Je sais ce que tu vas me dire : quel rapport entre la viande halal et ta grand-mère ? Aucun, si ce n’est que….
Bon, reprenons du début, ma grand-mère paternelle, issue d’une famille de petits artisans de droite catholique, a été élevée par les bonnes sœurs, ce qui fit d’elle, à vingt ans, une féministe anticléricale. Ayant décroché son brevet élémentaire (ce qui n’était pas rien en ce début des années 1900), elle passa le concourt de « La Poste » afin de devenir receveuse et d’être financièrement « indépendante ».
INDÉPENDANTE ? Mais quelle horreur pour la famille, qui se mit en devoir de lui trouver, avec l’aide du curé, un « beau parti », car c’est bien connu, rien ne vaut un beau mariage pour ramener une jeunesse écervelée dans le droit chemin. On présenta donc à ma grand-mère des jeunes gens, d’un bon niveau social, tous bons catholiques, et bien entendu, l’un d’entre eux finit par plaire à la demoiselle que l’on maria en 1913. La naissance de ma tante Luce, en juillet 1914, acheva de rassurer la famille, la rebelle se métamorphoserait en mère au foyer et tout rentrerait dans l’ordre. « Ils » en étaient sûrs.
Je sais que tu as déjà deviné la suite : Jeune mariée en 1913, jeune maman en 1914, jeune veuve en 1915, ma grand-mère découvrit en recevant les affaires de son défunt mari que celui-ci avait une maîtresse (mariée) depuis bien avant leur rencontre. Ce bon chrétien catholique bien pensant n’avait fait qu’un mariage de convenance, lui permettant de rendre plus discrète sa liaison avec l’épouse volage. Tout le monde le savait, y compris le curé, sauf ma grand-mère, bien entendu,
Le vent de la révolte libera la rebelle, féministe entre les deux conflits, résistante au cours du second, opposante aux guerres coloniales par la suite, elle éduqua ses enfants dans l’anticléricalisme et le rejet des conventions.
Lorsque je te dis qu’elle était anticléricale, c’est au sens strict du terme, car ma grand-mère était très tolérante, elle respectait la foi et les croyances des autres mais elle détestait le clergé, tous les clergés, tous ceux qui, prétendant être les représentants d’un quelconque Dieu sur la terre, s’octroient le droit de dicter leur conduite aux autres. Curés, rabbins et pasteurs étaient à mettre dans le même sac, dans lequel elle ajouterait aujourd’hui très volontiers les imams et les ayatollahs de toutes sortes.
Si ma grand-mère était encore vivante de nos jours, ça ne la dérangerait pas de consommer, à son insu, de la viande halal, du moment qu’elle ait la même qualité et qu’elle ne soit pas plus chère. Par contre, ce qu’elle n’accepterait pas, c’est que dans le prix de la marchandise soit inclus la rémunération d’un religieux, quelqu’il soit.