Monsieur Lavigne, maître d'internat (2ème partie)

 
Lorsque j’écris que l’ordre allait pouvoir régner sur l’étude de Monsieur Lavigne, je devrais plutôt dire « le silence », car le moindre bruit, cahier qui tombe, murmure entre élèves, sortait notre maître d’internat des travaux d’écriture qu’il effectuait pour le compte de l’administration du Lycée, dans un temps où nulle photocopieuse ne venait en aide aux secrétaires de Monsieur Le Proviseur.
Nous le croyons, en apparence concentré sur son travail, mais en réalité, s’il gardait tout le temps la tête baissée sur ses documents son regard balayait l’étude régulièrement. Au moindre bruit, il se redressait et ses yeux se plantaient sur le fautif qui, en murmurant quelques excuses, se replongeait dans ses devoirs. Rien ne lui échappait, je suis sûr qu’il savait exactement combien de « pendus » à son effigie se balançaient au plafond de la salle sans pour autant les avoir regardé une seule fois, il s’en fichait, du moment où cela ne se faisait pas devant lui et que ça ne troublait pas le silence. Il avait aussi pour mission de veiller à ce que nous fassions nos devoirs. Sans quitter son estrade, il était à même de détecter celui qui lisait une bande dessinée ou un « OSS 117 » en faisant semblant de potasser une leçon. Il marmonnait deux ou trois mots, sa tête oscillait au dessus de ses écritures avant de se relever, son cou long et décharné comme celui d’un poulet propulsait son regard sur le cancre de service qui n’avait que quelques secondes pour remettre son livre dans son casier. Et surtout qu’il ne s’avise pas de recommencer, il n’y avait pas de deuxième avertissement, car le doigt de monsieur Lavigne lui ferait signe de venir porter l’objet du délit jusqu’à son bureau pour confiscation immédiate. Si nous ne savions pas quoi faire pendant nos heures d’étude, lui, il  savait nous occuper. La lecture de « Bug John » « Akim » ou « black le rock » se transformait en exercice de math ou de grammaire.
Jamais je n’oublierai « l’étude du vendredi soir ». Le jour ou monsieur le surveillant général venait déposer sur le bureau de Monsieur Lavigne, les petits papiers sur lesquels d’autres pions avaient inscrit nos noms, parce que nous avions couru dans un couloir, crier au réfectoire, fumer dans les toilettes, que sais-je encore, sans oublier ceux des profs qui nous avaient trouvé trop insolents, ou qui nous avaient surpris en train de « pomper » pendant une interrogation écrite.
Monsieur Lavigne était chargé de noter « les consignes » dans un cahier et de remplir le formulaire annonçant la sanction et le motif de la punition, formulaire qu’il nous remettait à la fin de l’heure d’étude et que nous devions faire signer à nos parents.
Ceux qui n’avaient pas la conscience trop tranquille étaient dans leurs petits souliers espérant passer quand même à travers, sait-on jamais, un instant de « bonté », un papier qui s’égare, un miracle en quelque sorte, ça peut arriver.
Bibémus.jpgNous regardions monsieur Lavigne étaler et classer les feuillets devant lui, il les lisait attentivement, quand il avait fini la lecture de chacun d’entre eux, il regardait fixement le « bénéficiaire » de la punition, quelques secondes à peine qui durait le temps d’une exécution, la mise à mort de nos projets de sortie dans nos familles. Monsieur Lavigne ne commentait pas, mais nous savions aussitôt ce qu’il pensait, à sa façon de hocher la tête il nous disait « Tu l’as bien cherché » « Ça te pendait au nez » « Ce n’est pas malin de se faire prendre par si peu » Mais le pire, c’était quand son regard nous fusillait longuement, aucun de ses traits ne bougeait, nous nous sentions transpercés par ses petits yeux acérés,  nous savions alors que la faute était impardonnable. Au lieu d’aller chez nous, nous irions le dimanche suivant nous promener aux carrières de Bibémus pour y admirer la Sainte Victoire



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