Aussi surprenant que cela paraisse, j’ai eu une éducation religieuse. Jean-Claude et moi allions au « patronage », sorte de Centre Aéré dont le siège se situait au presbytère, nous y pratiquions diverses activités dont le catéchisme.
Les bondieuseries ne m’intéressaient guère, du moins le coté mystique du terme, la mayonnaise n’a jamais trop pris avec moi. Par contre j’aimais l’aspect un peu contes et légendes, souvent fabuleux, de la bible, comme une sorte de roman feuilleton dont on attendait la suite.
Le revers de la médaille, c’était la messe. Tous les Dimanches il fallait s’y coller sans pour autant avoir le droit d’aller casser la croûte au moment de la communion. J’aurai aimé savoir quel goût avait l’hostie et quels effets cela pouvait procurer. Je demandais donc à quelques initiés qui avaient fait leur première communion, mais ils ne répondaient jamais, tout en prenant un air mystérieux.
Il y avait autre chose qui m’intriguait, le curé nous avait dit que pendant l’élévation, il fallait baisser la tête, car le seigneur descendait parmi nous. J’imaginais un terrible châtiment si par malheur je me permettais de transgresser la règle, pourtant petit à petit, de Dimanche en Dimanche, emporté par une certaine curiosité, je levais d’abord légèrement les yeux, puis un peu plus, espérant apercevoir les orteils du Christ pendant sa descente, et là, promis, je rebaisserais la tête m’engageant à ne pas voir son visage, mais je n’entrevis rien, pas la moindre sandale céleste, pas l’ombre d’un ongle incarné divin.
Un beau jour je finis par carrément lever les yeux pendant que les autres courbaient l’échine. Toujours rien, ça commençait à devenir sérieux, le Christ avait du, c’est sur, se tromper d’église. Je ne pouvais pas laisser le curé dans l’ignorance de ce rendez-vous manqué, il fallait que lui-même informe les fidèles de la situation.
Mais à bien y réfléchir, c’était encore un coup à se faire engueuler, mieux valait se taire, d’autant qu’à partir de ce jour, je constatais que chaque Dimanche, le seigneur persévérait à nous poser un lapin, donc fatalement, quelqu’un finirait par s’en apercevoir et l’abbé pourrait alors adresser une réclamation en bonne et due forme à qui de droit.
Comme si la messe dominicale ne suffisait pas, nous avions droit de temps à la procession, en particulier pour les rameaux, la première fois, j’ai trouvé cela « intéressant » mais par la suite, le manque de variété dans la mise en scène fit que ça devint plutôt lassant, presque autant que les cérémonies aux monuments aux morts ou nous traînait mon grand-père tous les 11 Novembre, parce que, manque de bol, quand ce n’était pas les uns qui nous envoyaient à la messe, c’était les autres qui nous amenaient rendre Hommage aux morts pour la patrie.
Les patriotes allaient finir par l’emporter dans la lutte idéologique dont nous étions l’enjeu. Mes grands-parents achetèrent, en 1958, un téléviseur, dernier modèle, (c’est à dire avec une seule chaîne en noir et blanc, la « RTF »), sur lequel entre deux pannes, trois interludes, et les plates excuses de la speakerine pour les malencontreuses interruptions momentanées de l’image, nous pouvions voir les « Porky, Bunny, Histoires sans paroles, Opallon KASSIDY » bientôt suivis de Thierry la Fronde et d’historiettes genre Club des Cinq ou Belle et Sébastien.
Tout cela était bien plus intéressant que des « machins » que nous enseignaient les « curetons », du moins c’était l’opinion de ma Grand-mère, qui se proposa de nous garder tous les jeudis devant la télé au lieu d’aller nous faire endoctriner au presbytère. Comme elle avait pris le soin de faire cette proposition à nos parents devant nous, elle put compter sur deux fervents supporters et la partie fut gagner, d’autant qu’unanimement, Jean-Claude et moi avons décrété aussitôt que nous ne croyons plus en Dieu. (N’avait-il jamais cru en nous ?)
« Ite missa est », si j’ose dire.