Modeste Désiré

 
J’ai connu Modeste-Désiré en 1972, il avait passé la quarantaine et était « toujours » interne des hôpitaux, j’écris « toujours » vous allez comprendre pourquoi bientôt. Il était arrivé de son Haïti natal dans les années cinquante pour faire ses études de médecine en France. Quoi de plus anodin en apparence, si ce n’est, qu’à cette époque régnait sur son île « Papa Doc  Duvalier », l’un des plus sinistre dictateur des caraïbes, à qui la république haïtienne doit la terrible situation dans laquelle elle se trouve actuellement.
Comme beaucoup d’étudiants étrangers, issus de république bananière, Modeste-Désiré, avait découvert la démocratie au quartier latin et avait pris conscience du drame épouvantable qui se déroulait chez lui. Sans pour autant militer dans l’opposition au régime de « Papa Doc » il avait noué des liens avec des membres de celle-ci. Un beau jour, un diplomate de son ambassade l’informa qu’il ne valait mieux pas qu’il retourne au pays, les « Tontons Macoutes » l’avaient inscrit sur la liste rouge des personnes à éliminer. Modeste-Désiré, une fois son doctorat en poche demanda l’asile politique en France, ce qui lui fut accordé.
Malheureusement pour lui, en ce temps là, pas si lointain, sans la nationalité Française, il ne pouvait exercer la médecine dans notre pays, même avec un diplôme français, que ce soit en libéral ou en milieu hospitalier. Seuls les étudiants en médecine pouvaient travailler comme internes dans les hôpitaux. Notre ami n’avait donc le choix qu’entre : décharger des cageots aux halles ou celui de redevenir étudiant, car il fallait bien qu’il gagne sa vie, d’autant qu’il venait de créer une famille.
Il prépara donc une spécialisation en cardiologie, puis en réanimation, devint chirurgien et tout cela en vivant d’un modeste salaire d’interne, logé dans un appartement de fonction. Ce n’était pas la belle vie, mais c’était la vie quand même. Il devint itinérant, se déplaçant de région en région en fonction des postes qu’on lui proposait. C’est ainsi qu’un beau jour, un nouveau beau diplôme en poche, tout à fait par hasard, il s’inscrivit à la faculté de Médecine de Lyon afin de devenir psychiatre, persuadé que ce « serait plus reposant »
Il débarqua ainsi à l’internat du centre hospitalier où je travaillais comme jeune infirmier. Nous étions voisins, les studios que l’administration louait à ses employés étant situés à coté de l’internat. L’Hôpital était tout neuf, le personnel aussi, presque tous célibataires, et rapidement nous apprîmes à faire la fête ensemble, et Modeste-Désiré devint un « copain » parmi les autres même s’il était marié et plus âgé que nous. Bien entendu nous l’avions surnommé « Landru » car notre illustre partisan de la femme au foyer se prénommait Henri-Désiré. Comment ça ? : « C’est tiré par les cheveux ! » , Heu, bon d’accord , je vous l’accorde, mais comme nous avions tous des surnoms, c’est le premier qui nous était à l’idée pour lui.
L’administration est ainsi faite, qu’elle peut interdire à un médecin d’exercer ses qualifications dans la fonction publique ou dans le secteur libéral, mais paradoxalement se souvenir, d’un seul coup, quand ça l’arrange, des diplômes du dit médecin. Et le directeur de l’Hôpital où nous travaillions, ne s’embarrassait pas de scrupules pour demander à Henri-Dé…. heu Pardon, à Modeste–Désiré, de mettre ses compétences multiples à la disposition de l’ensemble de l’établissement en particulier pour assurer la permanence des gardes au service d’urgence.
C’est ainsi, qu’une nuit, il accueillit, un ivrogne patenté qui venait d’avoir un grave accident de la route, et qui n’était pas frais du tout. Sitôt le bonhomme installé sur la table de consultation Modeste (on va dire Modeste, c’est plus facile), Modeste voulut faire un premier bilan de l’état du blessé quand celui-ci, retrouvant brièvement ses esprits s’écriât :
-Foutez moi ce nègre dehors.
-Je suis le Médecin !
-Rien à foutre, je ne me laisserai pas toucher par un bougnoule
-Comme vous voulez, je m’en vais.
Et il passa dans la pièce d’à coté.
Stupeur dans la salle. La surveillante demandant à Modeste de revenir tandis que le blessé criait qu’on le laissait mourir. Notre ami retourna auprès de lui et lui dit.
-Je suis le seul médecin de garde, si vous n’acceptez pas que je vous soigne vous mettrez votre vie en danger.
-appelez un autre docteur !
-Pas question, il y en a déjà un mis à votre disposition par l’hôpital, si vous n’en voulez pas tant pis pour vous
Et il repassa dans la pièce d’à coté ou la surveillante lui demanda d’appeler un collègue, mais Modeste resta ferme
-Ce que je viens de dire à cette personne vaut pour vous.
-Mais il va mourir !
-C’est son choix
-Nous allons être poursuivi pour non assistance ….
--Ah non, nous ne lui refusons pas notre aide, c’est lui qui n’en veut pas.
La surveillante saisit le téléphone, appela le directeur, qui voulut réquisitionner un autre interne, mais ceux-ci, apprenant la situation, refusèrent arguant qu’ils ne pouvaient être réquisitionnés qu’en cas absence de médecin aux urgences, ce qui n’était pas le cas.
Et pendant ce temps là, notre ivrogne continuait de « crever » en refusant l’intervention du « nègre »
Le directeur se souvint qu’il y avait parmi les généralistes qui effectuaient des vacations à l’hôpital, un vieux médecin, ancien pétainiste, réac comme ce n’est pas Dieu possible. Il l’appela, et l’autre, « compatissant » pour le blessé accepta de venir. Malheureusement pour lui, il ne pouvait pas faire grand-chose, le patient qui avait perdu beaucoup de sang, risquait un collapsus cardiaque, il fallait l’opérer d’urgence, et le seul chirurgien disponible, cardiologue de surcroît, c’était Modeste.
Quand au blessé, bien que de plus en plus mal, il continuait de s’opposer en termes violents et orduriers à la présence du haïtien.
On fit appel au Maire de la commune qui au vu d’un certificat médical du vieux généraliste, rédigea un arrêté d’internement d’office en psychiatrie.
On pouvait enfin se passer de l’accord du malade, Modeste le « shoota »  et put opérer et sauver l’ivrogne, qui une fois rétablit et dégrisé ne lui en fut même pas reconnaissant.



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