Je tiens toujours mes promesses, (enfin presque), il y a quelques semaines, en postant un com sur une note de mon amie Aude Terrienne j’évoquais le grand Nord, c'est-à-dire pour moi tout ce qui se trouve au dessus de Montélimar. Et là, vlan, Aude me met à l’amende et me demande de lui écrire quelque chose sur le nougat. Etant en pleine écriture sur mes souvenirs de lycée, je lui ai promis de m’exécuter dans un délai d’un mois. Je l’admets volontiers, j’ai légèrement dépassé la date, mais qui puis-je ? J’avais le texte à diffuser sur l’armistice de 1918, et je n’ai pas encore le pouvoir de déplacer le 11 Novembre sur le calendrier.
Aujourd’hui, je ne peux plus reculer, sans prendre le risque de voir mon effigie en poupée Vaudou martyrisée par des épingles à linge (oui, Aude n’utilise pas les épingles qui piquent mais celles qui pincent les oreilles, le nez, le bout des doigts etc.)
Donc, à propos de nougat, je vais vous parler de l’oncle Paul et de la Tante Augustine qui était la sœur de ma grand-mère maternelle (la gentille sorcière, pour ceux qui suivent) Nous les voyions qu’à l’occasion des grandes vacances, lorsque nous descendions dans le midi (c’est-à-dire en dessous de Montélimar) afin de rendre visite à la famille de ma mère au fin fond de notre beau conté de Nice, d’où la misère de l’après guerre nous avait arraché peu après ma naissance.
Au cour de notre séjour, quand nous ne savions que faire nous allions chez l’oncle et la tante qui étaient plus âgés que mes grands-parents. L’oncle Paul était un ancien marin (qui avait fait deux fois naufrage), mon cousin Alain (qui avait une vingtaine d’année à cette époque) et mon père se faisaient un plaisir de lui faire raconter celui, durant la première guerre, où il s’était retrouvé à poil, ainsi qu’une femme de chambre, dans une chaloupe de sauvetage, un officier sortant son revolver et criant « le premier qui touche à cette femme, je lui brûle la cervelle ».
A partir de là, le jeu consistait à interrompre l’oncle dans son récit, afin de lui faire répéter des détails ou de lui poser des questions sur la femme de chambre, (non ce n’était pas Nafissatou Diallo) par exemple, si c’était par hasard qu’ils étaient nus tous les deux, ou bien quelles précisions croustillantes sur l’anatomie de la demoiselle etc. Mille détails et milles questions dont ils connaissaient les réponses mais qui embrouillaient l’oncle Paul. Pour corser le tout ils lui offraient immanquablement du nougat mou (de Montélimar, bien sûr, ma promesse est tenue). Vous allez me demander pourquoi ? Parce que l’oncle avait un dentier, je dirais même un dentier baladeur, ce qui est incompatible avec la consommation de caramel ou de nougat. Et à chaque fois, ça marchait, le malheureux avait du mal à articuler, s’embrouillait encore plus, d’autant que les deux neveux farfelus faisaient semblant de ne pas comprendre et lui demandaient de répéter. De temps à autre l’oncle devait retirer son appareil pour le nettoyer, mais, à peine l’avait-il remis en place qu’il se voyait proposé aussitôt un nouveau morceau de nougat, qu’il ne refusait pas, tant il était gourmand.
L'oncle Paul avec sa casquette au départ de la Micheline
A la fin des vacances, il nous escortait avec le reste de la famille jusqu’à la gare, où nous prenions la micheline de La Compagnie de Provence, qui nous conduisait à Nice, prélude à notre retour dans le grand Nord, par le Paris- Lyon- Méditerranée de la SNCF. Dans le train tandis je rêvais des farcis à la niçoise de ma grand-mère, de sa tourte aux blettes et de ses tartes aux confitures qu’elle portait cuire au four à bois du boulanger les jours de fête, mon père imaginait déjà ses retrouvailles avec l’oncle Paul l’année suivante. Pensait-il qu'un jour j'interdirai à Jeanne de lui offrir des Nougats ?.