Connaissez vous Saint ALBAN sur Limagnole ? Moi oui car du temps de l’errance de mes parents nous avons résidé trois ans dans ce gros village de Lozère qui a (entre autre) la particularité d’avoir été le théâtre au 18ème siècle des exploits de la redoutable bête du Gévaudan. Elle osa même, à deux reprises, remonter tranquillement, et en plein jour, la rue principale jusqu’au pied du château de pierre rouge où elle s’allongea « comme un chien qui attendrait son maître » d’après les témoins de la scène. De là naquit la légende selon laquelle le bien triste sire et très méprisable Comte Jean François- Charles de MORANGIÈS, fils du seigneur des lieux, en était le maître et Jean CHASTEL le meneur, mais ceci est autre histoire que je vous narrerai un autre jour.
Donc en cette époque là, (non pas celle de la bête, mais celle du général), durant les vacances de l’été 1961, je transmis à Jean-Claude les subtilités de l’art de la pêche à la main à laquelle j’avais moi-même été initié pendant les promenades du mercredi par mes camarades d’internat. (Ce qui prouve que je n’ai pas complètement perdu mon temps pendant mes études). Mon « Nano » y prit rapidement goût. Vairons et goujons n’eurent qu’à bien se tenir aux premiers jours de Juillet.
Avec le succès, l’ambition vint à mon frère, il délaissa la menue friture pour la reine de la rivière : la Truite, alors que moi, je restais fidèle à la bonne vieille canne à pêche. Nous partions cependant en expédition ensemble, remontant la Limagnole, Jean Claude me précédant qu’une cinquantaine de mètres. Un après midi, nous étions arrivés à proximité du chemin reliant Saint ALBAN au moulin du Franquet lorsque j’aperçus deux motos arrivant au ralenti. Il était trop tard pour prévenir mon frère, les gendarmes s’arrêtèrent sur un petit pont pour l’interpeller quand il les vit enfin. Nous pêchions normalement aux vers d’eau que nous trouvions accrochés dans une coquille sous les pierres de la rivière et Jean-Claude, qui n’avait pas encore pris une seule truite, aurait eu beau jeu de prétendre qu’il ramassait ces fameux vers afin de m’en fournir. Au lieu de cela, ce « couillon » prit ses jambes à son cou et s’enfuit à travers champs. Les pandores ne s’affolèrent pas, ils l’observèrent aux jumelles puis repartirent.
Mon frère, fit un long détour pour revenir chez nous, tout sourire, heureux de l’exploit qu’il venait d’accomplir en semant des gendarmes…..qui l’attendaient tranquillement à la maison, car il faut vous préciser que nous habitions à coté de la gendarmerie et qu’ils n’avaient eu aucune difficulté à le reconnaître.
En s’enfuyant, Jean-Claude n’avait pas que commis un délit de fuite, il en reconnaissait implicitement un autre, celui de braconnage. Insensible au fait qu’il s’agissait d’une « gaminerie » les gendarmes décidèrent de faire suivre l’affaire qui s’annonçait donc très mal. Heureusement mon père fit intervenir son cousin, Jacques SALOMON, jeune capitaine de gendarmerie à SENLIS, ce qui n’était pas rien à l’époque, mais qui était aussi très connu, à l’échelon national, pour quelques interpellations à hauts risques où il avait fait preuve d’un sang froid et d’un courage à toute épreuve. Les gendarmes de Saint ALBAN, pourtant à cheval sur le règlement, n’hésitèrent pas à s’incliner face à l’intervention de ce gradé promis à très bel avenir. Colonel, commandant une brigade anti-Banditisme, il se reconvertira à la retraite comme responsable de la sécurité du Crédit Lyonnais pour la région parisienne c’est tout dire.
Jean -Claude s’en sortait bien, mais renonça à tout jamais au plaisir de la pêche à la main.