuer, ni chercher à boire, si tu le veux, je vais écrire à tes parents, dicte-moi l’adresse”. Il me relut et fit partir la lettre, qui est bien arrivée et que j’ai classé avec toute la correspondance de cette période (correspondance que Pierre 1 conserve). Enfin une auto ambulance arriva et mon brancard fut glissé après d’autres brancards et nous partîmes par une route défoncée et cahotante pour arriver enfin à l’hôpital d’évacuation, situé près de la ligne de chemin de fer. Je dormis un bon moment en attendant d’être transporté à la salle d’opération où les infirmiers m’installèrent sur la table en disant : “Le chirurgien va venir, ne remues pas”. Cette recommandation était superflue, j’étais tellement épuisé, tant par ma blessure que par la fatigue, que je me suis retrouvé vers dix heures du matin dans un grand baraquement contenant une centaine de lits. Un peu plus tard, le Major vint voir les opérés. Il me demanda quelques renseignements et me dit que je partirai avec le premier train sanitaire.
La nuit arriva et, avec elle, les avions de bombardement attirés par cette immense gare de triage où se trouvaient également des trains de munitions ; toute la nuit ce fut un fracas épouvantable, causé par la DCA, par les bombes et surtout par le crépitement ininterrompu des munitions des trains touchés par les bombes. Pensez à ce que pouvait être notre moral ? Après avoir échappés à la mort, heureux d’être encore vivants mais craignant qu’au moment de partir notre train ne soit touché et nous avec.
Enfin, nous fûmes placés dans des wagons spéciaux, et ceux qui étaient de la Région Parisienne furent assemblés dans les mêmes wagons. Dans la journée, nous arrivâmes dans une gare et chargés dans des ambulances pour être conduits (pour mon cas), à l’Hôpital Militaire BEGIN à VINCENNES. Je pus donc prévenir mes parents et amis. Quelques jours après, le médecin chef me fit enlever les deux drains que j’avais dans l’épaule, ce qui paraissait indiquer une amélioration.
Peu de temps après, ayant appris que je pouvais demander mon transport dans un autre hôpital, je fis ma demande pour aller à l’hôpital auxiliaire situé à l’Hôtel LUTECIA, près du magasin du “Bon Marché” (où mon père était revenu travailler en 1915). Parmi les infirmières se trouvait la femme d’un cousin germain à mon père, Jeanne DUVAL dont le mari était pépiniériste à LIEU-SAINT (SEINE & MARNE). I1 était mobilisé dans un service d’intendance. Ils avaient un fils Henri qui pouvait avoir 16 ou 17 ans à l’époque.
Je fus transféré donc à cet hôpital et fus examiné par le chirurgien. Il me palpa sous l’aisselle gauche et demanda à mon infirmière (d’origine anglaise) une sonde cannelée, sans me prévenir, il enfonça cette sonde dans la cicatrice refermée et aussitôt le pus s’en échappa. Le Docteur dit à Madame ROUSSEAU, mon infirmière : ”C’est bien ce que je pensais, il va falloir enfoncer des mèches le plus profondément possible pour que le pus s’écoule normalement et que la plaie ne se referme pas trop vite”. Ce qui fût fait ; Cela me faisait tellement souffrir que je m’évanouissais chaque fois qu’on tirait la mèche. Le 10 Février 1917 le chirurgien décida de me faire un curetage pour enlever les parties pourries de l’os. Je paraissais aller mieux ; mais en Avril le Docteur décida de m’envoyer à l’Hôtel Dieu pour un examen radiologique. J’appris ainsi qu’ils restaient de nombreuses esquilles. Je fus donc opéré le 11 avril. Je me sentis de nouveau mieux, à tel point que le Docteur décida de m’envoyer dans un hôpital en convalescence à CHARENTON.
Un jour, je sentis au toucher que j’avais un corps étranger à fleur de peau sur la clavicule, je le sentais et pouvais même le saisir avec mes doigts. J’en fis part au Docteur qui me renvoya à LUTECIA, où le chirurgien m’enleva un éclat d’obus (gros comme ce dessin À peu près).
Cette blessure est pour le moins curieuse, à l’origine, le Médecin du poste de secours a marqué sur sa fiche “Plaie transfixante par balle, comportant une entrée près de la tête humérale gauche et une sortie sur l’épine de l’omoplate gauche”. Il n’y avait qu’une entrée, c’était donc un éclat d’obus qui avait été retiré et non une balle.
Par la suite, au cours de ma carrière administrative, nous étions soumis à des examens des poumons par radiographie et souvent les médecins me disaient. “Mais vous avez encore des petits éclats qui se trouvent dans la région de la cicatrice”. Deux médecins me firent la même remarque à cinquante ans d’intervalle, la première fois quand je suis entré en 1921 à la “SOCIETE GENERALE” par le médecin qui passait la visite médicale des nouveaux employés, la seconde fois par le médecin (femme) en 1972. Tous les deux s’étaient écrié “Vous ne devriez pas être vivant, en tenant compte du point d’entrée et du point de sortie de l’éclat, sur son trajet passent trois artères et les nerfs du bras ! Or, si les artères avaient été touchées, c’était la mort par hémorragie en quelques minutes, si ça avait été les nerfs vous ne pourriez plus remuer le bras, dans quelle position étiez vous lorsque vous avez été blessé ?”.
J’ai du expliquer que mon bras gauche était appuyé sur la paroi du trou d’obus, qu’en outre mon buste était penché en avant.
“Oui en effet “ dirent les deux médecins, dans cette position l’on peut se rendre compte que vos muscles avaient laissé un passage, déplaçant nerfs et artères”.
Les faits sont là : ”J’ai eu une sacrée veine, c’est tout”.
Pour en revenir en 1917, je fus transféré à L’hôpital secondaire rue d’ALESIA, dans le 13ème arrondissement, c’était un entrepôt des cafés “AUX PLANTEURS DE CAIFA”, c’était moins luxueux que l’Hôtel LUTECIA, mais je pouvais sortir librement, sauf en cas de pansement.
MA RENCONTRE AVEC UN GENERAL D’ARMEE
Un jour que j’étais allé, 7 rue RAMEAU, et que j’allais voir mon père au “Bon Marché”, en passant sur le pont du CARROUSEL, j’aperçois venant à ma rencontre, sur le même trottoir, un général. Dès que je fus à proximité, je lui fis un salut impeccable, en le regardant droit dans les yeux ! Il s’arrêta à ma hauteur et me dit : ”Petit, je vois que tu es du 27ème B.C.A, que tu es blessé et que tu as la Croix de Guerre, étais-tu avec moi dans les VOSGES ?”.
“Non, Mon général, je suis arrivé en renfort dans la SOMME, où j’ai été blessé le 5 Novembre 1916”.
“J’espère que tu vas mieux, mais si tu retournes à ton bataillon, tu souhaiteras le bonjour à tes camarades de la part du général de MAUDHUY, le père des chasseurs”.
Dans ce court laps de temps les passants s’étaient déjà groupés autour de nous, sympathiques. Le général me serra la main, et nous nous séparèrent. J’appris ensuite que le général de MAUDHUY fut plus tard nommé gouverneur de METZ.
MA RENCONTRE AVEC UN BARYTON D ‘ OPERA.
Pour en revenir à l’Hôpital de la Rue d’ALESIA, j’y fis la connaissance d’un baryton d’Opéra, CABUZAC, il était de TOULOUSE, et avait, comme beaucoup de ses compatriotes, une voix pour faire un chanteur.
Sa voix était puissante et bien timbrée. Il connaissait bien la science du chant. Il était invité à donner une audition chez des particuliers. Il avait chanté à l’Opéra de MONTE-CARLO et le Directeur qui l’avait entendu, lui avait dit “Si votre jambe peut être arrangée, je vous ferai rentrer à l’opéra de PARIS”.
CABUZAC avait été blessé très gravement à une jambe. A cette époque les greffes d’os ne paraissaient pas être employées. Hélas, le pauvre gars avait un raccourcissement de la jambe de onze centimètres ; Or à l’opéra de PARIS, il lui aurait fallu jouer le répertoire, et certains rôles se jouaient en collants ! , Un appareillage n’était pas possible.
Il ne devait plus tard, que donner des auditions à la Radio ou chez des particuliers.
Quant à moi, ainsi que je l’ai déjà signalé, j’étais donc à l’hôpital. Rue d’ALESIA à PARIS dans le 13ème arrondissement, et j ‘avais la facilité de sortir comme je le voulais. C’était au cours de l’été 1917.
LA CONGESTION CEREBRALE DE MON PERE.
Donc, pendant l’été 1917, je passais tous mes Dimanches avec mon père, (ma mère était restée à CHAMALIERRES avec sa mère et sa tante Émilie). Un Dimanche, il fut convenu que ma belle-sœur Paulette (la femme de mon frère Émile), viendrait déjeuner avec nous. Elle avait leur fille Suzanne qui avait trois ans.
Après le déjeuner nous allâmes aux TUILERIES, pour écouter un concert donné dans les jardins autour du kiosque, Paulette conduisait Suzanne autour du bassin et voir “GUIGNOL”. Il faisait très chaud, mon père se renversa sur sa chaise, inerte, frappé d’une congestion cérébrale. Une infirmière qui se trouvait par hasard, à proximité me dit ”coupez-lui vite le lobe de l’oreille pour le faire saigner. Ce que je fis aussitôt avec mon couteau de poche. Paulette arriva auprès de nous, un agent nous ramena à la maison ; l’infirmière avait ajouté : “Il faudra le coucher, lui mettre de la glace sur la tête et des sinapismes aux pieds”. C’est ce que je fis avec l’aide de l’agent. Nous habitions au 6ème étage je m’évanouissais. Une fois allongé, je revins à moi rapidement, cet agent avait été très complaisant. Le docteur arriva en fin d’après-midi. Il écouta nos explications, et dit “C’est parfait, retenez bien ceci : tête froide, ventre libre, pieds chauds”.
(Je crois me souvenir que c’est à partir de cette époque que ma mère, laissant les deux pauvres vieilles à CHAMALIERES, revint vivre à PARIS, jusqu’à ce que mon père aille mieux et puisse reprendre son travail).
Au cours de l’hiver 1917/1918 j’eus l’occasion de revoir mes frères Jean et Émile (Émile était déjà marié et papa). Quant à Félix il était prisonnier. Après une convalescence, je rejoignis mon dépôt situé à MENTON (ALPES MARITIMES), le 10 Janvier 1918. J’y fus peu de temps, cependant, un jour, je fus appelé au bureau de la Compagnie et le Capitaine me dit “Mettez-vous en tenue de sortie, car vous irez chez la marraine du Bataillon, elle a un peintre chez elle qui voudrait peindre un chasseur.” Elle avait une somptueuse villa sur la promenade des Anglais, Madame WHITNEY était américaine et pouvait avoir cinquante soixante ans. Un valet de chambre vint m’ouvrir la porte et me conduire au salon. Elle, (Mme WHITNEY), me fit asseoir et me demanda des renseignements sur ma famille et me fixa un jour pour que l’artiste puisse faire son premier croquis. Je revins quelques jours après pour lui dire que j ‘avais une permission pour PARIS et que je m’excusais de ne pouvoir donner suite à son invitation. Elle appela son valet de chambre et lui donna des ordres. Quand elle revint, elle me remit une panière en roseaux garnie de fleurs et de mimosa pour ma mère.
LA MORT DE MON FRERE JEAN.
J’eus encore l’occasion de revoir mon frère Jean à MARSEILLE, alors que je rejoignais à LODEVE le dépôt d’un régiment d’artillerie lourde ; j’avais été en effet changé d’Arme par la commission de réforme. J’y fus quelques jours seulement et dirigé vers le camps de SATHOLAS près de LYON, pour apprendre à conduire le matériel automobile, Pendant cette période, notre instruction fut suspendue ; Ces cours étaient spéciaux pour être nommé sous-officier. Un jour, nous fûmes alertés et embarqués en camion pour LYON, arrivés au premier pont, le chef de détachement ouvrit une enveloppe, où des instructions précises lui étaient données et à 7Hoo du matin, nous nous trouvions devant la Trésorerie Générale et le Directeur fut mis au courant des ordres venant du Gouverneur (Militaire) de la place.
Permis de Conduire Militaire de Maurice RENOUX en 1917
Nous fûmes installés à différents endroits à l’intérieur et l’on nous fit répartir le matériel venu avec nous : outils divers, fil de fer barbelé, caisses de grenades, cartouches etc.. . On ne savait toujours pas ce que cela voulait dire. Dans la journée, nous avons appris que le gouvernement craignait une révolte dans LYON. Il fallait voir la tête des gens à l’ouverture de la Trésorerie, la porte n’était qu’entre ouverte et deux soldats en arme, baïonnette au canon étaient placés de chaque côté. Les employés posaient bien des questions, auxquelles nous ne pouvions pas répondre.
Cela dura quelques jours et nous retournâmes au camp. Ayant réussi l’examen de sortie de stage, je fus nommé Maréchal des Logis le 5 Août 1918 et versé au 271ème R.A.C.P, le 14 du même mois. Nous allâmes à la caserne de la PART-DIEU chercher des camions BERLIET neufs. Puis en deux ou trois étapes nous rejoignîmes la région de FONTAINEBLEAU à CHATEAU-LONDON. Après avoir été répartis dans les batteries, nous rejoignîmes le front à la fin du mois d’Août. A la première étape, nous fîmes halte près de CHATEAU-THIERRY à GRISOLLES où nous devions rester quelques jours.
Comme je n’étais qu’à vingt-cinq kilomètres environ du cimetière où était enterré mon frère Jean tué le 30 juin 1918, j’en causais à mon lieutenant, très gentil et compréhensif, il me dit “Je ne peux pas vous autoriser à vous absenter, mais partez, je m’arrangerai et, s’il y a lieu, je trouverai une explication”.
Je pus ainsi faire l’aller et retour dans la journée, ayant vu la famille de VANDIERES qui entretenait la tombe. Je pus correspondre avec elle par la suite. Puis mes parents et mes frères vinrent en pèlerinage au moins tous les ans.
LA MARNE, LA CHAMPAGNE, LES ARDENNES.
Ayant complété notre instruction, nous fûmes installés en réserve, car notre régiment était un élément non endivisionné (E.N.E), tantôt renforçant l’artillerie divisionnaire dans un endroit, tantôt dans un autre (c’était un des premiers régiments entièrement motorisés).
Ce fut d’abord l’attaque de FISINE dans la MARNE, où pour la première fois, mes camarades me firent tirer un coup de canon. Le personnel d’une batterie se composait d’artilleurs et de conducteurs, comme dans les régiments hippomobiles. Cela n’a rien d’extraordinaire, sauf que ces “coquins” de camarades ne m’avaient pas prévenu de la précaution élémentaire à prendre : regarder dans la direction du tir, je m’étais placé au contraire !!! Et mon oreille gauche reçut la déflagration et me fis rester sourd de cette oreille pendant quelques temps.
Puis le 26 Septembre 1918, nous participâmes à l’offensive de la 4ème Armée du Général GOURAND, avec comme objectif initial pour le secteur la ferme de WACQUES, en CHAMPAGNE, au nord d’AUBERIVES. Puis rapidement ce furent les ARDENNES où j’appris que mon frère Émile était dans la région avec la Division de cuirassiers à pieds.
HOSPITALISATION DE MON FRERE EMILE, GAZE.
Dans les ARDENNES, j’appris que mon frère Émile était gravement “gazé”, donc atteint par “l’ypérite” et qu’il était à l’hôpital de BAR-le-DUC, j’eus l’occasion de traverser cette ville dans le courant Octobre 1918, alors que nous allions prendre position autour de METZ, pour une offensive devant avoir lieu le 12 Novembre. Cette offensive fût arrêtée en raison de l’Armistice du l1 Novembre 1918.
Je pus m’arrêter en passant devant l’hôpital pour voir mon frère Émile. Je ne pouvais dissimuler mon émotion car j’avais de la peine à le reconnaître. Sa voix était rauque et à peine audible, ses yeux étaient rouges et injectés de sang, la peau du cou brunâtre. Je sus bien longtemps après que ma visite l’avait incité à demander une glace pour voir ce qui avait pu m’émouvoir. Il comprit la gravité de son état; fort heureusement pour lui, respectueux des conseils donnés, il n’avait pas mangé, sachant que dans cette nappe de gaz, les aliments devenaient particulièrement nocifs.
Cette guerre était terminée, mais notre régiment fut envoyé en ALLEMAGNE jusqu’au mois de Juin 1919. Notre régiment fut dissout pour reconstituer le 53ème RACP à CLERMONT-FERRAND. J’étais favorisé par le hasard, malgré les blessures qui laissèrent des séquelles impressionnantes.
A CLERMONT-FERRAND, j’étais heureux car je pouvais voir mes parents tous les jours.
Je fus démobilisé le 13 Septembre 1919, au fort de CHARENTON près de PARIS, où j ‘avais été transféré en raison de mon ancien domicile.