Le 31 janvier est passé, nous allons pouvoir remettre au placard notre belle boîte à vœux, non sans avoir établi une liste d’or de ceux qui nous ont répondu, voir même, qui ont pris l’initiative de nous écrire, ainsi que la liste noire des autres, ceux à qui nous envoyons chaque année une petite carte mais qui ne répondent jamais, pas la moindre lettre, pas le moindre coup de téléphone. Promis, juré, l’an prochain, c’est terminé, ils ne verront pas la moindre trace du moindre petit mot enrobé des vœux traditionnels.
J’écris cela, mais je sais bien que mon immense bonté naturelle reprendra le dessus, et comme César dans l’arène, je lèverai le pouce en l’air, en me promettant re-promis, re-juré que ce sera la dernière fois.
Tout cela pour en venir à mon oncle Renato, (en fait c’est mon cousin, mais comme il a vingt ans de plus que moi……) Comme chaque année, je leur avais envoyé ma petite carte, et comme à chaque fois, ma cousine germaine Germaine (non, non, je ne bégaie pas, ma cousine germaine s’appelle Germaine) m’a téléphoné pour me remercier. Nous avons discuté un moment, et puis, soudain, dans le lointain, j’ai ouie la voix de Renato qui criait « Eh, demande lui s’il se souvient quand je l’aidais à faire le mur !!! »
Vous l’aurez compris, nous ne parlons pas de maçonnerie ! Point ici d’allusion au mur du jardin, ou à la clôture de la maison. Notre mur à nous, c’est bien celui de la caserne !!!! Pas besoin de ciment, ni de parpaing pour le faire, dix secondes et une envie de courir suffisaient à le réussir en finesse.
Que voulez vous, on ne peut pas demander à un varappeur de se laisser impressionner par un petit mur de trois mètres de haut. Donc, chaque fois que j’estimais qu’il était nécessaire de m’absenter de la caserne, sans avoir à demander une permission, et surtout sans avoir à passer devant un cerbère qui m’aurait examiné de la tête aux pieds, juste le temps de trouver un motif pour me renvoyer dans ma chambrée (cheveux trop longs, plis de la chemise non réglementaires, un brin de poussière sur les godasses, j’en passe et des meilleurs), chaque fois donc, que je voulais « feinter » je sautai le mur de la caserne. Je dois vous dire que cette opération était largement facilitée par le fait que le jardin de l’infirmerie où je travaillais, était adjacent à l’enceinte de notre casernement. Un brave figuier était là pour nous faire la courte échelle, et je ne remercierai jamais assez les services techniques de la ville de Nice, d’avoir eu la bonne idée de planter un poteau électrique en béton de l’autre coté du mur. J’atterrissais dans une petite venelle desservant quelques ateliers d’artisans qui rigolaient bien en nous voyant nous barrer en douce.
C’est là, que parfois, m’attendait Renato quand il m’invitait chez lui pour un bon repas italien, parfois même il me prêtait sa voiture pour rentrer le soir, je la laissais dans la ruelle, et il venait la récupérer le lendemain.
Mais je dois vous faire un aveu, Je n’avais pas attendu l’heure du service militaire pour m’adonner à l’art de l’escapade. Huit années d’internat, (j’oserai même dire de pensionnat) avaient fait de moi un grand, un très grand spécialiste « de l’absence non autorisée »
Dès la sixième je suis tombé dedans, un vrai accro, au départ je n’y avais pas pensé, c’est un grand qui m’a initié, Il faut vous dire qu’en ce temps là, être interne, ça signifiait sortir que tous les quinze jours, et oui !!!! Il n'y avait que les premières et les terminales qui pouvaient, le dimanche et le jeudi, se rendre en ville seuls, à condition d’avoir un correspondant.
Le Dimanche, la plus part des autres allaient à la messe, nous n’étions qu’une poignée à rester à l’étude, jusqu’au jour où un petit malin m’a expliqué le coup !!!
« Quand tu vas à la messe, ce n’est pas interdit d’avoir envie d’aller pisser ?»
« Ben non ! »
« Y’a pas de WC dans la cathédrale, donc il faut sortir !! »
« Et alors ? »
« Y’a pas de toilettes sur la place, donc tu ne peux aller qu’au bistrot, pour utiliser leur WC tu dois consommer, et voilà, si on te demande des explications: t’as eu une envie pressante, tu n’as pas eu d’autre choix que celui-là »
« Et les pions ? »
« Pas de soucis, eux aussi ils ont envie d’aller aux C…., et tu verras, ils iront aussi au bistrot, mais pas le même que nous, normal, ils vont rejoindre les pionnes !!!! »
Pendant huit ans j’ai pratiqué la religion avec énormément de ferveur, et dans tous les lycées que j’ai fréquentés, j’ai vu à l’heure de la messe des élèves sortir par la porte de gauche tandis que les surveillants passaient par celle de droite. C’est grâce à cela que j’ai pu me tenir au courant de l’actualité alors qu’il était strictement interdit d’introduire des journaux ou des transistors dans les établissements scolaires. Dès que j’entrai dans un café, je faisais une razzia sur les journaux et les Paris-Match qui traînaient et je les dévorais tout en sirotant ma grenadine.
Et puis avec l’âge est venue l’expérience, les fausses autorisations de sortie pour aller chez le dentiste, puis au cours d’auto école, aux entraînements de clubs de sports qui n’ont jamais vu l’ombre de ma petite personne. Vers la fin il y eu même les clefs des escaliers de secours que l’on refaisaient faire en ville et qui nous permettaient de nous barrer, en pleine nuit, le samedi soir pour aller en boîte.
Tenez, je vais vous livrer un petit truc, « ne jamais chercher à imiter une signature » ça ce voit tout de suite, non, signer plutôt n’importe quoi mais de façon naturelle et spontanée, en 1968, mon soi-disant correspondant paraphait ma carte de sortie d’un magnifique et majestueux « Pompidou ».
Ah, si j’avais disposé à cette époque d’un ordinateur et d’un scanner, que n’aurai-je pas fait. !!!!, Car ne croyez pas que j’ai mis fin à mes talents de faussaire en quittant le lycée un beau jour (très beau jour) de mai 68 pour n’y remettre les pieds que trente ans plus tard. L’armée m’a donné l’occasion de réveiller mon talent, fausses permes et titres de transport SNCF bidouillés ont fait partie de mes grandes œuvres (Y’a prescription depuis).
Par la suite, je me suis contenté de faire des blagues à des collègues de travail, ou à la famille, quelques fausses affiches de cinéma, sans jamais tomber dans le canular de mauvais goûts ou dans la méchanceté.
Cependant, je suis certain au moins d’une chose, quand plus tard, bien plus tard, je serai en maison de retraite, même en fauteuil roulant, avec ou sans l’aide de Renato, j’arriverai encore à faire le mur.