Préambule
Ce chapitre est la retranscription des mémoires de mon grand père à partir du 10 Mai 1940 croisées avec les lettres échangées par la famille après sa dispersion pendant l’exode. Avant de l’ouvrir je voudrais souligner l’importance, à mes yeux, de ces courriers, en particulier parce qu’ils relèvent « l’esprit de résistance» qui anime la famille dès le prélude de la défaite. La lettre du 13 Août 1940 en est le meilleur témoin, où, après avoir évoqué son excellente condition physique, Maurice ajoute « À ce train là, je serai tout en fait en forme le cas échéant pour seconder le Général de Gaulle. ». Qui connaissait le général de Gaulle en Août 1940 ? , Qui savait qu’il organisait la lutte contre l’occupant à partir de Londres ? Maurice RENOUX a faillit le rejoindre en Juin, dans une autre lettre, datée du 4 Août, il y fait allusion. Mais Maurice n’est pas le seul, Janine, sa fille, participe également à Paris, avec d’autres jeunes gens, à un acte d’opposition à l’occupation. « Tu as obéi à ta conscience et tu as bien fait. C’est notre religion à nous, elle en vaut bien d’autres. Quand à tes camarades tu les remercieras de ma part. Leur action ne me surprend pas, comme parisien, à leur âge, j’aurai agi comme eux, tu peux me croire » lui écrit son père le 21 juillet.
Quand à son épouse Andrée, ses lettres relatant « l’occupation » de sa maison, par des soldats allemands démontrent ses sentiments et son courage.
Les lettres échangées ont été écrites par Maurice et Andrée, à l’exception d’une émanant de Luce TOUX, et d’une autre de Marguerite HENAULT et de sa sœur Berthe GEORGET. Il est donc important de situer tous les membres de la famille avant de découvrir leurs correspondances.
Maurice RENOUX, né en 1887, engagé volontaire en 1915, a exercé divers métiers avant de devenir contrôleur des contributions indirectes, résistant, il participe à la libération de Soissons avant de s’engager dans l’armée régulière jusqu’à la fin de la guerre. Lieutenant, faisant fonction de commandant de compagnie, il sera fait chevalier de la légion d’honneur à titre militaire, rendu à la vie civile, il reprend son métier de contrôleur jusqu’à sa retraite en 1960, veuf, il se retire à VILLIERS dans l’INDRE dont il devint le maire, fonction dont il démissionne en 1975, pour raisons de santé, il rejoint ses fils en Ardèche, où il décède en 1983.
Andrée HENAULT épouse RENOUX, veuve en première noce de Julien TOUX, tué au front le 4 mai 1915, Ensemble ils ont eu une fille LUCE TOUX né en Juillet 1914, Remariée en 1921 avec Maurice RENOUX dont elle aura trois enfants, JANINE, PIERRE et CLAUDE, Receveuse des Postes, elle ne quittera son poste qu’au dernier moment devant l’avance Allemande, on peut dire d’elle, (comme de Maurice d’ailleurs), qu’elle n’a pas fuit, mais qu’elle s’est repliée sur ordre de son administration. Elle n’a pas cessé d’exercer sa profession, de repli en repli, pendant l’exode et après l’armistice. Décédée en 1960
Marguerite HENAULT, mère d’Andrée et sœur de BERTHE GEORGET chez qui elle trouve refuge pendant l’exode, ainsi que (pendant quelques jours) PIERRE et CLAUDE
Luce TOUX, se trouve en en soins au sanatorium de MONTFAUCON dans le LOT lors de l’offensive allemande, elle y accueille ses frères jusqu’à l’automne en compagnie de son fiancée, Gaston PREVOTAUX (décédé en 1998), Luce est la fille d’Andrée et de Julien TOUX , et la belle-fille de Maurice.
Janine RENOUX, fille d’Andrée et de Maurice, elle échappe de peu à la mort lors d’un bombardement à RENNES, mais se retrouve isolée de sa mère, qu’elle ne retrouvera que plusieurs semaines après, agent de liaison de la résistance. Militante pacifiste elle est blessée au métro CHARONNE en 1962, au cours de la répression de la manifestation anti-OAS. Elle exerce jusqu’à sa retraite la profession de standardiste d’une grande firme informatique (IBM) mariée à Louis CHEZE, sans enfant, elle décède en 1998.
Pierre Jules RENOUX, né en 1924, résistant actif dès la première heure, réfractaire et clandestin, il rejoint le maquis et participe au coté de son père à la libération de Soissons, engagé volontaire comme lui, il termine la guerre sur la poche de Saint NAZAIRE, militant communiste, il fait parti des « quatre d’AUBENAS » arrêtés en 1956 pour s’être opposé au départ d’un train de réserviste à destination de l’Algérie. Professeur d’éducation à AUBENAS où il vit après avoir pris sa retraite. (Croix de guerre)
Claude RENOUX, né en 1926, prend l’exode comme une partie de rigolade, traverse la France en vélo pour rejoindre avec PIERRE, leur sœur LUCE à MONTFAUCON, résistant au coté de son père et de son frère, il terminera la guerre avec eux à Saint NAZAIRE, infirmier des hôpitaux psychiatrique, il se retire avec son épouse à SALAVAS (07) jusqu’au décès de celle-ci. Vit désormais à RUOMS en Ardèche. (Croix de guerre)
Dans les courriers sont évoqués à plusieurs reprises EMILE RENOUX, frère de MAURICE, ainsi que Marcelle et Félix RENOUX demeurant à COLOMBE, Marcelle est la sœur d’Andrée, tandis que son mari Félix est le frère de MAURICE, les deux frères ayant épousés les deux sœurs.
10 MAI 1940, L’OFFENSIVE ALLEMANDE.
(Récit de Maurice RENOUX)
Le Vendredi 10 Mai 1940, à 5Hoo du matin, avec Dédée, nous sommes réveillés par une explosion lourde (qui fait trembler la maison), éloignée de dix kilomètres à vol d’oiseau. La sonnerie du téléphone retentit, c’est le chef de gare qui me demande de lui passer la gare de VILLERS-COTTERETS, le réseau SNCF ne répondant pas. Le chef de gare m’apprend que le passage à niveau a étébombardé, bloquant la ligne et la route de la FERTE-MILON. Je comprends que ce que je redoutais commence et que les Allemands passent àl’offensive!! Je ne me doutais pas de l’ampleur qu’elle allait prendre en quelques jours.
Peu après, la Radio annonce que la BELGIQUE et la HOLLANDE sont envahies. Le Gouvernement Français invite tous les fonctionnaires civils et militaires àrejoindre leur poste s’ils sont en congé. C’est mon cas, puisque j’étais àLONGPONT depuis le 4 Mai.; Je me prépare et prends le train de 13 h pour LAON-MONTCORNET. Je fais enregistrer mon vélo, mais je laisse ma cantine àla maison.
Andrée est toujours aussi courageuse, je suis civil, aussi elle est rassurée en ce qui me concerne. Elle ne se doute pas de ce qui l’attend!!!, on ne pouvait pas concevoir que les événements se dérouleraient avec une rapidité foudroyante.
Arrivé àLAON, j’apprends que la ligne est coupée par un bombardement à LIART. Nous descendons du train et passons la nuit à proximité des abris. Les appareils de chasse français patrouillaient continuellement.
En circulant, les jours suivants, je vis des morceaux de poutrelles et de wagons àtrois ou quatre kilomètres de la gare.
Rentré chez moi, je vis le receveur buraliste, remontant de la gare, assez inquiet sur la suite des événements. Le feu des wagons couvait et les explosions reprirent de plus belle jusqu’à 3 ou 4H00 du matin. Cette fois je m’étais réfugié avec les autres habitants de la maison dans la cave. Je sentais le mur vibrer àchaque explosion
Témoignage de Claude RENOUX
10 Mal 1940 vers 9 H du matin:
Nous sommes au collège de Soissons, nous sommes à l’étude, ce qui ne veut pas dire que nous étudions, en tous cas pas moi. Par extraordinaire, le pion qui surveille l’étude en général, et moi en particulier, semble m’avoir totalement oublié.
Il a trop a faire à parcourir la presse du matin: LA DRÔLE de GUERRE est terminée, La GUERRE pas DRÔLE vient de commencer. Les armées allemandes sont entrées en Belgique, en Hollande, au Luxembourg et en France. Des villes, des gares sont bombardées, des milliers de familles sont lâchées.
Sur les routes dans une pagaie infernale, les journaux parlent de guerre TOTALE, d’invasion. Je me revois quelques jours après à Longpont. Le Popeye arrive en vélo de Montcornet (45 Km) et nous crie “j’ai les boches au cul”.
Je regarde instinctivement dans la direction de Soissons a attendant à “ les voir “, je presque déçu, mais quand même rassuré de constater qu’en vélo mon père est plus rapide que les PANZERS.
Je dois préciser qu’à l’époque nous étions sérieusement intoxiqués par les communiqués. (Le communiqué, comme son nom l’indique, est une communication quotidienne de l’état major destiné à la population). L’héroïsme nous était servi à la louche, nous étions les plus fort, grâce à l’acier victorieux, la route du fer était coupée et si les allemands avançaient si vite les sots! , c’est que nos stratèges allaient les piéger vite fait. La grande stratégie de notre G.Q.G était absolument FABULEUSE. Nos troupes pratiquaient comme à la parade le REPLI ELASTIQUE sur des positions préparées à l’avance GENIAL! Popeye, avec sang froid et astuce, avait sur son vélo, attiré l’ennemi à sa poursuite pour que la tenaille se referme sur lui. Nos armées glorieuses n’auraient qu’à ramasser les prisonniers allemands coupés de leurs bases.
Bien fait! Mais je ne posais quand même la question: “ où va t’on les loger? “. Ils allaient eux mêmes résoudre le problème, mais n’anticipons pas.
DIMANCHE 12 MAI 1940, (Jour de PENTECOTE). (Maurice RENOUX)
Dans la matinée je voulus aller àla gare chercher mon vélo, mais on ne pouvait approcher, les risques étaient trop grands et inutiles.
LUNDI 13 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Étant retourné àla gare, j’aperçus mon vélo sur la voie près du quai, au milieu des wagons déchiquetés. Il avait la roue avant broyée, la selle et le guidon arrachés gisaient un peu plus loin. Je pris les restes et retournais chez moi. Je demandais àmon propriétaire si je pouvais prendre la roue d’un vieux vélo qui était dans un coin pour la remonter sur le mien. Je me mis au travail pour reconstituer mon seul moyen de locomotion. Car je n’avais plus la possibilité de rester là. Tous les gens qui possédaient une auto étaient déjà partis en majorité, quelques retardataires s’affairaient pour en faire autant. Les propriétaires de grosses fermes avaient aménagé remorques et tracteurs et installé des matelas et du matériel de cuisine, ainsi que vivres et bagages. Nous ne pouvions plus recevoir de courrier et le téléphone coupé tout le long de la ligne. J’allais voir mon Receveur et lui remis mes quittanciers après avoir arrêté mes comptes et versé l’argent àla caisse.
MARDI 14 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Nous assistons au défilé lamentable des réfugiés belges, ainsi que des douaniers de la frontière marchant àpieds. Rares étaient ceux qui avaient des vélos
L’EXODE (Maurice RENOUX)
Mercredi 15 MAI 1940
Toujours le même défilé, nous étions les rares fonctionnaires a être restés, mon chef ne paraissait pas vouloir prendre l’initiative de partir. Mon vélo était chargé. Dans l’après midi, je vais sur la place le long de la route, soudain, j’aperçois un détachement de soldats du P.M.A qui avait été cantonné à MONTCORNET, avant l’attaque. Ils marchaient en colonne par un, à cinq ou six pas de distance le long des murs, de chaque coté de la route. M’approchant d’un sous-officier, je lui demandais de quel coté ils se dirigeaient, il me répondit: “Nous nous replions sur MARLES, est-ce loin????”. Je lui répondis “dix-huit “ kilomètres!”. Cette fois-ci, .j’étais fixé, et bien décidé à retourner voir mon contrôleur- receveur, je lui dis, ”Je vous ai rendu mes comptes, êtes-vous au courant de ce qui se passe?” “Non je ne vois pas”. Je lui explique l’arrivée, plus exactement le passage de l’armée qui se repliait. Nous ne pouvions plus recevoir d’ordre de repli en ce qui nous concernait (puisque les communications étaient coupées). Il nous fallait prendre la décision nous mêmes. Il me répondit “Je suis de votre avis, nous ne pouvons pas rester là. En ce qui me concerne, je vais à la poste effectuer mon virement comptable et je vais rejoindre ma femme dans l’AUBE”.
Je lui fais mes adieux et je pars en vélo, il était environ l3Hoo. Je connaissais bien la route, je suis passé à CLERMONT-les-FERMES et je reconnus en passant des gens qui me firent un signal amical, mais ils avaient l’air anxieux. Puis, un peu plus loin, aux abords de BUEY-les-PIERREPON j‘aperçois des soldats qui courent et subitement s’arrêtent; ils mettent un fusil mitrailleur en batterie sur le bas coté de la route. Je suis tenté de me retourner, mais j’appuis un peu plus sur les pédales et je continue ma route de concert avec un couple de Belges, également à vélo. Je vois les avions allemands qui passent en direction de LAON, j’abandonne l’idée de passer à la Direction des Contributions Indirectes et je contourne la ville par le SUD, je croise un convoi de plusieurs canons anti-chars de 77 qui semblent sortir de l’usine. A l’entrée de SOISSONS, je vois un régiment d’Infanterie qui marche en direction de LAON. J’ai su plus tard que ces soldats allaient prendre position sur le canal de l’AISNE. Je traverse SOISSONS, puis à la sortie de la ville, je m’arrête dans un café pour casser la croûte, il doit être 2Ohoo. Je m’installe dans le jardin de ce café et je vois défilé d’innombrables réfugiés, l’un d’eux a un pansement à la tête, je lui demande s’il a eu un accident. ”Non me dit-il, ce sont les Allemands qui m’ont tiré dessus, alors que j’étais sur le pas de ma porte à ROZOY sur SERRE, les trois automitrailleuses allemandes ont débouché dans la rue principale et ont ouvert le feu aussitôt pour dégager la route, je fus éraflé par une balle et je suis entré aussitôt à l’intérieur, ma femme m’a fait un pansement sommaire. Nous sommes passés par une porte de derrière, où se trouve le garage, j’ai pris ma voiture qui était déjà prête pour le départ et sans plus attendre nous prîmes une route parallèle pour rejoindre la route de SOISSONS.”
Je connaissais bien ROSOY sur SERRE, puisque nous y allions en tournée au moins une fois par semaine. Peu après une femme passe près de moi, elle sortait du café, et je l’entends dire aux personnes qui étaient avec elle, ”Je ne peux plus retourner chez moi, je me suis trouvée nez à nez avec trois automitrailleuses allemandes”.
Cette fois, il n’y avait plus de doute, les Allemands avaient rompu le front. Sur ma route, je n’avais pas rencontré de renfort de troupes françaises qui allaient barrer la route aux Allemands. Je n’avais plus de temps à perdre, je repartis aussitôt et après quinze kilomètres très pénibles j’arrivais à LONGPONT, où tout était bien calme. Pas de lumière, je sonne et j’entends descendre ma femme et crier “Qui est là?”- ”C’est moi. Maurice”. Elle ouvre le vasistas et ensuite la porte en me disant, ”Mais pourquoi es-tu là?”, réponse brève, ”J’ai les hoches au cul”. Elle n’en croyait pas ses oreilles.
Là dessus, les enfants, qui ont entendu sonner et reconnu ma voix, descendent à leur tour et je dois raconter les événements. Ils ne savent pas du tout ce qui se passe, tout c’est passé dans le secret quasiment absolu, je leur dis de remonter se coucher, que nous devons tous nous reposer car nous ne savons pas ce que l’avenir nous réservera.
J’avais fait quatre-vingt dix kilomètres sur un vieux vélo et j’étais très fatigué. A partir du Jeudi 16 Mai 1940, je commençais à préparer le départ de notre petite famille et nos aventures à travers la FRANCE, sous les bombardements allaient commencer.
JEUDI 16 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Ma femme ouvre le bureau de poste, comme d’habitude, et raconte à ses deux facteurs ce que j’avais vu et entendu, donc mon retour auprès des miens. Mme MONQUET, propriétaire de la ferme de la Grange me téléphone; elle me demande si c’est exact que les Allemands sont à MONTCORNET, sur ma réponse positive, elle me dit, ”Mon fils ne s’était donc pas trompé”. En sortant, je me rends sur la place et j’aperçois le Maire qui marche sur moi en me criant “C’est honteux de faire courir des bruits semblables, vous mériteriez d’être arrêté”, j’étais stupéfait de cet accueil, et, en apercevant au loin des soldats venant de S0ISSONS, sans veste, montés sur des chevaux à peine sellés, et qui ont l’air ahuri et effrayé, je réponds au Maire, “Demandez Donc à ces gars-là, pourquoi ils sont ici, et vous verrez bien si j’ai menti” .Le Maire discuta avec ces soldats, cela a du être efficace car j’appris après que le Maire était parti avec sa femme dans la direction de VILLERS-COTTERETS !!!.
Dans la matinée, Mme DOLLE, (1a femme d’un facteur qui remplaçait son mari mobilisé), dit à ma femme ”La voiture de mon mari est au garage, mais elle est en panne, si M. RENOUX pouvait la remettre en état, elle pourrait nous être utile”. Après examen, je vis qu’en effet la cuve du carburateur fuyait. La vis de la bride qui retenait cette cuve en avait usé le fond et fait un trou. Je lui en fis part et lui demandais de regarder dans les anciens outils de son mari, (qui était plombier avant d’être facteur), s’il n’y aurait pas un fer à souder, du décapant, une baguette de soudure, elle me ramena ce que je demandais, et je me mis au travail. A cette époque, il existait encore des pièces de monnaie en bronze de cinq et dix centimes. Je pris une pièce de dix centimes, bien passée à la toile émeri, ainsi que le fond de la cuve, et je fis chauffer le fer à souder sur mon réchaud à gaz, et avec la soudure, je pus fixer la pièce au fond de la cuve. Après m’être assuré qu’il n’y avait plus de fuite, je fis un essai qui fut concluant, la voiture pouvait rouler. C’était une 10 CV RENAULT, en très bon état. Mme DOLLE, (DOLLÉ) fit une proposition à ma femme, ”Je ne sais pas conduire, si M. RENOUX veut bien, nous pourrions partir ensemble”. Ma femme lui répondit qu’en tant que Receveuse des Postes, elle ne pouvait pas partir sans ordre, en revanche, elle dit que je pouvais conduire la voiture en amenant les deux enfants DOLLE, leur maman et Janine. Mes deux gars, (Claude, 14 ans, et Pierre, 16 ans) partiraient en vélo. De plus, je ne pouvais pas rester à LONGPONT, il me fallait reprendre contact avec mon administration. Nous décidâmes de partir le lendemain, aussitôt après le repas de midi. Je fis une visite au train militaire qui était en gare depuis longtemps pour me faire soigner mon anthrax, (contracté le 5 Mai par une bestiole, piqûre dans le jardin). Cet anthrax devenait de plus en plus gros et me faisait sérieusement souffrir.
VENDREDI 17 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
J’avais organisé le départ ainsi: les deux garçons rouleraient en vélo devant la voiture, en éclaireurs, pour signaler les avions. Dans la voiture se trouveraient comme prévu: Mme DOLLE, ses deux enfants, Janine et moi-même qui conduirai. J’avais cru bon de ne pas utiliser les grandes routes surveillées par les avions, tout alla très bien jusqu’à NEUILLY Saint FRONT, où je voulais me rendre chez le Receveur pour savoir où pourrait être le Directeur des Contributions Indirectes?. Il me dit qu’il se trouvait à CHATEAU-THIERRY , mais qu’il devait rejoindre LAVAL, comme tous les autres fonctionnaires de l’AISNE. Dans ces conditions, je lui dis que j’irais directement à LAVAL, et je pris congé. Nous repartîmes en direction de Saint CYR sur MORIN, où nous arrêtâmes pour coucher. Auparavant, nous avions eu un moment d’émotions. Peu après NEUILLY Saint FRONT, nous descendions une petite route quand mes éclaireurs (Claude et Pierre) firent signe que des avions arrivaient dans notre direction. Je m’arrêtais aussitôt en disant à mes passagères d’aller se coucher dans le champ qui dominait et, reculant la voiture, je la mis derrière, contre le talus de la route. Comme j’étais, à ce moment là, presque face à l’autre talus, je vois devant moi, de l’autre coté, des grandes niches creusées dans le dit talus et bourrées de caisses d’obus de 75. C’était la réserve d’une batterie de D.C.A qui était à proximité, (Défense Contre Avions). Or, cette batterie n’a pas tiré un seul obus, alors que les avions venaient droit sur elle. Mes fils peuvent s’en souvenir, puisqu’ils étaient à coté d’elle!!!!!. Pourquoi????
REFLEXIONS. Plus tard, en fuyant à nouveau (Saint LÔ), un avion passa près d’un poste de Mitrailleurs Contre Avions. Même tactiques, les pièces ne tirèrent pas. Etait-ce une instruction précise de ne pas combattre???. C’est aussi, peut-être pour la même raison que le terrain d’aviation de CLERMONT les FERMES avait été rendu inutilisable. Comme c’est étrange. Un observateur comme moi ne peut s’empêcher de conclure. Aussi, je n’ai pas été surpris d’apprendre quelques jours plus tard que le Gouvernement du Maréchal PETAIN, demandait l’Armistice, lui qui était président du Conseil Supérieur de la Défense Nationale, avait été contre le prolongement de la ligne MAGINOT jusqu’à la mer. Pour lui, le fait qu’il y ait la forêt des ARDENNES lui paraissait un obstacle infranchissable. On a vu !!!.!!
Revenons au Vendredi 17 Mai 1940. Nous étions donc en face d’une réserve d’obus de 75 de D.C.A, il était trop tard pour changer de place. Je n’eus que le temps de quitter la voiture et de me jeter à terre, les bombes pleuvaient! Les avions continuèrent sur CHATEAU-THIERRY. Je reviens à la voiture et la mis sur la route sans attendre mes voyageuses, je partis rejoindre mes deux fils, en leur expliquant que pour nous, la voiture était notre seule planche de salut pour nous rendre à LAVAL le plus rapidement. J’aperçus Mme DOLLE et ses enfants, mais je ne voyais pas Janine. Mme DOLLE l’appelle. Heureusement, Janine se mit debout et courut vers nous, elle avait été plus loin que les autres et avait vu tomber les bombes, elle n’avait pas perdu de vue les avions et se couchait au moment précis. Cette peur passée, nous repartîmes et traversâmes Saint CYR sur MORIN à la nuit tombante. Il y avait une unité de transport cantonnée dans le pays et le seul hôtel n’avait que deux chambres à nous offrir. Mme DOLLE en prit une avec ses enfants. Pierre et Janine couchèrent sur des coussins dans la chambre qui restait libre, laissant le lit pour Claude et moi. Nous avions besoin de repos mais les batteries de D.C.A firent leur travail. Elles protégeaient le Grand Quartier Général, installé à la FERTE sous JOUARRE. La maison tremblait et nous ne pouvions pas dormir. Claude, qui avait donc quatorze ans, se retournait souvent et me cognait l’épaule, ce qui correspondait à mon anthrax. Enfin, au matin, nous repartions après avoir pris un petit déjeuner, en direction de LAVAL
Contribution de Claude RENOUX (14 ans à l’époque)
J’étais à l’époque grassement nourri de littérature ne figurant pas au programme; à 14 ans, on préfère d’ Artagnan à Rodrigue; entre deux traîneurs de sabre, je préférais celui qui ne parlait pas en alexandrin: question de goût. Ce qui ne devait être que provisoire d’ailleurs le Poupou, (que Je ne connaissais pas), ne m’avait pas encore présenté Cyrano de Bergerac, que je connaissais de réputation, mais sans plus.
Pour le présent, c’est à dire mi-mai 1940, je m’identifiais à Raoul, vicomte de Bragelonne, et j’avais fait de mon père un grand CONDE tout à fait présentable, sauf que le grand Condé ne montait pas à bicyclette tandis que le Popeye avait fait ses début au 26èmè B.C.P, compagnie cycliste.
Mes 14 ans étaient frustrés. Ca allait trop vite! Jamais Je n’aurais le temps d’intervenir - croyais Je! Mais l’essentiel est de participer. Et pour participer... on y a participé à la défense élastique!
Nous en tûmes, Pierre et moi, le centre, le noyau dur, la cible mobile, le leurre. Et quand c’est LEURRE! Nous avons attiré les hardes barbares, successivement sur l’Ourcq, la Marne, la Seine, la Mayenne et la Loire avant d’atterrir, vidés, exténués et la langue pendante à Montfaucon du Lot. Ah, on leur en a fait voir du pays, mais ils nous en ont fait voir bien davantage, car chaque fois que nous arrivions à une ligne de résistance soigneusement préparée à l’avance par le G.Q.G. VLAN! “ Ils” arrivaient sur nos talons.
Tels l’héroïque Popeye, nous avions “ les boches au cul. Nous étions heureusement d’excellents cyclistes. Etant les moins forts nous nous devions d’être les plus rapides. Cette promenade de santé, ce parfum d’aventure et la découverte chaque jour d’un nouvel horizon; c’était vraiment trop beau. Admirateurs de Viétto, d’ Antonin Magne autant que de d’Artagnan et les 3 boys scouts ‘-Conscients de faire partie d’un grand peuple - (fallait voir le monde qui nous accompagnait) nous ôtions libres comme l’air, maîtres de nos destinées et fier comme Artaban. Et tout ça au milieu d’une pagaïe monumentale, sans le moindre BISON FUTE pour y mettre un peu d’ordre.
Nous ne savions pas encore que nous étions les précurseurs de ces migrations annuelles qui Jetteraient des millions d’Européens sur ces mêmes routes, cap sur le sud, à partir des années 50. Les intellos appellent ça 1’ instinct grégaire avec une certaine teinte de mépris qui ne les empêchent pas de faire partie du troupeau. A propos de troupeau, revenons à nos moutons.
Le Popeye nous a conté notre baptême du feu à Neuilly Saint Front. J’ y reviens. Lorsque les premières bombes ont commencé à tomber, je trouvais cela extrêmement excitant, spectaculaire, captivant. Je vivais enfin la guerre, POUR DE VRAI! Mieux; je la faisais, je pourrais comme le Popeye la raconter à mes descendants. Oui, mes petits, ces bons dieux de Boches m’avaient visé et manqué. Je ne doutais pas, en ma naïve candeur que nous constituions un objectif militaire de première importance -le noyau central de la défense élastique. Depuis quelques temps de menues branchettes me tombaient sur la tête, coupées nettes. Je n’y attachais aucun intérêt dans mon exaltation. Mon cerveau, dans les grandes circonstances, fonctionne toujours avec une certaine lenteur, que j’attribuais, à l’époque à un très flatteur mépris du danger. Cerveau.., lent . .. . mais. . . ces branchettes étaient coupées “ net “ ... Nom de. bleu! Mais c’est bien sûr, LES ECLATS DE BOMBES! Et tout ça à quelques centimètres de ma pauvre tête! Je fus pris subitement d’un amour sans pareil pour la terre nourricière, et je ne jurerais pas que l’empreinte de mon visage n’y soit pas encore imprimée. Je réalisais enfin que ça n’était pas du cinéma, d’autant que j’entendais mon cher Popeye qui HURLAIT
“Nom de Dieu, on est sur un dépôt de munitions, c’est ça qu’ils visent!”
Enfin lucide, je sentis monter en moi un brutal flux de quelque chose que je sus plus tard être de l’adrénaline, faute de connaître la chose, j’employais le mot trouille, tout simplement. Heureusement, les pilotes nazis n’ayant pas remarqué ma faiblesse passagère, partirent chercher ailleurs, d’autres victimes innocentes. N’écoutant que son courage, notre petite troupe se rua vers le Sud. L’amour sacré de la Patrie ne conduisant plus nos bras vengeurs, il fallut chercher à l’étage du dessous le soutien de nos mollets.
Qui répondirent PRESENTS! Nous avons dû faire, Pierre et moi, une sacrée moyenne ce jour là! Il me semble même que la voiture avait du mal à nous suivre. Il est vrai qu’elle était en surcharge et que le Popeye ne conduisait que d’un bras, l’autre étant réduit à l’impuissance par un anthrax passé sournoisement à l’ennemi. A l’étape se situe l’épisode de Morin. Je ne puis rien en dire, sinon que pendant des années j’ai entendu le récit de cette nuit d’épouvante. Moi, je me souviens simplement m’être écroulé sur le billard du bistrot - mort de fatigue au point d’oublier de ne sustenter. (Je n’ai su que plus tard que j’avais dormi avec le Popeye). Profitait de mon sommeil la FRANGE s’écroulait, son armée victime d’une erreur d’orientation partait courageusement à l’assaut de la Méditerranée et des Pyrénées.
Et toujours je dormais Il est probable que j’ai dû continuer à dormir debout, puis assis jusqu’à Pithiviers. Car pour permettre sans doute à la voiture d’aller aussi vite que les vélos, le Popeye avait eu l’ingénieuse idée de fixer ceux ci sur le toit de celle là. Cette surcharge conséquente fut acceptée sans trop de mauvaise humeur par la 10 CV Renault qui y trouvait son compte sur le plan de l’amour propre. Pithiviers nous laissa le souvenir de son pâté d’alouette et de sa recette bien connue: mélange de viande de cheval et d’alouette, moitié moitié, un cheval- une alouette. La même recette a été appliquée depuis au Centralisme Démocratique. Question à 10 Frs: qui fait le cheval?
SAMEDI 18 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
En passant à PITHIVIERS, je me fis soigner à l’hôpital. Janine était venue m’accompagner, mes autres compagnons étaient restés à proximité de l’hôpital avec la voiture. Le Docteur regarda et, sans me prévenir, pressa l’anthrax entre deux compresses. Je poussais un cri terrible et je m’évanouis, quand Janine entendit mon cri, elle fut toute bouleversée mais heureusement je revenais à moi. Je crois que nous avons couché à PITHIVIERS, mais je n’en suis pas certain.
DIMANCHE 19 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Nous démontâmes les vélos, pour aller plus vite, et les casèrent tant bien que mal sur le toit, ceci pour que Claude et Pierre puissent prendre place à l’intérieur, (Nous étions huit dans la voiture, trois devant et cinq derrière!!!). Nous arrivâmes dans la soirée et nous avons pu être logé provisoirement.
LUNDI 20 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
M’étant renseigné sur l’endroit où se trouvait la Direction des Contributions Indirectes, je me suis présenté au Directeur dans la matinée. Il était arrivé la veille avec une partie du personnel de la Direction. On me demanda des nouvelles de MONTCORNET et je dis ce que je savais et comment j’étais parti un peu avant l’arrivée des Allemands.
J’obtins du Directeur de rester quelques jours à LAVAL, en attendant une affectation pour me faire soigner sérieusement de mon anthrax et, surtout, pour obtenir si possible des nouvelles de ma femme.
J’étais allé à la Direction des P.T.T demander si elle était arrivée et donner mon adresse au cas où elle aurait pu rejoindre LAVAL. J’avais également télégraphié à COLOMBES, à mon frère Félix, pour qu’il soit au courant et éventuellement renseigner l’un ou l’autre.
Je sus donc, par Félix, que ma femme était passée à COLOMBES et était en route pour LAVAL. En effet, elle nous rejoignit et nous raconta ce qui s’était passé après notre départ.
L’évacuation, 1er acte: (Récit de Pierre Jules RENOUX, 16 ans à l’époque)
Le vendredi 17 mai, la femme du facteur Marcel Dolle qui est aux armées, demande à mon père qui doit rejoindre Laval dans la Mayenne, de conduire sa voiture pour évacuer sa famille vers le sud. Tout le monde embarque : madame Dolle, ses deux enfants, mon père bien sûr et ma soeur Janine. Mon frère Claude et moi suivons en vélo. Seule ma mère reste à son poste au bureau des PTT de Longpont. Elle ne partira que dans les tous derniers jours de mai après qu’une bombe, tombée sur la route à 15 mètres de la maison, ait fait voler en éclats portes et fenêtres. C’est un officier d’une unité de cavalerie qui lui dit : “Mais, madame, il faut partir. Vous ne recevrez de vos supérieurs à Laon aucune directive. Il y a longtemps que tout le monde a foutu le camp.”
Elle part sur une auto mitrailleuse jusqu’à Meaux où elle peut prendre le train pour rejoindre Laval, où nous sommes arrivés le 20 Mai.
A Pithiviers, Madame Dolle a retrouvé son mari. Nous quittons donc la famille Dolle, et c’est par le train, après de multiples changements et péripéties diverses, que nous arrivons dans le chef-lieu de la Mayenne, point de regroupement des fonctionnaires de l’Aisne, toutes administrations confondues. Nous avons trouvé à nous loger à St Berthevin les Laval. Mon frère et moi avons du boulot dans une ferme : on coupe, on met en bottes, et on rentre le foin. Ce n’est pas le bagne, loin s’en faut : travail 2 heures, collation, travail, collation etc. A ce rythme, on attrape peut-être des ampoules, mais on se fait surtout du lard. On en oublie presque la guerre, mais elle ne va pas tarder à nous rattraper.
RETROUVAILLES et Nouvelles Séparation (Maurice RENOUX)
Le Vendredi 17 Mai 194O, après notre départ, Andrée été donc restée à son poste à LONGPONT. Alors qu’il y avait une cliente au guichet, les avions lâchèrent des bombes sur le pays, Dédée et sa cliente se précipitèrent à la cave, une deuxième bombe, puis une troisième éclatèrent de plus en plus près, (Dédée pensait “La quatrième sera pour nous!!!), en effet, cette bombe tomba sur le mur en face de la Poste, de l’autre coté de la route, envoyant une bonne partie des pierres du mur sur la route et fracassant par la déflagration les carreaux, portes et fenêtres de la Poste. Remontant, tout éperdue, Andrée se rendit compte qu’elle ne pouvait plus rester là et se risqua sur la route. Bien lui en pris, elle vit un camion militaire arrêté, dont les hommes déblayaient la route pour se frayer un passage. Elle s’adressa au sous-officier et lui demanda s’il pouvait l’amener, ”Vous êtes la receveuse?”, lui demanda-t-il, “Où sont vos bagages? vous n’avez rien oublié?, votre comptabilité, vos valeurs, les timbres, le timbre à date?”- ”J’ai tout cela dans mes sept sacs qui sont là. Vous avez l’air de bien connaître le service postal”. -"Oui Madame, mon père était Receveur en 1914, et, il s’est trouvé dans les mêmes conditions que vous aujourd’hui. Vous comprenez pourquoi je suis heureux de pouvoir vous être utile.
Après avoir chargé les sacs, ils partirent vers la FERTE-MILON, où se trouvait un bureau de poste. Le receveur dit, "Je ne peux rien prendre, car moi-même, je pars tout de suite, je vous conseille d’aller à MEAUX, c’est un grand bureau de Poste, il doit y avoir du monde”. De retour au camion, elle expliqua ce qu’elle venait d’entendre. Le sous-officier la fit remonter et lui dit “Nous allons nous rendre au poste de Commandement du Régiment de Chars qui est à LIZY Sous OURQ. Nous vous hébergerons et nous vous ferons dîner; Demain, il y aura certainement une corvée pour aller à MEAUX et l’on vous emmènera”.
Présentée aux officiers, Andrée fut très bien accueillie, elle raconta son histoire, et dit qu’elle avait hâte de revoir sa famille. Le Samedi 18, elle fut conduite à MEAUX, libérée de ses sacs postaux, elle prit le train pour PARIS et COLOMBES. Elle arriva chez sa mère et sa sœur. Tous furent étonnés d’apprendre que les Allemands étaient dans 1’AISNE et peut-être à SOISSONS. Elle passa le Dimanche 19 avec eux, et le Lundi 20, elle nous rejoignit à LAVAL. Andrée est enfin avec nous.
Mais nous n’étions pas au bout de nos peines; Andrée fut affectée au bureau de Saint BERTHEVIN-les-LAVAL, à une dizaine de kilomètres avec Mme DOLLE, par la Direction des P.T.T. Elle trouva à loger tout le monde et je pus, quelques jours vivre avec eux.
A mon tour, je fus affecté à la Direction de Saint LÔ (MANCHE). J’avais été placé à la brigade de surveillance et mon chef de service, M. PETANGUE m’avait trouvé une chambre quelques jours après, dans la même maison que lui. J’y étais très bien. Avec mon nouveau chef, nous parcourions la partie NORD du COTENTIN, uniquement pour des surveillances d’alambics ou des affaires de contentieux. Nous étions bien au courant des événements par la Radio et nous suivions la marche des envahisseurs. Quand les Allemands eurent atteint PARIS, nous pensions bien qu’ils ne s’arrêteraient pas là. J’envisageais un nouveau repli, mon chef aussi. Une chose me tracassait, c’était de risquer de ne plus avoir de nouvelle des miens et de me trouver sans argent. Fort heureusement, le Syndicat avait obtenu que les Directions d’origine établissent une fiche de renseignements pour chaque employé afin de pouvoir percevoir leur traitement.
L’évacuation, 2ème acte: (Pierre Jules RENOUX)
On arrive à la mi-juin. La famille, à peine rassemblée va se disloquer. Mon père part dans la Manche rejoindre la Direction Départementale des C.I. Mon frère Claude et moi partons en vélo pour le Lot; ma soeur aînée est dans un sana des PTT à Montfaucon du Lot.
Pour ma mère et ma soeur Janine, l’évacuation tourne au drame, à la limite de l’épouvante. Après notre départ, elles quittent Laval par le train le 16 ou le 17 juin en direction de Nantes. A Rennes, les trains de réfugiés, de militaires, de munitions sont bombardés par la Luftwaffe : un carnage ! Plusieurs milliers de morts... Ma mère et ma soeur ont sauté du train. Dans l'affolement général, elles sont séparées et se perdent de vue. Ma mère, pendant 3 jours, va faire les hôpitaux et les morgues pour retrouver Janine, en vain... Vers le 14 Juillet, elle saura enfin que ma soeur a été récupérée par de braves gens qui l’ont emmenée et hébergée à Vannes
DIRECTION SUD-EST: Saint LÔ, POITIERS, .BORDEAUX. (Maurice RENOUX)
Nous partîmes, M. PETANGUE ayant un beau-frère à BORDEAUX, nous comptions donc s’y arrêter. Vers midi, brusquement, nous vîmes de la vapeur s’échapper du radiateur, la durit était crevée, je m’offris de démonter cette durit et d’aller au garage le plus proche pour en chercher une autre. Je partis à pieds, le personnel du garage était allé déjeuner, j’attendis leur retour pour repartir aussitôt servi. En traversant le passage à niveau, (j’étais au beau milieu des voies), quand j’aperçus un avion qui volait en rase motte. Je n’ai eu que le temps de me coucher, mais il ne tira pas sur la gare. J’appris plus tard, qu’il était allé reconnaître l’important embranchement de FOLLIGNY (MANCHE). Peu après, en effet nous entendîmes des explosions, c’était une escadrille qui bombardait cet objectif, (il y avait des cratères énormes de cinquante mètres de diamètre). Les locomotives étaient réduites à la verticale; Je rejoignis la voiture et effectuais la réparation. Nous repartîmes et nous avons croisé une unité de chars anglais retournant s’embarquer à CHERBOURG. Les Anglais nous faisaient des signes indiquant que leur moral était très bas. Mon collègue accepta de faire un détour pour passer à Saint BERTHEMIN rassurer ma femme. Nous apprîmes que la famille était partie!!!.
LA FAMILLE EST À NOUVEAU DISPERSEE. (Maurice RENOUX)
Mes fils, Pierre et Claude, étaient partis à vélo, envoyés par leur mère à VILLIERS (Chez la Tante BERTHE). Ils devaient par la suite, aller à MONTFAUCON, dans le LOT, le cas échéant; Leur soeur aînée, Lucette, étant, dans cette ville, dans une maison de convalescence. Quant à ma femme et à Janine, ainsi que les autres P.T.T de l’AISNE, elles avaient un ordre de mission pour rejoindre ANGOULEME par RENNES et NANTES.
Quant à nous, nous partîmes en direction de POITIERS, où nous arrivâmes à la nuit tombante. Je ne me souviens pas comment nous fûmes hébergés. Au restaurant, un officier, qui était en face de moi, me dit “Je viens de téléphoner à ma femme pour qu’elle retourne à la maison, sans perdre de temps, les Allemands vont être dans tout le pays avant peu, il est préférable qu’elle soit chez elle que réfugiée on se sait où!!”
Nous quittâmes POITIERS le 19 Juin 194O, nous venions d’apprendre que l’armistice était signé. A BORDEAUX cela nous fut confirmé, et en même temps, on nous apprenait qu’il était interdit de quitter la ville. Nous nous présentâmes à la Direction des Contributions Indirectes. Nous n’avions aucune affectation, mais nous devions passer tous les jours prendre des ordres.
Récit de Claude RENOUX
Les allemands ayant enfin retrouvé le noyau dur de notre défense élastique, nous allions à nouveau devoir leur faire voir notre roue arrière, et nous replier sur des positions préparées à l’avance: A savoir Villiers (Indre).
J’ai en mémoire une longue, longue ligne droite, interminable située du côté de LA FLÊCHE, siège du prytanée militaire, où notre arrière grand père officier du génie, sinon de génie, avait été professeur de topographie: Charles BUISNEAU, né à la Flèche, était donc le père de notre grand mère paternelle. Sa photographie en grand uniforme au col brodé de feuilles de chêne, fourragère, aiguillette et tuti quanti, décorait la chambre de ma grand mère Louise, et dite “Manzette “. J’ajoute qu’avec sa moustache avantageuse et sa royale notre arrière grand-père avait fière allure. Je disais donc que cette route de La Flêche me laisse un souvenir pénible. J’avais faim, j’avais soif, j’étais fourbu, j’étais crevé, je souhaitais de tout coeur que l’un de nos pneus soit également crevé. Mais rien à faire, la maison Michelin était à la hauteur de sa réputation. (C’était d’ailleurs, je me souviens, des pneus Wolber fabriqués à Soissons). Pierre était intraitable, il nous fallait passer la boire ce soir, on se reposerait après....
ET Il AVAIT RAISON!
Car lendemain matin, les intrépides aviateurs italiens faisaient leur peu glorieuse entrée dans la guerre en bombardant les ponts de la Loire, faisant des milliers de victimes parmi les réfugiés civils bloqués sur ces mêmes ponts. Ces ponts que nous avions franchis la veille au soir. Médédée qu’on n’appelait pas encore comme ça, nous avait confié une lettre à remettre à la première receveuse des P.T.T. que nous trouverions si nous étions dans le besoin. Pierre portait sur son sein cette lettre comme on porte le Saint Sacrement. Moi, je faisais de ce précieux document, quelque chose comme la lettre que Monsieur d’Artagnan père donna à son fils pour Monsieur de Tréville, (lettre qui lui fut dérobée par l’infâme comte de Rochefort à Meung sur Loire). Plus heureux que d’Artagnan nous disposions de notre blanc-seing, et pûmes le présenter à la receveuse de Langeais (ou Bléré, ce qui est sûr c’est que c’était sur la rive gauche de la Loire et qu’il y avait un château.) Ce blanc-seing, moite de la transpiration de Pierre, communiqua son humidité aux yeux de cette brave femme. Laquelle nous reçut à bras ouverts, je dirais même à draps ouverts, car le lit me parût extrêmement confortable, après son pot au feu particulièrement succulent. Aux aurores le lendemain, frais comme des gardons, après avoir fait nos adieux à notre bonne hôtesse, et avoir été affectueusement pressés sur sa généreuse poitrine, nous prenions la direction de Villiers.
OBJECTIF: TANTE BERTHE, soeur de notre grand père maternel (que nous n’avions pas connu).
A notre arrivée, Tante Berthe, après les embrassades d’usage, nous attira dans un coin pour nous glisser dans l’oreille: “ méfiez vous, ici il y a le péril rouge.
Direction Limoges (Claude RENOUX)
J’avais aux pieds depuis Soissons une paire d’espadrilles dont la semelle de corde très épaisse était enrobée dans du caoutchouc. Les chaussures c’est fait pour marcher, d’accord, mais quand on fait du vélo ça peut également servir â autre chose.
La preuve: Je n’avais plus de freins, ni à l’avant, ni à l’arrière. Les patins en étalent archi usés, et les marchands de cycle (enfin, ceux qui n’étaient pas encore partis) avaient épuisé leurs stocks. Pensez: avec le monde qu’il y avait sur les routes! Pierre, garçon plein de ressources, et doté d’une ingéniosité à toutes épreuves, trouva la solution: supprimer les garde-boue et freiner avec le pied . . . pas plus! Et nous repartîmes dans la cohue. Le flot des véhicules civils était sans cesse grossi par des convois militaires à la recherche de leurs officiers partis les attendre à la frontière espagnole. On sait que le rôle des chefs est d’être à l’avant de la troupe. Préfiguration de la future Europe, on voyait pas mal de Belges, de Hollandais, de Luxembourgeois, de Français bien entendu. Manquaient que les Allemands, mais patience, ils n‘étalent pas loin derrière. Pierre et moi, sur nos bicyclettes allégées (déjà!) nous faufilions au milieu de ce flux migratoire, profitant dans les côtes des engins motorisés pour nous faire tirer. J’ai souvenance d’avoir fait quelques kilomètres accroché à un énorme volant, situé sur le côté droit d’un phare de la D.C.A autoportée
Il me revient comme une obsession les noms de certaines bourgades traversées: Le Blanc, Le Dorat, La Trimouille. Ah, La Trimouille! En plus des nombreuses rimes riches que je lui trouvais, me remontaient des réminiscences littéraires. Alexandre Dumas, bien sûr. Avec l’omniprésent d’Artagnan, et l’un de ses plus fameux affrontements avec les gardes du cardinal. “ L’hôtel de la Trimouille ‘.Nous mangions comme nous pouvions, nous avons même pris une fois un vrai repas au restaurant. Je crois que c’était à Uzerches. Pour la première fois de ma vie j ‘ai vu à la table voisine un homme faire chabrot. C’était un plâtrier, je me souviens avoir trouvé cela absolument dégueulasse! J’ai changé d’avis depuis.
Nous dormions à la belle étoile ou dans des granges. Il m’est même arrivé de me laver. Pierre avait du probablement insister. Moi, j’avais perdu le goût du luxe! On s’habitue à tout, et finalement avec le recul du temps, il n’arrive de m’avouer que cette équipée constitue un de mes meilleurs souvenirs.
Et pourtant! Comme beaucoup de choses en ce bas monde, mes super espadrilles aux semelles enrobées étaient condamnées à l’usure d’abord, au trépas ensuite. J’en devais accélérer le processus par un usage intensif dans une fonction contre nature que n’avait pas prévu le fabricant. Certes, j ‘essayais de les ménager en alternant pied droit, pied gauche; freinage avant, freinage arrière; afin d’en répartir l’usure aussi équitablement que possible. Mais les meilleurs serviteurs finissent toujours par devenir susceptibles. Mes escarpins commencèrent à se négliger, leurs semelles prirent de plus en plus de concavité. Ce qui les faisait ressembler à de vieilles tuiles romanes. Elles décidèrent de se venger cruellement des mauvais traitements que je leur infligeais.
Nous venions d’arriver à Limoges. Je suivais Pierre naturellement. C’était mon éclaireur, mon phare, mon guide, ma balise Argos et surtout le porteur du ravitaillement. Le soleil étant au zénith, mon estomac marquait midi. Nous abordions une avenue ombragée, bien droite, pavée et partagée par une ligne de tramway. Une déclivité sympathique nous indiquait la place de la gare - ouf, on allait pouvoir souffler un peu. Pierrot étant trop loin devant, je me proposais de le rattraper vite fait, bien fait, en trois vigoureux coups de pédales. L’essentiel étant de ne pas le perdre de vue. Mon regard fixé, non sur la ligne bleue des Vosges, mais sur sa coupe de cheveux dite “ à la bressan “; j’oubliais de regarder le sol et les rails du tramway profitèrent traîtreusement de mon inattention pour bloquer une roue avant. La critique est facile, mais l’arrêt difficile.... L’arrêt fut instantané. Le vélo immobilisé je continuais ma route sans lui, selon la Loi de l’inertie, décrivant une gracieuse parabole, qui, n’ayant rien de biblique, me déposa sur le pavé avec une inconcevable brutalité. Plutôt sonné, et contusionné, honteux et confus, jurant mais un peu tard qu’on ne m’y prendrait plus.
On allait pourtant m’y reprendre, et pas plus tard que tout de suite. Je redressais ma roue avant sous le regard indifférent de la plupart des témoins, vérifiais si mes bagages étaient bien arrimés, particulièrement le précieux pantalon de l’école navale. Et je sautais en voltige sur mon fringant coursier. Fantaisie parfaitement inutile puisque il s’agissait d’un vélo femelle. Mais je tenais à faire mon petit effet sur deux pisseuses de mon âge qui me regardaient, pensais-je, avec un certain intérêt. Mon petit effet tomba complètement à plat, comme moi cinq minutes plus tôt. J’en fus d’autant plus mortifié que ces deux garces s’étranglaient de rire! Je rengainais cette blessure d’amour propre au plus profond de ma vésiculaire biliaire, et maître de ma destinée j’examinais la suite. La suite n’était pas spécialement réjouissante; la déclivité de la pente s’était accentuée et la cohue indescriptible. La Loi de la pesanteur me propulsait à une allure vertigineuse vers la place de la gare.
Tentative de freinage contrôlé à coup de semelle. Brûlure fulgurante: c’est ma plante du pied droit qui vient de suppléer à la défaillance de mon espadrille dont la base vient de rendre l’âme. Brutalement mon pied se relève sans ma permission. Il vient de proclamer son indépendance! Et la vitesse qui me gagne......... Je me sens catapulté vers la place. Au beau milieu de laquelle trône un énorme représentant de l’autorité, solidement campé sur ses deux jambes écartées. Il me tourne le dos (l’imprudent !), occupé qu’il est à renseigner un petit jeune homme en qui je reconnais mon frère Ma décision est prise: j’estime l’adiposité du gardien de la paix plus confortable que le crépi du mur d’en face, et je baisse la tête...
Patatras! Boum! Aie! Qu’est ce que c’est? Mon bibendum en képi proteste, vitupère, invective, insulte, et vous savez qui? Je vous le donne en mille! Moi, oui moi! Alors que je ne lui ai encore rien dit! Un caractériel probablement! Mais à la guerre comme à la guerre, non? Justement on l’avait oublié celle la! Très opportunément elle se rappelle à notre bon souvenir, sous la forme d’une intervention tonitruante de la Luftwaffe, ravie d’avoir retrouvé dans ses collimateurs les Renoux Brothers “, noyau dur de la défense élastique.” Les bombes commencent à tomber, ce qui excite le zèle d’une D.C.A miraculeusement sortie de sa réserve devant l’imminence de l’armistice. Courageuse, mais pas téméraire, l’hirondelle de Limoges s’est spontanément limogée. Disparue probablement dans un abri individuel assez large pour accueillir ses formes opulentes. Il va de soi, qu’en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, j’ai mis ma précieuse personne à couvert.
Le couvert en question est un monument entouré de fusains, construit en je-ne-sais-quoi, à la gloire de je-ne- sais-qui, mais situé je sais où: devant la gare de Limoges. Au petit bonheur je plongeais dans le massif de fusains, espérant que son vert feuillage me dissimulerait aux yeux de 1’ ennemi.
Quand je dis: “ au petit bonheur ~, c’était une formule particulièrement heureuse car je me trouvais nez à avec un de mes condisciples du collège de Soissons. Ce garçon était petit et s’appelait BONHEUR. Comme ça ne s’invente pas, je ne l’ai pas inventé. J’avoue qu’au collège, je ne l’avais pas trop fréquenté. Voyez le genre: fort en thème, fort en math, FORT EN TOUT. Sauf bien entendu en gym et en dessin. A l’évidence nous n avions pas la même culture, mais je ne suis pas raciste. La divine providence m’ayant sauvé deux fois la mise dans le quart d’heure précédent, j’accordais au petit BONHEUR un regard plein de mansuétude, ne pouvant lui tenir rigueur d’être tort en thème puisque cette infirmité n’est pas contagieuse.
D’autant que nous avions eu le même réflexe: plonger dans les fusains. C’était de sa part une preuve d’intelligence -J’en pris note - il avait fait des progrès en gym - J’en pris note. Pour la première fois nous étions ex-aequo. Je m’en réjouis car je ne suis pas sectaire. Allégée de ses bombes, sans doute dépitée de nous avoir une fois de plus ratés, la Luftwaffe était repartie vers ses bases.
OU NOUS VECUMES UNE SERIE DE COINCIDENCES EXTRAORDINAIRES. (Maurice RENOUX)
L’ARMISTICE était donc signé, j’étais à BORDEAUX sans nouvelles de ma femme et de mes enfants.
Le beau-frère de M. PETANGUE, qui tenait une droguerie, m’offrit l’hospitalité. On me trouva un lit cage que l’on installa dans un cabinet de rangement avec fenêtre. J’étais donc très bien, je prenais mes repas avec eux et comme ils ne voulaient pas m’indiquer un prix de pension, je m’arrangeais pour amener mon écot en achetant ceci ou cela pour tout le monde.
Un jour, vers midi, nous attendions le retour de Mme et M. PETANGUE, qui étaient allés faire des courses. Comme ils tardaient beaucoup, mes hôtes dirent “Tant pis, nous allons commencer à manger” Enfin, les retardataires arrivèrent, mon collègue me tendit une lettre, ”Connaissez-vous cette écriture? “- “ C’est l’écriture de ma femme! !“. D’ailleurs, au, dos elle avait mentionné sur l’enveloppe: Mme A.RENOUX, receveuse des P.T.T, repliée à la Direction Générale de RENNES. Cette lettre ne m’était pas adressée!!, (Andrée ne connaissait pas mon adresse). Cette lettre était adressée à Mme CARRE (Carré), à ANGOULEME.
Je savais qui était Mme CARRE, elle avait été receveuse des Postes à LONGPONT avant Andrée, elle nous avait même rendu visite.
Je pris donc connaissance de cette lettre.
J’appris que partant de LAVAL, où elle était réfugiée, elle devait avec Janine rejoindre ANGOULEME. Le train qui les amenait à RENNES avait été bombardé et mitraillé par les Allemands. Ma femme et ma fille se trouvèrent séparées, l’une se sauvant à droite de la ligne de chemin de fer, l’autre à gauche. Elles ne se retrouvèrent que trois mois plus tard!!!.
Je demandais à mon collègue comment il avait pu entrer en possession de cette lettre qui ne m’était pas destinée.
Il me raconta ceci: ”Nous marchions, ma femme et moi, sur une des grandes avenues de BORDEAUX, quand, une Division de blindés allemands défila, se dirigeant vers le SUD, 1’ESPAGNE probablement. J’aperçus une voiture en stationnement, immatriculée dans la MANCHE, je demandais donc au conducteur dans quel état il avait quitté la ville de CHERBOURG, dont il me dit être originaire, (l’état des ponts, des villes etc.)”. Le conducteur lui donna des détails, dit qu’ils avaient traversé POITIERS, ANGOULEME, puis il s’écria, ”J’avais une lettre à poster pour ANGOULEME! J’ai oublié de le faire, pourriez vous la poster à ma place??”. C’est ainsi que M. PETANGUE prit la lettre. Il l’a mit dans sa poche avec l’intention de la poster, quand la circulation aura été rétablie. Devant la Poste il dit à sa femme “Il faut que je poste la lettre”. Il allait la glisser dans la boite quant il aperçut au verso le nom de Mme A.RENOUX etc. etc. Il dit alors “La femme de M. RENOUX est bien receveuse des Postes? Cette lettre parait bien être de sa part. Nous allons bien voir, il verra bien si c’est l’écriture de sa femme”.
C’est ainsi que j’ai eu des nouvelles de ma femme. Aussitôt, je partis à la Poste pour envoyer la lettre en question à Mme CARRE, sa destinataire, je lui racontais comment cette lettre m’était parvenue. Je télégraphiais à Lucette qui était à MONTFAUCON sur LOT avec ses deux frères. J’expliquais à l’employée du guichet cette aventure, ”Madame, pardonnez-moi cette exaltation mais je suis bouleversé par ce qui m’arrive, c’est tellement extraordinaire! !! ”.
J’écrivis aussitôt à ma femme, en utilisant l’adresse qu’elle avait mise au verso de l’enveloppe (adresse provisoire puisque son ordre de mission pour ANGOULEME n’était plus valable, et qu’elle devait retourner dans l’AISNE)
LETTRE QUE MADAME CARRE A ECRITE À ANDREE, FAISANT ALLUSION A LA FAMEUSE LETTRE RECUE PAR HASARD!
Angoulême le 12 Juillet 1940.
Bien chère Madame,
Suis navrée d’apprendre que vous n’avez pu encore joindre votre jeune fille. Quel dommage que son séjour à VANNES ne soit pas prolongé. Peut-être tente-t-elle de venir jusqu’à Angoulême ou bien retourner dans la Mayenne ! C’est désolant!! Soyez assurée, au cas où elle arriverai ici, que l’aide la meilleure lui serait apportée. Les P.T.T de l’Aisne sont toujours là ! Aucune nouvelle pour le retour. Les DELBOEUFS sont sans nouvelle de leur soldat. Mme DOLLÉ repliée à Tarbes. Vous enverrez un mot pour indiquer le départ d’Angoulême de la Colonie de l’Aisne. Quoi qu’il en soit, le Directeur n’est jamais arrivé jusqu’ici, non plus que nombre d’employés, lesquels se trouvaient égarés un peu partout.
Ici, le personnel de Château-Thierry, parmi lesquels des amis à moi, que j’ai pu héberger, certains ont fait le trajet Château-Thierry, Angoulême en vélo. Que de tribulations pour tous. Ne me remerciez pas, Chère Madame, d’avoir fait si peu de choses (que de vous communiquer une adresse). Tant mieux que grâce au hasard, votre première lettre qui m’était adressée, soit miraculeusement passée dans les mains de votre mari, ayant, ainsi servi à renouer le fil familial, etc. etc., j’ai eu la joie de relier une autre famille des P.T.T du Loiret, etc., etc.
Signé Madame CARRÉ
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Maurice RENOUX 76 rue P.L. LANDE BORDEAUX
A Luce TOUX et ses frères
Sanatorium des PTT Montfaucon Lot
Bordeaux le 2 Juillet 1940
Mes chers petits,
Je suis inquiet sur Janine, Madame CARRE vient de me répondre qu’elle ne l’avait pas vu à ANGOULEMES, alors que les familles Dollé, Wargnier, et Deboeuf y sont bien arrivées. Votre maman qui est, je le pense, toujours à RENNES, à la Direction Régionale, doit se faire un mauvais sang terrible.
Ne manquez pas de m’écrire dès que cela vous sera possible car depuis la carte de Lucette du 26 juin je n’ai rien reçu.
Je recommande à Pierre et à Claude d’être gentils et bien obéissants avec Lucette et de chercher à s’occuper et à servir.
Amitiés à Gaston et à vous trois, mille affectueux baisers de votre papa.
Maurice RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Monsieur Maurice RENOUX Bordeaux le 4 Juillet 1940
76 rue P.L Lande
Bordeaux
A Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
Je suis toujours très inquiet sur le sort de Janine dont je ne sais toujours rien. De votre maman rien de plus, je lui écris à RENNES, mais la liaison postale ne doit pas être encore rétablie. Quel mauvais sang elle doit se faire ! J’ai bien reçu hier votre lettre. Je suis content que vous soyez à l’abri, aussi mal que vous puissiez être, cela vaut mieux que les bois. J’ai reçu hier également une lettre de Tante Berthe qui était inquiète sur votre sort mais entre-temps je lui avais adressé un télégramme qui a du la rassurer pour vous mais bien l’angoisser sur Janine. Mémère Marguerite est à Villiers et mes frères Félix et Emile sont à Clermont Ferrand avec leur famille (sauf Ginette qui est à Vichy ; Simone dont on est sans nouvelle ainsi que Madame Astier qui a du rester à Paris)
Vous devriez écrire à ces deux endroits : Villiers et Clermont-Ferrand ainsi qu’à Rennes et Saint Berthevin à tout hasard, peut-être qu’un service sera en avance sur une autre région. J’ai même écrit à Longpont au cas où votre maman y serait envoyée avant que le trafic soit repris par ici
En ce qui vous concerne, je vous confirme qu’il faut rester où vous êtes, ce n’est pas le moment de remonter où vous étiez. Tachez de faire le plus économiquement possible car je ne suis pas payé maintenant avant fin Septembre ! Et d’ici là, il se passera encore bien des évènements du train où ça va ! Inquiétez vous de savoir quel est le collège le plus près pour tacher d’y aller comme internes à la reprise. J’aime mieux vous voir par là : l’air est meilleur !
Je remercie beaucoup Gaston et Lulu de s’occuper de vous et de votre part soyez disciplinés et ordonnés. Je serai encore bien plus fier de vous si vous tenez compte de mes conseils. Dès que je saurais quelque chose au sujet de mon départ, je vous en aviserais ainsi que Clermont et Villiers : de même en ce qui concerne votre maman, il faut en faire de même de votre coté. De cette façon nous triplerons les chances d’être renseignés, et faites comme moi, 20% d’économie de timbre.
Vous connaissez ma façon de penser, elle n’a pas variée et bien des choses me font énormément souffrir en dehors de la séparation et du manque de nouvelles, mais vous, faites attention à vos propos et mettez « un bœuf sur la langue »
Bons et affectueux à tous de votre papa
Maurice RENOUX
Lettre de Marguerite HENAULT et Berthe GEORGET à Luce TOUX
Villiers le 4 Juillet 1940
Mon cher petit,
Aujourd’hui seulement je t’écris te sachant avec tes frères, cela nous tranquillise car depuis leur départ de chez Berthe nous ne vivions plus, nous demandant chaque jour ce qu’ils étaient devenus. Nous regrettions de les avoir laissé partir ; enfin ils sont en lieu sûr, mais comment fais-tu ? Je voulais t’envoyer un peu d’argent, nous ne le pouvons pas (la poste n’accepte pas les mandats, et je me demande comment nous allons faire. Nous avons reçu un télégramme de ton petit père qui est à Bordeaux, nous mettant au courant de la situation. Ta maman est à Rennes, elle a quitté Laval avec Janine et moi, je suis chez Berthe, attendant les évènements. Ton oncle, ta Tante, tes cousines doivent être à Clermont Ferrand. C’est te dite que toute la famille est dispersée. Il y a déjà longtemps que tu as écrit, fais le pour nous rassurer et nous dire comment tu fais pour y arriver ? Ta tante veut t’écrire. Je fini donc ma lettre pour lui laisser la place et je t’embrasse bien, bien fort comme je t’aime. Ta mémère qui ne cesse de penser à toi.
Marguerite
Ma chère Lulu,
Que d’ennuis depuis ta dernière lettre, l’arrivée de la Grand-mère le 16 Juin, celle de Pierre et Claude le lendemain, leur départ précipité le 19, tout cela pour arriver à quoi ? À tomber sur ce qu’ils voulaient éviter. Le jour de leur départ nous avons couché dans la cave de la classe avec Monsieur Villedieu, Colette et ses grand-père et grand-mère. Colette a trouvé que c’était joli d’être tous ensemble, elle aurait voulu recommencer, le lendemain Jeudi à notre rentrée dans notre maison les « 1ers éléments » ont fait leur entrée dans le bourg. J’ai eu l’honneur la première de leur donner des renseignements. J’étais très, très calme, il n’y a absolument rien eu, tes frères auraient resté ici ils auraient mieux fait, c’était pour eux comme pour les autres, rien, rien. A Mézières, il y a eu bataille. Lucienne et ses enfants, et tout le monde du reste, est indemne. Comment fais tu ? Je me le demande, Quelle idée d’aller te retrouver, pauvre enfant ! Enfin espérons des jours meilleurs. Ici nous manquons à peu près de tout sauf de pain. Il se tue veau et porc, on en a un kilo par ci, par là. Il y encore quantité de réfugiés et ils n’ont pas le droit de partir.
Ecris nous, ma chère Lucette si tu as le temps ou fais écrire à tes frères. Ils auraient bien pu le faire pour nous rassurer. Je t’assure que je regrette de les avoir laissé partir. Je les croyais à saint Hilaire, aujourd’hui, seulement, Jules nous avise qu’ils n’ont fait qu(y coucher.
Préviens ta mère si tu peux. Reçu une dépêche de Maurice hier qui nous dit qu’Andrée est à rennes. Direction Régionale et Janine peut-être à Angoulême.
Ta grand-mère ne peut pas te le dire, mais je trouve qu’il vaut mieux dire la vérité.
Je vous embrasse tous les trois bien affectueusement pour Auguste aussi. Votre tante qui vous aime Bien
Berthe
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils
RENOUX chez PITAUGUE 76 rue P.L. LANDE BORDEAUX
Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
9 juillet
Ma chère Luce, mes chers petits
Votre Maman était le 3 juillet à Nantes (chez Madame Digue, 12 rue Coste et le Brix) et essayait de gagne Angoulême
C’est par une carte postale de Madame CARRE du 8 juillet que je sais sa nouvelle adresse. Je suis bien indécis car tout d’abord j’aurai bien voulu bondir à Nantes mais je crains qu’elle ne soit partie. J’attends un mot d’elle pour savoir ce que je vais faire. Heureusement j’ai avisé hier madame CARRE de la nouvelle adresse de Janine, si bien qu’elle ne peut manquer d’en faire part à votre maman, ce qui la rassurera complètement, je l’espère.
Par même courrier je préviens Mémère Marguerite et mes frères déjà avisés d’hier que la Nine était à VANNES et que votre maman venait de changer de gîte. Pauvre maman qui doit bien souffrir depuis trois semaines sans nouvelles des siens. Je crois cette fois que son martyr touche à sa fin. J’ai envoyé un mandat à Janine hier soir (dès la réception du télégramme qui venait de Montluçon ( ?)
Je vous quitte tous les trois en vous embrasant bien tendrement. Amitiés à Gaston.
Maurice RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
13/7/40 Mes chers petits
Je pars demain matin ayant reçu mon ordre de mission de mon Administration pour Saint Lô (13 rue des Palliers)
Je passerai Angoulême à tout hasard. J’espère donc pouvoir embrasser votre maman et peut-être Janine si elle avait rejoint sa mère, cela me ferai bien plaisir. J’espère que rien ne viendra retarder ou contrarier mes projets. Je suis dans un état de nervosité que vous pouvez imaginer, m’attendant à chaque instant à voir arriver votre maman ou à recevoir un mot d’elle car je ne sais pas encore si elle a reçu avis de l’adresse de Janine, ni de la mienne. Que c’est long !
Bonnes grosses bises à tous et amitié à Gaston
Maurice RENOUX
PS reçu lettre de Dédée ce jour 14. Partirai à Nantes ce jour 14h10 Janine partie e VANNES pour Paris
Lettre d’Andrée RENOUX à son mari Maurice RENOUX
De Nantes
Le 13 juillet 1940
Mon cher petit;
Impossible de retrouver Janine. J'ai écrit un peu partout! Pourvu qu'elle ne se soit pas dirigée sur Paris. Avec quel argent??
Elle a donné son adresse à Vannes et là; elle n'a pas eu la patience d'attendre elle s'est présentée le dimanche 30 juin à 20 heures aux chèques postaux de Nantes. II n'y avait Là que des réfugiés qui n'ont pas su la retenir.
Elle leur a dit qu'elle prenait le train de 7 heures le Lendemain et qu'elle allait dans la famille à Paris. J'ai su que ce train n’allait que jusqu'à Chartres.
J'ai écrit au maire de Chartres; au maire du Mans; à la préfecture de la Seine à Paris; j'ai fait mettre des annonces sur le journal régional de Nantes "le Phare"; sur "L'Ouest éclair" lu en Bretagne; aucun résultat.
Tu dois connaître mon angoisse puisque toi-même tu dois passer par les mêmes appréhensions. Ayant écrit seulement aujourd'hui à la préfecture de la Seine; je ne désespère pas encore surtout si elle t'écrit sa nouvelle adresse; réponds-Lui par retour de courrier qu'elle reste où elle se trouve!!
Lorsque tu sauras par où nous sommes passées; tu te demanderas pourquoi nous sommes encore là!!
Je reste à Nantes jusqu'à nouvel ordre; du reste il est interdit depuis quelques jours de se rendre au sud de la Loire.
Dans la bagarre; tous nos bagages ont été perdus. Mais jusqu'ici; il n'y a que Janine qui me tourmente.
Après mon annonce du "Phare"; j'ai eu la visite de Mr Bellancourt fils qui habite Nantes. Je déjeune chez eux lundi prochain, il a été charmant.
150 personnes sont retenues à Longpont dont les femmes. La maison de "Leirel" a reçu une torpille; celle de Dambry n'existe plus; celle de Lecamp a été endommagée. Une torpille sur le mur entre les Bocquet et de Poteaux; le mur de Mme Binard; le château. Voilà tous les dégâts constatés. Le pillage et le bris dans toutes les maisons encore debout ; autrement dit moins de bobo qu'en 1914. La lettre des Bellancourt a été portée à la mairie de Villers Cotteret qui se charge (l’on ne sait comment) de les faire parvenir. J'ai même écrit chez Lehuby à St Lô de "la" garder si elle se présentait et que je paierai sa pension.
Je t'embrasse toujours bien tendrement.
Andrée Renoux.
P.S: Tintin Lebrun a été tué. Beaucoup sont sans nouvelle depuis le 15 Mai!!
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille JANINE
De Nantes
Le 14 juillet 1940
Ma petite Nine chérie
Enfin pour moi, cette année, le 14 juillet est encore un jour de fête puisque je reçois aujourd'hui la certitude que ma grande fofolle est encore en vie.
Simone m’écrit aujourd'hui me disant que tu es entre bonnes mains et qu'elle te prendra avec elle dès son retour à Paris. Dès que je serai sûre que tu es toujours à la même place, je t'enverrai un mandat.
Tu aurais dû rester à Vannes ; tu écris à tout le monde ton adresse à Vannes et tu n'attends pas les réponses ??
Je suis restée à Rennes, du 17 juin jusqu’au 28 juin à te chercher partout. J’ai fait des kilomètres dans les fermes, à 50 km autour de Rennes.
Le 29, j'arrive à Nantes si le 30/ tu te présentes aux chèques postaux, tu n'attends même pas le lendemain pour aller à la direction si tu t’était présentée là tu aurais eu mon adresse puisque je loge chez une collègue de Nantes qui a eu pitié de moi- car je couchais sur la paille sans couverture depuis le jour affreux du 17 juin où j'ai vu près de moi les morts de notre train et les blessés.
J'ai hurlé ton nom croyant te reconnaître parmi les morts. Enfin, je t'aperçois près du train puis plus de Janine! Jeudi dernier/ j'apprends avec bonheur que tu étais à Vannes: j'y cours, plus personne. Tu as semblé drôle au charcutier, ce qui m'a laissé encore plus d'inquiétude sur ton sort. Partout/où j'ai trouvé ta piste, j'arrivais trop tard. On t'a vue avec des jeunes gens qui avaient mauvaise allure. Alors, tu vois d'ici mes pensées!
Ecris vite que je sache quelle décision prendre à ton sujet et attends cette fois!
Comment fais-tu puisque tu n'as pas d'argent?
Je te serre encore plus fort sur mon coeur pour t'avoir retrouvée.
Surtout reste où tu es et ne te sauves pas encore petite folle.
Andrée Renoux
ODYSSEE DE JANINE. (Maurice RENOUX)
C’est à RENNES sur les lieux du bombardement que Janine et Andrée avaient été séparées. Andrée avait crié à Janine. “Ne retourne pas dans le train, car il y a des bombes non éclatées”. C’était trop tard, car Janine, n’ayant pas entendu, est retournée dans le wagon, a pris tous les bagages (qu’elles avaient abandonnés), et s’est enfuie dans la plaine. Aussi, Andrée a cherché en vain Janine dans les décombres, au milieu des morts et des blessés!
Janine, arrivée sur une route où passaient des convois, fit signe et une voiture s’arrêta. C’était des Médecins français. Ils firent monter Janine dans la voiture et mirent les bagages dans l’ambulance qui suivait. Arrivés à VANNES, i1s la laissèrent dans cette ville. Quant aux valises elles continuèrent dans une direction inconnue. Elles revinrent deux ou trois ans après, au bureau de LONGPONT, car notre adresse y figurait dessus... (Mais il a fallu du temps pour trier les bagages échappés sur les routes).
EXTRAITS DES LETTRES DE JANINE, qui m’arrivèrent également par hasard, sans doute par l’intermédiaire de Lucette;
“Le 6 Juillet 1940: Ayant trouvé une occasion d’aller à VANNES, j’y suis restée huit jours bloquée toutes les communications étant coupées. Je n’ai plus rien en poche, Maman ayant l’argent sur elle. Heureusement, j’ai trouvé des braves gens. Puis, j’ai eu une occasion d’aller à PARIS. J’espérais trouver Félix, et Émile, mais ceux-ci étaient partis. Je suis chez Mme GUERY, 22 Rue ETEX, PARIS 18ème
Mon cher petit papa, je t’enverrai un mot ce soir, pour te dire si je peux partir. Sinon, tu enverras un mandat dès que cela sera rétabli, etc.;”; Janine avait dix-huit ans à l’époque.
Elle put aller chez Marcelle et Félix à COLOMBES, dès que ceux-ci revinrent, le 26 juillet 1940. Elle y resta en attendant que sa mère puisse lui écrire de rentrer à LONGPONT. (La maison de LONGPONT était très abîmée, plus de matelas, pillées, dévastée etc.).
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille JANINE
De Nantes
Le 17 juillet 1940
Ma chère petite Nine
Aujourd'hui 17 juillet un mois exactement depuis que je t'ai perdue. Que de transes, que de pleurs (que de timbres dépensés) que de démarches pour pouvoir trouver ta piste.
Enfin depuis le 14 juillet, c'est à dire depuis trois jours je commence à revivre.
Ton papa est venu me surprendre le 15 à 6h et demi du matin. Il est reparti pour St- Lô ce matin où il doit rejoindre son poste. Moi même j'attends un ordre pour repartir, pour repartir où?? Je n'en sais rien peut-être Laval peut-être Longpont. C'est pourquoi il vaut mieux attendre quelques jours avant de fixer si tu dois venir ici, ou rester à Paris en attendant ton onde.
Hier, je t'ai envoyé 300 FR, dis-moi si tu les as reçus. Ton papa t'en avait envoyé 500 à Vannes.
Si les 500 F ne te parviennent pas d'ici 8 jours, je t'en enverrai d'autres. Je reçois ce matin, adressé à ton père à Bordeaux, ton long journal. Je le renvoie immédiatement à ton papa à St Lô, à la Direction des Contributions indirectes.
D'après ce journal, je m'explique pourquoi nous nous sommes séparées d'abord, j'étais près des WC au moment du bombardement, puis tous les gens qui étaient du côté de la voie où je me trouvais, ont été dirigés dans une ferme à 1500 mètres du chemin de fer. Là, on n'a pas voulu que nous allions à Rennes sous prétexte de torpilles non éclatées.
En effet, la nuit suivante, on a couché dans une étable avec une cinquantaine de vaches, (Oh! Les vaches) les torpilles ont éclaté. On croyait que c'était les avions qui recommençaient. J'ai été 15 jours sans me déshabiller. Dis-moi de quel côté tu as laissé les valises et de quelles façons tu les as perdue ; de façon de faire les démarches nécessaires en attendant va voir à la gare Montparnasse s'il te faut un laisser passer pour Nantes.
Ici, on a dit qu'il en fallait un fais en faire un c'est assez long, et si tu peux me rejoindre tu le feras. Mais attends mes ordres. J'ai peur de partir comme ton père vient de le faire.
Je t'embrasse autant de fois qu'il te faut pour rattraper ces 3 semaines.
Andrée RENOUX
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille JANINE
Andrée Renoux 20 Juillet 1940
P.T.T
Chez Mr DIGUE
Coste et le Brix
Nantes (Loire inférieure)
Ma Nine
As-tu reçu l’argent ? Soit les 500 FR. envoyés par ton père à VANNES. Soit les 300 FR. envoyés de NANTES!I!
Dis-moi le jour exact où tu les as reçus? JI attends pour nous mettre d’ accord que tu me dises si tu dois de l’argent. Ta santé, ma petite Nine, doit être bien ébranlée. Par ici, je vois les jeunes filles qui se préparent à passer leur brevet et cela me fait bien mal au coeur!
II est vrai que je ne veux pas me plaindre ayant retrouvé ma Nine.
II faut absolument que tu écrives une lettre de remerciements à Mme Cadord. Ces braves gens dans la consternation de t’avoir laissé partir. D’après leurs réflexions ils n’avaient pas 1air d’avoir cru un mot de tes explications et étaient très, très contrariés de s’apercevoir que tu avais dit vrai. C’est ce que j/ai cru démêler dans leur air embarrassé et consterné!
Ton petit journal envoyé à ton père où tu décris la scène du train est épatant. Tu me voyais assise dans le compartiment alors que j’étais prête à entrer aux WC. Couchée dans un buisson avec 2 petites filles dont la mère avait été tuée et que l'on voyait à une cinquantaine de mètres de là avec d’autres victimes. Je criais toujours après toi et les petites hurlaient: maman !maman !! Et j’avais la frayeur au fur et à mesure que l’on déposait les morts de te reconnaître parmi eux. Tout à coup, j’ai vu que l'on déposé une jeune femme qui avait des souliers blancs de gymnastique. J’ai cru que c’était toi ... Alors, inutiles de continuer, tu dois tout de suite voir la tête que je faisais !
Les pauvres petites filles/,6 et 10 ans, seules, hurlant toujours après leur maman et me la montrant au loin! Quel moment terrible ! Et que sont-elles devenues?
Je te bise mille fois.
Les lettres mises à la Recette principale, rue du Louvre, gagnent un ou deux jours sur les autres.
Andrée Renoux.
Trop tard!!! « Ils » n'auront pas ma galette.
Dis-moi/, à quel endroit as-tu perdu les autres valises et quelles sont les affaires qui étaient dans la petite, à part les papiers.
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille JANINE (lettre de Saint Lô)
Dimanche 21Juillet 1940
Ma petite Nine chérie,
Ta longue lettre du 12 m’est parvenue ce matin de Bordeaux, via Nantes, où ta maman en a pris connaissance.
Pauvre petite chérie, j’ai pleuré en lisant combien tu avais souffert et je suis bien fier et content de ton bon moral. A aucun moment, d’ailleurs, je n’ai douté de toi et ce n’est jamais cela qui m’a tracassé. Tu as obéi à ta conscience et tu as bien fait. C’est notre religion à nous, elle en vaut bien d’autres. Quand à tes camarades tu les remercieras de ma part. Leur action ne me surprend pas, comme parisien, à leur âge, j’aurai agi comme eux, tu peux me croire.
En raison de la lenteur de la correspondance, je suis toujours dans l’incertitude, ne sachant si tu es encore à Paris. Si ton oncle Emile devait revenir bientôt, la meilleure solution serait que tu restes avec lui. Ta maman étant sur le point de rejoindre Longpont, tu risquerais encore de faire un chassé croisé. Je te conseille donc d’attendre ton mandat de 300 FR car dès que je saurai que tu es fixée pour une huitaine, je t’enverrai 500 FR.
Entre temps ta maman et mi serons peut-être fixés sue ce que l’on va faire de nous, et d’autre part Tonton Emile sera peut-être revenu.
A moi maintenant de te raconter ce qui s’est passé depuis le lundi 17 ; Ayant été autorisé à partir en tant que mobilisable, je suis parti en auto avec mon chef de service, nous pensions passer à RENNES mais nous en avons été détourné à cause justement du bombardement de CESSON que nous ignorions. Passant à FOUGERES et VITRE de là j’ai essayé de téléphoner à Saint BETHEVIN-LAVAL (où ta maman avait été affectée par les PTT après son départ de Longpont) Mais rien à faire, J’ai demandé à pousser jusque là et quand j’ai vu le nid, il était vide. La voisine m’adit que ta mère et toi étaient parties la veille et Pierre et Claude l’avant-veille.
J’étais assez rassuré (quoique j’aurai préféré savoir dans quelle direction vous étiez partes) Après une journée d’arrêt à POITIERS, nous sommes arrivés à BORDEAUX, le 19 juin, juste pour être bombardés. Enfin, cela est un détail en ce qui me concerne. Aussitôt le soir même j’envoyais un télégramme –mandat à Lucette de 1000 FR pensant que les uns ou les autres pouviez être sans ressource. J’ai également télégraphié à CLERMONT FERRAND, mais les liaisons étant coupées, ce n’est qu’au bout de plusieurs jours que Lucette me fit part de l’arrivée des enfants, À ce moment là, d’après son terme j’ai pensé que tu étais avec, car elle aurait dû mettre les garçons. Je n’aurai pas hésité. Ce n’est que par un hasard extraordinaire que j’ai su que ta maman te recherchait et à ce moment mon inquiétude à ton sujet était immense comme tu peux l’imaginer. C’est seulement Lundi dernier que j’ai appris à Nantes, par ta maman que tu étais à Paris. Justement, j’avais eu mon ordre de mission pour rentrer ici et je suis parti le Dimanche 14 Juillet, m’arrêtant à Nantes sachant que ta maman s’y trouvait.
Tout est bien qui finit bien § et dans la famille jusqu’ici, i n’y a pas de victime dans cette bagarre, c’est un gros point.
Je voudrais pouvoir te prendre sur mes genoux et te câliner. Je confie au papier les milles bises bien tendres et affectueuses de ton papa
A bientôt
Maurice RENOUX
Lettre adressée à Janine RENOUX, chez Madame Fauverteix, 18 rue de l’Ourcq Paris 19ème par sa mère Andrée RENOUX
A suivre 6 rue ST Denis Colombes Seine
Nantes le 22 juillet 1940
Ma Nine,
Dès que je recevrai un mot d toi me disant être en possession du mandat de 300 f, je t’en enverrai un autre, à moins que tu n’aies pu venir jusqu’ici. Si ton oncle Emile est rentré il est préférable que tu restes à Paris avec lui. Mais, si tu dois rester seule encore longtemps, il vaut mieux que tu cherches à venir ici et te décider dans les 3 ou 4 jours .A moins que tu aies la certitude que ton oncle Emile revienne très prochainement alors il vaut mieux rester à Paris, Le voyage de Paris à Nantes coûte 136 F.
J’attends toujours de nouveaux ordres et d’après les on-dit on retournerait dans l’Aisne
La dernière lettre datée du 19 Juillet est arrivée ici le 2&. Le mandat de 500 F qui avait été adressé à Vannes m’a été remboursé, ici, ce matin. Donc, dis moi si tu as reçu les 300 fr. En combien mes lettres mettent-elles de temps. Je t’embrasse bien fort.
Maman
Ecris souvent à ton papa, j’écris à la cousine Françoise pour la remercier
Carte lettre adressée à Janine RENOUX, chez Madame Fauverteix, 18 rue de l’Ourcq Paris 19ème, par sa mère Andrée RENOUX
A suivre 6 rue ST Denis Colombes Seine
Nantes le 25 Juillet 1940 11H 30
Ma Nine
Je reçois ta lettre du 18 aujourd’hui. Je vois tu as changé d’adresse, cela me contrarie : Tu ne recevras pas les mandats qui te sont adressés, 22 rue Etex à Paris
Il faut t’arranger pour aller rue Etex, au moment où le facteur passe, sans cela voilà encore de l’argent qui se promène. J’attends que tu me dises si tu les as reçus. Les premier 500 Fr qui ont été à Vannes doivent te suivre d’adresse en adresse. Vite un mot pour que l’on puisse savoir ce que nous devons faire
Je te bise très fort
Maman
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Saint Lô- Manche)
Le 1er Août 1940
Ma Nine Chérie
Je suis heureux comme tout que ta maman ait pu t’embraser avant de rejoindre Longpont et de ce fait j’espère que sa santé va se rétablir complètement.
Quand je ‘écrivais j’étais convaincu que seul le tonton Emile rentrerait à Paris, comme étant dans l’alimentation et c’est pourquoi je te disais, « vas souvent voir s’il est rentré » Mais tout est pour le mieux puisque les Colombiens sont de retour et tu n’auras que l’embarras du choix. Je pense d’ailleurs que tes oncles ont reçu mes cartes écrites aussitôt leur retour chez eux. Ceci est important pour moi de le savoir, mais les lettres mettent trois jours au moins.
Je te joins les lettres de Pierre, Claude et Lucette à conserver précieusement comme les tiennes le seront. Je pensais partir ces jours-ci, mais je suis comme sœur Anne et je me demande si un jour j’arriverai à vivre comme tout le monde en famille. As-tu des facilités pour réviser tes matières avant ton B.E ? Comme je serais heureux si tu pouvais réussir, ma petite Nine ! Et tu le mériterai bien après toutes ces aventures.
Tu ne m’as dit si tu avais reçu tes deux mandats de 500 FR je sais que tu as touché celui de 300 FR Il faut aller chez la cousine Fauverteix tous les deux jours pour pouvoir toucher à la poste le 3ème mandat, cela évitera des complications. Peut-être que le 1er à suivi Rue d’Etex, il faudrait t’en informer.
Sois bien gentille et ne t’énerve pas trop, ma petite Nine, et mets en un bon coup, c’est le moment ou jamais.
Mille tendresses et affectueux baisers de ton papa.
Maurice RENOUX
Naturellement re- mille bises à partager avec toute la famille.
Lettre à Janine et à ?....adressée par sa mère Andrée RENOUX
Je couche chez Madame Dollé. La maison est ouverte à tous les vents. Dans une cour une cuisse de cheval en p par sa mère Andrée RENOUX putréfaction, dans un puits (celui de Cheffy) une tête de vache ! Quel jour vous parviendra cette lettre, faites le moi savoir.
Longpont le 4 août 1940
Chers tous et petite Nine
Me voici à Longpont que j’ai trouvé semblable à mon départ (extérieurement), c'est-à-dire que le 20 Juin le plus gros de la Bataille était terminée. A part les portes et les fenêtres qui ne ferment plus (certaines sont même enlevées) les carreaux de cassés et les murs déplacés de quelques centimètres, la maison parait encore solide. La bombe qui est tombée près du bureau a fait un trou que je n’avais pas vu le jour du bombardement, ce trou est juste en face de la porte du bureau. Je l’ai échappé belle ce jour là car il en était tombé une autre de l’autre coté du cimetière parallèlement à celle-là. Du reste, il parait que ce fameux jour il en est tombé cinquante. Une est tombé en plein sur une maison de l‘autre coté du monument aux morts et sept sur le château. Un avion a bombardé les ruines quelques jours après sans grand dommage.
Les quelques meubles venant de la grand-mère Louise ont été retrouvés à la cave, cachés dans de vieilles couvertures avec des livres de Lucette. Tout a été retrouvé moisis et décollés, il est vrai, mais avec un peu de patience et de temps, ils sont parait-il arrangeables. Ils ont échappés au pillage et à la destruction systématique. Il faut avoir vu ça pour le croire. Jusqu’à la conduite qu’on a sciée. Je n’ai retrouvé qu’un matelas et les sommiers Quant au reste de la literie, rien ! Rien d’autre ! Tout a été volés ou dispersés dans les champs et la forêt. Dans la campagne on ne fait pas cinquante mètres sans voir des matelas et sommiers pourris.
Rien que dans le bureau et le grenier il y avait plus de 30 matelas lorsque les premières personnes d pays sont arrivées. Ceux là ont fait leur choix et ces pourquoi les chambres étaient vides à mon arrivée, je n’ai trouvé qu’un matelas. Il y a 3 semaines les rues du village étaient jonchées de meubles cassés de batterie de cuisine. Ainsi ma table de nuit a été retrouvée complètement broyée. On croirait……………….(il manque la suite)
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Saint Lô- Manche)
Saint Lô, Dimanche soir (Dimanche 4 Août 1940)
Ma chère petite Ninette,
Ton petit mot du 1er vient de me parvenir et je suis très heureux de savoir ce que sont devenus les mandats
J’attends avec impatience une lettre de ta maman me donnant des détails sur son retour à Longpont. Hélas, je crains de ne pas la lire encore demain car je pars, cette fois, mais pas où je voudrais.
A la suite d’un décret, supprimant partiellement le privilège des bouilleurs de cru, les agents en surnombre sont désignés pour aller renforcer les Recettes du département pour procéder au scellement des alambics, ce qui représente un travail formidable parait-il, car dans le Sud du département il y en a environ un par ferme et des milliers de fermes. Comme les croquants vont mettre des bâtons dans les roues, si même ils s’en tiennent à cela, il va y avoir du sport, Auto, cyclisme footing et peut-être boxe ! Mais ne t’alarme pas plus que moi car jusqu’ici, je prends plutôt cela à la rigolade et si ce n’était le retard à t’embrasser que cela provoque je serais m^me content de quitter Saint Lô où je me dégoûte profondément ? Je t’expliquerai pourquoi
Ceci dit je suis bien content que ton oncle Félix ait reçu ma carte. Justement, aujourd’hui, je pensais particulièrement à tout ça en voyant un très joli car beige et roue où sur la poussière, on voyait s’étaler en lettres énormes, tracées avec le doigt : LONDON. Je ne suis que rarement Poète ( !) mais pourtant la rime est venue immédiatement avec plongeon…car à proximité, il y a une piscine.
Naturellement, tu feras la tournée de la bisaille de ma part et tu ne t’oublieras pas surtout (et sur l’œil encore !)
Au revoir ma petite Nine et à bientôt quand même
Ton Papa
Maurice RENOUX
Tu dois également être en possession de la lettre de Pierre envoyée le 1er Août.
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Normandie)
Mardi 13 Août 1940
Ma petite Nine,
Mes chers tous.
Je viens de lire cette bonne lettre collective qui vient jeter une note familiale dans ma solitude, car comme vous le pensez ce n’est pas très rigolo. Malgré cela, ici j’ai du travail et ma foi très agréable pour l’instant. Le temps est superbe et la région très pittoresque, j’aurai tort de me plaindre. J’ai trouvé un vélo d’emprunt qui est très confortable et je roule tantôt sur des routes excellentes mais aussi il nous arrive, pour atteindre les fermes isolées, de faire une partie de cross-country pédestre. A ce train là, je serai tout en fait en forme le cas échéant pour seconder le Général de Gaulle.
Vis-à-vis des bouilleurs de crû, tout se passe bien mieux que nous le pensions, à tel point que si je laissais faire, je serai « noir » tous les soirs.
J’ai déjà eu des nouvelles de ma petite Dédée dont l’état de santé m’inquiète. Elle maigrit d’une façon anormale et j’ai hâte qu’elle puisse se soigner sérieusement. Elle reçoit bien mes lettres, mais forcément pendant la période où elle s’est déplacée je n’ai rien écrit.
Comme je lui ai dit, le bilan des pertes matérielles aussi élevé qu’il soit pour nous, ne doit pas nous faire oublier que nous aurions piu être atteints encore bien plus cruellement, sui un des nôtres était resté dans cette bagarre. Nous étions déjà habitués à en baver, alors, en peu plus ou un peu moins.
Ma petite Nine n’est pas trop prolixe pour me raconter comment ses études sont organisées, j’aurai pourtant bien voulu être tenu au courant de cela, j’y pense souvent, mais je ne sais toujours rien.
Naturellement, je ne ai pas reçu de nouvelle de la Zone Libre depuis longtemps et ayant écrit au Tonton, la lettre m’est revenue avec la mention « inadmis » Les amateurs de bottes sont servis, cela a été progressif et ce n’est pas encore fini, nous en baverons encore .
Dimanche dernier, j’ai passé ma journée à la pêche à la truite pour tuer le temps, j’ai pris trois petites truites. Une grosse a coupé le fils au ras de l’hameçon si bien qu’elle est retournée à la rivière. J’aime beaucoup ce genre de pêche car on ne reste pas à la même place et c’est passionnant.
Je peux avoir terminé mon travail avant la fin du mois, mais je ne sais pas si après je rejoindrai l’Aisne. J’ai demandé à Andrée qu’elle intervienne auprès du Directeur de l’Aisne pour me rappeler mais je n’ai pas beaucoup d’espoir, nous sommes tellement dans mon cas.
La dessus et en attendant le plaisir de nous embrasser mutuellement, je vous envoie à la ronde mille bises et à ma petite Nine les affectueuses tendresses de son papa.
Maurice RENOUX
RETOUR D’ ANDREE A LONGPONT.
A NANTES, Andrée avait eu un “Ausweis” délivré par les Allemands. C’était l’autorisation de circuler que délivraient les Allemands pendant l’occupation (194O-1944). Elle était “invitée” à retourner à LONGPONT. La maison, en Mai Juin, avait été habitée par les troupes françaises. Quand Andrée arriva, elle était habitée par des soldats allemands. Pendant l’exode tout avait été pillé, souillé, cassé, (cela en plus des bombardements). Andrée demanda à un officier allemand d’évacuer la maison, lui rappela qu’en temps de Paix, il était interdit de loger la troupe dans un immeuble administratif.
L’officier prit très mal et lui répondit, ”Vous avez six soldats, mais, demain, vous en aurez douze, car les Allemands ne sont pas des voleurs”. Il tint parole. Les enfants revinrent en Septembre à la maison. Andrée retourna à la KOMMANDANTUR. L’évacuation complète se fit alors. (1er Octobre 1940).
Quant à moi, je quittais BORDEAUX pour retourner dans la MANCHE en chemin de fer. Je fis un détour pour aller embrasser ma femme. Elle était bien ébranlée par tous les événements qui avaient eu lieu depuis son départ le 17 Mai ! J’avais donc été affecté à Saint LÔ; puis à JUVIGNY le TERTRE, puis à VALOGNES, enfin, fin Septembre, je fus provisoirement affecté à VILLERS-COTTERETS, (tout près de LONGPONT), en attendant de rejoindre MONTCORNET.
Petit à petit la famille retournait à LONGPONT.
Lettre adressée à Janine RENOUX, par sa mère Andrée RENOUX
Longpont le 21 août 1940
Ma petite Nine.
Je commençais à m’inquiéter, ta lettre est venue un peu me rassurer, puisqu’elle m’apprend les craintes du Docteur.
Il faut avant tout te tenir droite je pense que le Docteur t’a donné du fortifiant. Pour la radio, elle est dans le paquet adressé à Lucienne. Enfin à Paris, il y a des hôpitaux pour te faire radiographier si c’est nécessaire. Ta tante Marcelle saura ce qu’il faut faire d’après le docteur.
J’ai retrouvé les draps sales qui étaient au fond du jardin, tu te rappelles qu’il y avait eu une lessiveuse pleine. La lessiveuse a disparue mais le linge était resté coincé sous des bouts de bois. Il y avait du sang plein les vieux sacs ! C’était d’une puanteur, en dégageant j’ai vu ce linge moisi et piqué mais ça fait quand même des draps. Je n’ai plus de serviette de toilette, c’est ce qui me manque le plus. Je fais des torchons avec les vieux chiffons, car toutes les vieilleries de ta grand’mère sont restées dans la malle, dans une il y avait même ce que je pense ! Enfin !
Tout ce que vous pouvez m’acheter pour nettoyer, vous pouvez me l’acheter. Mais il ne faut pas venir maintenant, il est dangereux de voyager actuellement.
Je vous bise tous à la ronde et toi, ma petite Nine bien, bien, bien fort pour l’ennui que tu m’as donné !
Andrée RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Saint Lô- Manche)
Jeudi 29 Août 1940
Ma petite Nine, mes chers tous
N’ayant pour l’instant que ce papier à ma disposition, j’en profite néanmoins pour ne pas différer à répondre à ta bonne petite lettre du 25. Je commençais à être inquiet et pensais que c’était encore un tour de ces messieurs qui voulaient me priver complètement de nouvelles de mes enfants, puisque déjà, les trois autres sont isolés de nous. Malgré cela, j’ai hâte de savoir ce que pense le docteur de tes différentes affections
Je voudrai naturellement qu’après un traitement sérieux et énergique tu puisses redevenir tout à fait bien portante et à jamais. Je remercie d’avance ta Tante Marcelle à ce sujet et lui donne absolument « carte blanche pour le dressage » quoique je suis absolument persuadé que tu lui évitera de se fatiguer à ce sujet, par une docilité remarquable et une obéissance entière.
Je m’excuse, ma petite Nine, de n’avoir pas songé à ta fête, Je songe par contre, depuis plusieurs jours que dans une quinzaine de jours tu vas avoir dix-huit ans. Cela me laisse souvent rêveur, si seulement je pouvais être là pour t’embrasser. J’étais content de voir ta petite photo et je n’ai pas froncé les sourcils en constatant certains détails. Tu sais bien que je peux être un papa moderne et que j’ai des enfants raisonnables. J’espère avoir du goût mais pas pour la peinture ! Aussi je ne vois pas d’inconvénient à ce que de temps en temps, tu soulignes légèrement de rouge ton petit bec sans abuser.
Je te remercie de penser à mon pull-over et t’indique les mesures, d’autre part, d’après celui qui me reste, compte tenu des modifications que j’y apporte ;
Je ne sais pas quand je repartirai. Mes collègues du Nord sont repartis Lundi, mais ils sont rattachés dorénavant à Bruxelles, et j’aime encore mieux attendre.
Merci à mon frangin de son petit mot, ainsi qu’à Mounette et mes petites Bichoutes, pour ce que vous faite pour ma petite Nine.
Et ma pauvre mémère qui a du se faire du mauvais sang avec tous ces évènements. Avait-elle des nouvelles de Lucette et des garçons ? Depuis plus d’un mois, je n’ai rien d’eux.
Je vous embrasse tous à la ronde comme de coutume.*Bien affectueusement.
Maurice RENOUX
400830 Lettre d’Andrée RENOUX à sa mère Marguerite HENAULT
Longpont le 30 Août 1940
Ma chère Maman
J’apprends par Janine que tu ses revenues à Colombes. Je pensais que tu avais eu des nouvelles de Lucette et des garçons puisque vous pouviez correspondre. Ecris moi vte ce que tu sais sur eux. Dès mon arrivée ici je t’avais envoyé une lettre, elle est revenue avec la mention « inadmis » Que deviennent ces pauvres petits, je me tourmente bien à leur sujet et compte sur toi pour me donner bien vite des nouvelles.
Je ne peux plus m’absenter d’ici car l’équipe actuelle de mes invités n’est pas la même que celle que j’avais au début. Il faut même que j’aie l’œil partout.
Vite ma petite mère écrit moi ! bien vite des nouvelles de mes trois exilés
Je vous embrasse bien fort tous et toi particulièrement
Andrée RENOUX
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille Janine
Longpont le 7 Septembre 1940
Ma petite Nine et tout le monde à COLOMBES (seine)
Je respire pour la santé de ma Ninette. Il faut qu’elle se tienne bien droite et ses poumons s’élargiront. Quand aux traces d’albumine cela m’ennuie un peu, j’ai toujours craint pour elle cette maladie à cause de ses chevilles enflées
Chaque lettre, Nine, me promet une photo et toujours rien, Petite tête folle !
Je comptais sur mémère Marguerite pour me donner des nouvelles des enfants, mais je vois qu’elle n’en sait pas plus long que moi…Pourtant la correspondance marchait en Franc … libre !
Quant à moi, je suis toujours en…….. Et du simple billet de logement, c’est passé au cantonnement !! Alors vous voyez ça d’ici.
Les fenêtres et les portes sont remises en place, on m’a même mis des vitres mais pas dans toutes les pièces car il y a pénurie de cette marchandise Le principal soit qu’il y ait plus de courant d’air
J’attends maintenant le courrier, ça c’est une autre affaire. Inutile de vous dire que c’est la croix et la bannière pour en trouver un de disponible. Si les fenêtres et les portes sont remises c’est parce que parmi les prisonniers français cantonnés dans les fermes, il y avait des menuisiers et moyennant 10 Fr. par jour payés par la commune on a pu à Longpont retaper les ouvertures. Malheureusement, je n’ai pu les avoir que 7 jours. Ces malheureux sont partis il y a quelques jours pour une destination inconnue.
Je vous quitte et vous embrasse tous bien affectueusement sans oublier la Grange Batelière. De grosses bises supplémentaires à ma Nine.
Ma petite Nine prends tu au sérieux ton travail de classe ?
Andrée RENOUX
Lettre d’Andrée RENOUX à son mari Maurice RENOUX
Longpont le 18 septembre 1940
Mon chéri ;
Comme je te l'ai promis hier, je vais te raconter l'histoire qui amuse tant mes "copains".
Je vais d'abord te les présenter.
Ils sont quatre et ne quittent pas souvent la maison, que pour aller à Soissons.
Il y a d'abord Ralph, c'est l'intellectuel de la bande/ et c'est celui qui tâchait, non pas d'excuser ses camarades, mais de m'empêcher de faire une réclamation en me racontant certains faits qui se passaient en 1920, lors de l'occupation française. (33ans)
Puis Adolf, c'est le rigolo, celui qui dit toujours des bêtises pour amuser la galerie. (32ans)
Vient ensuite Fritz, c'est le sentimental, il aime les fleurs. Coiffeur dans le civil et dans la vie militaire. Il coupe les cheveux toute la journée/, et est obligé de tenir une comptabilité en faisant signer ses clients, car il doit donner la moitié de ses gain aux officiers. C'est celui qui me bourre de bonbons, de gâteaux, de tomates.
Hier, il m'a donné des pêches. Il adore sa mère. Il a 27 ans.
Ensuite Hantz (27à 30 ans?) fils d'agriculteur, et lui-même dans cette partie. Il ne parle jamais que pour me dire bonjour et bon appétit.
C'est l'ordonnance des officiers de la maison Binart.
S'il n'y avait qu'eux, je ne me plaindrais pas, puisqu'il faut les accepter, arrangeons nous pour rendre la vie en commun sinon agréable mais Possible ... Mais il y a l'autre clan ... et quelle bande!
Voici l'histoire racontée par Adolf en montrant Fritz du doigt:
Fritz a deux femmes/ une C.R.R.R.ANDE, et une toute petite ... A cet endroit le conteur se hausse sur la pointe des pieds en levant le bras le plus haut possible, puis il se baisse le plus possible. Tu vois çà d'ici? Puis il monte sur une chaise et fait le geste d'entourer de ses bras une grande et grosse femme ... ensuite il se met à genoux et imite celui qui embrasse une toute petite femme.
Pendant ce temps Fritz, qui est bien aussi grand que Pierre Moquet (1,85 m) se plie en deux et se tord de rire, les autres en font autant.
Moi, la première fois que j'ai assisté à cette petite séance, j'ai souri par politesse et je pensais:"il n'en faut pas beaucoup pour les amuser!" Mais voilà bien 7 fois qu'il la raconte, je finis par rire d'avance et je pense cette fois "ils sont complètement mabouls".
Je te raconte tout cela pour te donner une idée de l'ambiance de notre intérieur à l'heure actuelle.
Dès le matin, au petit jour, je les entends cirer leurs bottes, puis en grande vitesse ils dégringolent l'escalier pour se rendre à l'exercice. On les entend compter, manoeuvrer sur place, puis ils défilent jusqu'à la comtesse au pas de l'oie et en chantant.
Cette petite comédie nous mène jusqu'à 9h. Je profite de ce laps de temps pour m'habiller manger et ouvrir le bureau.
Le soir à 8h (heure allemande) je suis souvent couchée de cette façon je n'use pas d'électricité. A ce propos, j'ai prévenu Dollé que je ne payais pas l'électricité tant que la maison serait occupée. Du reste je n'ai pas de lumière dans ma chambre/, la lampe et la monture sont cassées et si mes "invités" ont la lumière, c'est qu'ils l'ont fait réparer par l'un des leurs, électricien.
En parlant d'éclairage, il me faudrait bien une lampe électrique, mais d'ici, on ne peut rien acheter.
Ce matin, j'ai eu la visite de l'inspecteur des locaux, qui va, peut-être? Pouvoir me fournir des vitres, que je dois aller de sa part demander à la comtesse (la propriétaire) qui doit hâter les réparations. Jusqu'au poêle, qui est détérioré, mais nous n'avons pas d'ouvriers sous la main dans ce pays perdu.
Madame Ponsard m'a encore écrit, je lui ai donné plusieurs adresses, et elle est tellement contente que je m'occupe de lui trouver une piste, qu'elle m'embrasse. Pauvre petite femme, j'ai bien peu d'espoir pour ce pauvre gars. Il y en a qui ont écrit à Longpont de son logement, tu pense bien que s'il était vivant, il aurait donné de ses nouvelles à sa femme qu'il aimait beaucoup et à qui il écrivait tous les jours.
Je te quitte pour aujourd'hui et te fais mille caresses.
Dédée
Lettre d’Andrée RENOUX à son mari Maurice RENOUX
Longpont vendredi 20 septembre 40.
Minou chéri
Aujourd'hui, je suis un peu remise de ma joie d'hier et après réflexion je me demande comment il se fait que Lucette ne m’a pas écrit un petit mot? Peut-être disait-elle qu'elle était souffrante et que tu as préféré ne pas m'envoyer sa lettre?
Je ne fais que relire la lettre de notre Pierrot et suis heureuse d'avoir un enfant aussi prévenant. J'envoie ta lettre à Janine en la priant de me la rendre.
Avec mon" troupeau" je n'ai pas envie d'arranger la maison. "Ils" cassent et broient tout.
Maintenant qu'il fait froid "ils" s'installent le soir dans la cuisine près de la cuisinière il y en a toujours au moins trois ou quatre comme je l'ai dit à Mr Boquet hier c'est tout juste si je ne couche pas avec eux.
La nuit, je les entends "prouter" et ronfler et c'est à peine si j'ose faire mes petits besoins, car la cloison est bien mince.
Ils sont chez nous comme chez eux. Je ferme mon placard à clef, ainsi que la salle à manger. Qu'ont donc fait tous les hommes du village voisin pour être mis dans un camp de concentration? En tous cas ils n'ont pas l'air de vouloir s'en aller de sitôt et s'installent pour longtemps.
Si je crains des grenades dans la cheminée c'est que j'ai trouvé différentes choses dans le conduit jusqu'à une petite armoire de poupée qui appartenait à Lucette quand elle était jeune, des bouquins, des cahiers de Pierre et certainement qu'il y a autre chose car mon bras n'a pas pu descendre bien loin.
Tu devrais peut-être écrire personnellement à Mr Boulanger pour lui demander de venir à Villers - Cotteret remplacer celui qui est prisonnier. Cet homme là est charmant et en lui demandant son avis, il ne refusera pas de te donner un conseil pour obtenir satisfaction si la chose est possible.
Ecrit aussi à M. Hesteing pour lui demander son avis sur les enfants. Je te charge de cette corvée parce que tu tournes les lettres mieux que ta g ... de femme!
J'ai écrit à la Samaritaine pour lui demander de m'envoyer un catalogue pour la literie.
J'ai reçu une lettre aujourd'hui m'annonçant que ses stocks étaient épuisés et ne pouvant pas encore les renouveler elle regrettait de ne pouvoir donner suite à mon désir. Il faudra bien cependant avoir de quoi coucher cette progéniture?
Je m'arrête aujourd'hui et reprendra ma lettre demain après le courrier.
Samedi 21
Une lettre de Janine aujourd'hui que je te joins. Je lui réponds immédiatement, affirmativement car elle n'a pas de robe pour cet hiver.
Je te fais mille caresses affectueuses.
Ta petite Dédée
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille Janine
Longpont le Dimanche 21 septembre 1940
Ma petite Nine
Entendu pour ta robe Reçu hier par l’intermédiaire de ton papa une bonne lettre de notre Pierrot. Lis là, fais la lire et retournes la moi car j’y tiens. J’ai pleuré en la lisant. Remercie bien ta tante, ton oncle et ta mémère pour te gâter ainsi. Tu as du être heureuse qu’on te fête ton anniversaire.
Pauvres enfants, je voudrais bien vous avoir tous autour de moi ; mais je n’ai pas de matelas pour vous coucher J’en ai ramassé des vieux dans les champs, il y en a deux de grandes largeur, la laine une fous sèche et lavée sera bonne, mais il faut de la toile.
J’ai demandé à la Samaritaine de m’envoyer ses prix, elle m’a répondu hier, qu’elle n’avait plus de marchandise et qu’elle attendait la réouverture des fabriques, pour pouvoir faire éditer un catalogue.
Je te quitte. Je t’embrasse bien fort, bien fort ainsi que toute la maisonnée
Ta Maman.
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille Janine
Mardi 15 heures le 15/10/40
Ma chère Janine
Je t’écris à tout hasard peut-être seras tu partie de Colombes avec ton père. S’il est encore temps demande à Papa qu’il me rapporte
· Des bougies
· Huile de fie de morue
· Pâte Zébra acier pour la cuisinière
· Fil blanc en bobine grosseur moyenne
· Fil noir ---------- idem---------------------
Je n’irai certainement pas à Colombes le 18 mon congé n’étant pas encore accordé officieusement, je le prendrai maintenant sûrement pas ce mois ci, peut être au début de Novembre
Remercies bien ta tante pour moi et dis lui bien qu’elle peut disposer du vendredi.
Si j’avais su ne pas aller à Paris cette semaine, et l’arrivée de ton Papa, je t’aurai demandé de revenir à Longpont avec lui.
Pierre est malade depuis hier, il a eu de la fièvre, mal à la tête et mal aux jambes. Il est couché et j’espère bien que demain il ira mieux, dans le cas contraire je ferai venir le docteur.
Je vous embrasse tous bien fort
Andrée RENOUX
Les deux lettres suivantes ont été écrites plus tard en 1941 et 1942
Carte Postale envoyée par Mademoiselle Luce TOUX sanatorium P.T.T Montfaucon Lot à sa sœur Mademoiselle Janine RENOUX P.T .T Longpont Aisne
10 Août 1941
Ma petite Janine.
J’ai reçu les papiers de Vichy seulement aujourd’hui, je ne peux passer qu’avec un laissez passer aussi il me faudra attendre 1 mois encore environ. Comme mes bans sont publiés à Paris j’espère, rentrer plus vite quoiqu’il en soit je suis très cafardeuse net n’ai pas de chance, la préfecture du Lot se moque de moi, j’en ai l’impression car dans les autres départements tout va plus vite. Ce n’est jamais indiqué d rentrer à l’automne pour les changements de climat ! Mais de puis plus de ‘ mois j’attends et rien à faire, je t’assure que je prends quelques crises de rage. J’ai reçu une carte de Papa, il me dit qu’il n’y a plus de sel !!! J’ai quand même eu des nouvelles qui m’ont rendu heureuse ! Le fiancé de Geneviève AUDOIN, Mr LEROUQUIN va bien mieux, on pense le sauver depuis qu’un docteur oriental le soigne avec une nouvelle méthode. Je pense qu’il pourra marcher au printemps, c’est bien terrible d’être paralysé. Je n’écrirai pas à mémère car je lui en veux de ce qu’elle a dit à Poissy. Toujours trop bavarde aussi je ne lui raconterai plus mes affaires. Je t’embrasse très fort.
Luce
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (1942)
Samedi 2Mai (1942)
Ma grande fille,
Je m’empresse de répondre à ta gentille lettre pour que tu puisse recevoir lundi la présente.
A mon avis tu pourrais faire transporter ton charbon par Bonheur porteur, à défaut d’occasion. Comment font les gens de ta maison ? Peut-être puais tu faire comme eux. Pour ta cuisine, il te faudrait acheter un faitout en aluminium et une casserole, 4 assiettes, et deux verres. Tu prendras les fourchettes et cuillères à la maison ainsi que deux couteaux dont u pliant etc.…..
Ce matin j’ai pu enfin recevoir ma valise et je me suis installé dans ma nouvelle chambre, mais je ne m’y plais pas, car je n’ai pas ce qu’il faut pour cuisiner. Je voudrais bien trouver autre chose mais en raison du nombre assez grand de maisons inhabitables, c’est très difficile. Pour le ravitaillement je crois que cela pourrait aller grâce aux tournées que nous faisons à l’extérieur. C’est le bois qui est le plus dur à trouver.
J’ai su que la région de Colombes avait été bombardée ces jours-ci, et je voudrais bien avoir des nouvelles, j’avais écrit à ton Oncle et j’ai Hâte qu’il me donne de bonnes nouvelles de tous.
J’écris aujourd’hui à Longpont, je compte sur une lettre Lundi Matin.
Aujourd’hui, il pleut …..dans mon cœur comme il pleut sur la route, et demain il est probable que ce sera pire. J’ai devant mes yeux les ruines de 5 ou 6 maisons et ce n’est pas fait pour m’égayer. Enfin, prenons patience.
Je t’embrasse bien fort et attendant de te lire.
Maurice RENOUX
Vas te renseigner pour les cars de Lavons à Soissons
1) Jours et heures dans les deux sens
2) Si le contrôle est fait régulièrement à la limite par les Allemands
3) Le prix Soissons Laon.
Préambule
Ce chapitre est la retranscription des mémoires de mon grand père à partir du 10 Mai 1940 croisées avec les lettres échangées par la famille après sa dispersion pendant l’exode. Avant de l’ouvrir je voudrais souligner l’importance, à mes yeux, de ces courriers, en particulier parce qu’ils relèvent « l’esprit de résistance» qui anime la famille dès le prélude de la défaite. La lettre du 13 Août 1940 en est le meilleur témoin, où, après avoir évoqué son excellente condition physique, Maurice ajoute « À ce train là, je serai tout en fait en forme le cas échéant pour seconder le Général de Gaulle. ». Qui connaissait le général de Gaulle en Août 1940 ? , Qui savait qu’il organisait la lutte contre l’occupant à partir de Londres ? Maurice RENOUX a faillit le rejoindre en Juin, dans une autre lettre, datée du 4 Août, il y fait allusion. Mais Maurice n’est pas le seul, Janine, sa fille, participe également à Paris, avec d’autres jeunes gens, à un acte d’opposition à l’occupation. « Tu as obéi à ta conscience et tu as bien fait. C’est notre religion à nous, elle en vaut bien d’autres. Quand à tes camarades tu les remercieras de ma part. Leur action ne me surprend pas, comme parisien, à leur âge, j’aurai agi comme eux, tu peux me croire » lui écrit son père le 21 juillet.
Quand à son épouse Andrée, ses lettres relatant « l’occupation » de sa maison, par des soldats allemands démontrent ses sentiments et son courage.
Les lettres échangées ont été écrites par Maurice et Andrée, à l’exception d’une émanant de Luce TOUX, et d’une autre de Marguerite HENAULT et de sa sœur Berthe GEORGET. Il est donc important de situer tous les membres de la famille avant de découvrir leurs correspondances.
Maurice RENOUX, né en 1887, engagé volontaire en 1915, a exercé divers métiers avant de devenir contrôleur des contributions indirectes, résistant, il participe à la libération de Soissons avant de s’engager dans l’armée régulière jusqu’à la fin de la guerre. Lieutenant, faisant fonction de commandant de compagnie, il sera fait chevalier de la légion d’honneur à titre militaire, rendu à la vie civile, il reprend son métier de contrôleur jusqu’à sa retraite en 1960, veuf, il se retire à VILLIERS dans l’INDRE dont il devint le maire, fonction dont il démissionne en 1975, pour raisons de santé, il rejoint ses fils en Ardèche, où il décède en 1983.
Andrée HENAULT épouse RENOUX, veuve en première noce de Julien TOUX, tué au front le 4 mai 1915, Ensemble ils ont eu une fille LUCE TOUX né en Juillet 1914, Remariée en 1921 avec Maurice RENOUX dont elle aura trois enfants, JANINE, PIERRE et CLAUDE, Receveuse des Postes, elle ne quittera son poste qu’au dernier moment devant l’avance Allemande, on peut dire d’elle, (comme de Maurice d’ailleurs), qu’elle n’a pas fuit, mais qu’elle s’est repliée sur ordre de son administration. Elle n’a pas cessé d’exercer sa profession, de repli en repli, pendant l’exode et après l’armistice. Décédée en 1960
Marguerite HENAULT, mère d’Andrée et sœur de BERTHE GEORGET chez qui elle trouve refuge pendant l’exode, ainsi que (pendant quelques jours) PIERRE et CLAUDE
Luce TOUX, se trouve en en soins au sanatorium de MONTFAUCON dans le LOT lors de l’offensive allemande, elle y accueille ses frères jusqu’à l’automne en compagnie de son fiancée, Gaston PREVOTAUX (décédé en 1998), Luce est la fille d’Andrée et de Julien TOUX , et la belle-fille de Maurice.
Janine RENOUX, fille d’Andrée et de Maurice, elle échappe de peu à la mort lors d’un bombardement à RENNES, mais se retrouve isolée de sa mère, qu’elle ne retrouvera que plusieurs semaines après, agent de liaison de la résistance. Militante pacifiste elle est blessée au métro CHARONNE en 1962, au cours de la répression de la manifestation anti-OAS. Elle exerce jusqu’à sa retraite la profession de standardiste d’une grande firme informatique (IBM) mariée à Louis CHEZE, sans enfant, elle décède en 1998.
Pierre Jules RENOUX, né en 1924, résistant actif dès la première heure, réfractaire et clandestin, il rejoint le maquis et participe au coté de son père à la libération de Soissons, engagé volontaire comme lui, il termine la guerre sur la poche de Saint NAZAIRE, militant communiste, il fait parti des « quatre d’AUBENAS » arrêtés en 1956 pour s’être opposé au départ d’un train de réserviste à destination de l’Algérie. Professeur d’éducation à AUBENAS où il vit après avoir pris sa retraite. (Croix de guerre)
Claude RENOUX, né en 1926, prend l’exode comme une partie de rigolade, traverse la France en vélo pour rejoindre avec PIERRE, leur sœur LUCE à MONTFAUCON, résistant au coté de son père et de son frère, il terminera la guerre avec eux à Saint NAZAIRE, infirmier des hôpitaux psychiatrique, il se retire avec son épouse à SALAVAS (07) jusqu’au décès de celle-ci. Vit désormais à RUOMS en Ardèche. (Croix de guerre)
Dans les courriers sont évoqués à plusieurs reprises EMILE RENOUX, frère de MAURICE, ainsi que Marcelle et Félix RENOUX demeurant à COLOMBE, Marcelle est la sœur d’Andrée, tandis que son mari Félix est le frère de MAURICE, les deux frères ayant épousés les deux sœurs.
10 MAI 1940, L’OFFENSIVE ALLEMANDE.
(Récit de Maurice RENOUX)
Le Vendredi 10 Mai 1940, à 5Hoo du matin, avec Dédée, nous sommes réveillés par une explosion lourde (qui fait trembler la maison), éloignée de dix kilomètres à vol d’oiseau. La sonnerie du téléphone retentit, c’est le chef de gare qui me demande de lui passer la gare de VILLERS-COTTERETS, le réseau SNCF ne répondant pas. Le chef de gare m’apprend que le passage à niveau a étébombardé, bloquant la ligne et la route de la FERTE-MILON. Je comprends que ce que je redoutais commence et que les Allemands passent àl’offensive!! Je ne me doutais pas de l’ampleur qu’elle allait prendre en quelques jours.
Peu après, la Radio annonce que la BELGIQUE et la HOLLANDE sont envahies. Le Gouvernement Français invite tous les fonctionnaires civils et militaires àrejoindre leur poste s’ils sont en congé. C’est mon cas, puisque j’étais àLONGPONT depuis le 4 Mai.; Je me prépare et prends le train de 13 h pour LAON-MONTCORNET. Je fais enregistrer mon vélo, mais je laisse ma cantine àla maison.
Andrée est toujours aussi courageuse, je suis civil, aussi elle est rassurée en ce qui me concerne. Elle ne se doute pas de ce qui l’attend!!!, on ne pouvait pas concevoir que les événements se dérouleraient avec une rapidité foudroyante.
Arrivé àLAON, j’apprends que la ligne est coupée par un bombardement à LIART. Nous descendons du train et passons la nuit à proximité des abris. Les appareils de chasse français patrouillaient continuellement.
En circulant, les jours suivants, je vis des morceaux de poutrelles et de wagons àtrois ou quatre kilomètres de la gare.
Rentré chez moi, je vis le receveur buraliste, remontant de la gare, assez inquiet sur la suite des événements. Le feu des wagons couvait et les explosions reprirent de plus belle jusqu’à 3 ou 4H00 du matin. Cette fois je m’étais réfugié avec les autres habitants de la maison dans la cave. Je sentais le mur vibrer àchaque explosion
Témoignage de Claude RENOUX
10 Mal 1940 vers 9 H du matin:
Nous sommes au collège de Soissons, nous sommes à l’étude, ce qui ne veut pas dire que nous étudions, en tous cas pas moi. Par extraordinaire, le pion qui surveille l’étude en général, et moi en particulier, semble m’avoir totalement oublié.
Il a trop a faire à parcourir la presse du matin: LA DRÔLE de GUERRE est terminée, La GUERRE pas DRÔLE vient de commencer. Les armées allemandes sont entrées en Belgique, en Hollande, au Luxembourg et en France. Des villes, des gares sont bombardées, des milliers de familles sont lâchées.
Sur les routes dans une pagaie infernale, les journaux parlent de guerre TOTALE, d’invasion. Je me revois quelques jours après à Longpont. Le Popeye arrive en vélo de Montcornet (45 Km) et nous crie “j’ai les boches au cul”.
Je regarde instinctivement dans la direction de Soissons a attendant à “ les voir “, je presque déçu, mais quand même rassuré de constater qu’en vélo mon père est plus rapide que les PANZERS.
Je dois préciser qu’à l’époque nous étions sérieusement intoxiqués par les communiqués. (Le communiqué, comme son nom l’indique, est une communication quotidienne de l’état major destiné à la population). L’héroïsme nous était servi à la louche, nous étions les plus fort, grâce à l’acier victorieux, la route du fer était coupée et si les allemands avançaient si vite les sots! , c’est que nos stratèges allaient les piéger vite fait. La grande stratégie de notre G.Q.G était absolument FABULEUSE. Nos troupes pratiquaient comme à la parade le REPLI ELASTIQUE sur des positions préparées à l’avance GENIAL! Popeye, avec sang froid et astuce, avait sur son vélo, attiré l’ennemi à sa poursuite pour que la tenaille se referme sur lui. Nos armées glorieuses n’auraient qu’à ramasser les prisonniers allemands coupés de leurs bases.
Bien fait! Mais je ne posais quand même la question: “ où va t’on les loger? “. Ils allaient eux mêmes résoudre le problème, mais n’anticipons pas.
DIMANCHE 12 MAI 1940, (Jour de PENTECOTE). (Maurice RENOUX)
Dans la matinée je voulus aller àla gare chercher mon vélo, mais on ne pouvait approcher, les risques étaient trop grands et inutiles.
LUNDI 13 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Étant retourné àla gare, j’aperçus mon vélo sur la voie près du quai, au milieu des wagons déchiquetés. Il avait la roue avant broyée, la selle et le guidon arrachés gisaient un peu plus loin. Je pris les restes et retournais chez moi. Je demandais àmon propriétaire si je pouvais prendre la roue d’un vieux vélo qui était dans un coin pour la remonter sur le mien. Je me mis au travail pour reconstituer mon seul moyen de locomotion. Car je n’avais plus la possibilité de rester là. Tous les gens qui possédaient une auto étaient déjà partis en majorité, quelques retardataires s’affairaient pour en faire autant. Les propriétaires de grosses fermes avaient aménagé remorques et tracteurs et installé des matelas et du matériel de cuisine, ainsi que vivres et bagages. Nous ne pouvions plus recevoir de courrier et le téléphone coupé tout le long de la ligne. J’allais voir mon Receveur et lui remis mes quittanciers après avoir arrêté mes comptes et versé l’argent àla caisse.
MARDI 14 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Nous assistons au défilé lamentable des réfugiés belges, ainsi que des douaniers de la frontière marchant àpieds. Rares étaient ceux qui avaient des vélos
L’EXODE (Maurice RENOUX)
Mercredi 15 MAI 1940
Toujours le même défilé, nous étions les rares fonctionnaires a être restés, mon chef ne paraissait pas vouloir prendre l’initiative de partir. Mon vélo était chargé. Dans l’après midi, je vais sur la place le long de la route, soudain, j’aperçois un détachement de soldats du P.M.A qui avait été cantonné à MONTCORNET, avant l’attaque. Ils marchaient en colonne par un, à cinq ou six pas de distance le long des murs, de chaque coté de la route. M’approchant d’un sous-officier, je lui demandais de quel coté ils se dirigeaient, il me répondit: “Nous nous replions sur MARLES, est-ce loin????”. Je lui répondis “dix-huit “ kilomètres!”. Cette fois-ci, .j’étais fixé, et bien décidé à retourner voir mon contrôleur- receveur, je lui dis, ”Je vous ai rendu mes comptes, êtes-vous au courant de ce qui se passe?” “Non je ne vois pas”. Je lui explique l’arrivée, plus exactement le passage de l’armée qui se repliait. Nous ne pouvions plus recevoir d’ordre de repli en ce qui nous concernait (puisque les communications étaient coupées). Il nous fallait prendre la décision nous mêmes. Il me répondit “Je suis de votre avis, nous ne pouvons pas rester là. En ce qui me concerne, je vais à la poste effectuer mon virement comptable et je vais rejoindre ma femme dans l’AUBE”.
Je lui fais mes adieux et je pars en vélo, il était environ l3Hoo. Je connaissais bien la route, je suis passé à CLERMONT-les-FERMES et je reconnus en passant des gens qui me firent un signal amical, mais ils avaient l’air anxieux. Puis, un peu plus loin, aux abords de BUEY-les-PIERREPON j‘aperçois des soldats qui courent et subitement s’arrêtent; ils mettent un fusil mitrailleur en batterie sur le bas coté de la route. Je suis tenté de me retourner, mais j’appuis un peu plus sur les pédales et je continue ma route de concert avec un couple de Belges, également à vélo. Je vois les avions allemands qui passent en direction de LAON, j’abandonne l’idée de passer à la Direction des Contributions Indirectes et je contourne la ville par le SUD, je croise un convoi de plusieurs canons anti-chars de 77 qui semblent sortir de l’usine. A l’entrée de SOISSONS, je vois un régiment d’Infanterie qui marche en direction de LAON. J’ai su plus tard que ces soldats allaient prendre position sur le canal de l’AISNE. Je traverse SOISSONS, puis à la sortie de la ville, je m’arrête dans un café pour casser la croûte, il doit être 2Ohoo. Je m’installe dans le jardin de ce café et je vois défilé d’innombrables réfugiés, l’un d’eux a un pansement à la tête, je lui demande s’il a eu un accident. ”Non me dit-il, ce sont les Allemands qui m’ont tiré dessus, alors que j’étais sur le pas de ma porte à ROZOY sur SERRE, les trois automitrailleuses allemandes ont débouché dans la rue principale et ont ouvert le feu aussitôt pour dégager la route, je fus éraflé par une balle et je suis entré aussitôt à l’intérieur, ma femme m’a fait un pansement sommaire. Nous sommes passés par une porte de derrière, où se trouve le garage, j’ai pris ma voiture qui était déjà prête pour le départ et sans plus attendre nous prîmes une route parallèle pour rejoindre la route de SOISSONS.”
Je connaissais bien ROSOY sur SERRE, puisque nous y allions en tournée au moins une fois par semaine. Peu après une femme passe près de moi, elle sortait du café, et je l’entends dire aux personnes qui étaient avec elle, ”Je ne peux plus retourner chez moi, je me suis trouvée nez à nez avec trois automitrailleuses allemandes”.
Cette fois, il n’y avait plus de doute, les Allemands avaient rompu le front. Sur ma route, je n’avais pas rencontré de renfort de troupes françaises qui allaient barrer la route aux Allemands. Je n’avais plus de temps à perdre, je repartis aussitôt et après quinze kilomètres très pénibles j’arrivais à LONGPONT, où tout était bien calme. Pas de lumière, je sonne et j’entends descendre ma femme et crier “Qui est là?”- ”C’est moi. Maurice”. Elle ouvre le vasistas et ensuite la porte en me disant, ”Mais pourquoi es-tu là?”, réponse brève, ”J’ai les hoches au cul”. Elle n’en croyait pas ses oreilles.
Là dessus, les enfants, qui ont entendu sonner et reconnu ma voix, descendent à leur tour et je dois raconter les événements. Ils ne savent pas du tout ce qui se passe, tout c’est passé dans le secret quasiment absolu, je leur dis de remonter se coucher, que nous devons tous nous reposer car nous ne savons pas ce que l’avenir nous réservera.
J’avais fait quatre-vingt dix kilomètres sur un vieux vélo et j’étais très fatigué. A partir du Jeudi 16 Mai 1940, je commençais à préparer le départ de notre petite famille et nos aventures à travers la FRANCE, sous les bombardements allaient commencer.
JEUDI 16 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Ma femme ouvre le bureau de poste, comme d’habitude, et raconte à ses deux facteurs ce que j’avais vu et entendu, donc mon retour auprès des miens. Mme MONQUET, propriétaire de la ferme de la Grange me téléphone; elle me demande si c’est exact que les Allemands sont à MONTCORNET, sur ma réponse positive, elle me dit, ”Mon fils ne s’était donc pas trompé”. En sortant, je me rends sur la place et j’aperçois le Maire qui marche sur moi en me criant “C’est honteux de faire courir des bruits semblables, vous mériteriez d’être arrêté”, j’étais stupéfait de cet accueil, et, en apercevant au loin des soldats venant de S0ISSONS, sans veste, montés sur des chevaux à peine sellés, et qui ont l’air ahuri et effrayé, je réponds au Maire, “Demandez Donc à ces gars-là, pourquoi ils sont ici, et vous verrez bien si j’ai menti” .Le Maire discuta avec ces soldats, cela a du être efficace car j’appris après que le Maire était parti avec sa femme dans la direction de VILLERS-COTTERETS !!!.
Dans la matinée, Mme DOLLE, (1a femme d’un facteur qui remplaçait son mari mobilisé), dit à ma femme ”La voiture de mon mari est au garage, mais elle est en panne, si M. RENOUX pouvait la remettre en état, elle pourrait nous être utile”. Après examen, je vis qu’en effet la cuve du carburateur fuyait. La vis de la bride qui retenait cette cuve en avait usé le fond et fait un trou. Je lui en fis part et lui demandais de regarder dans les anciens outils de son mari, (qui était plombier avant d’être facteur), s’il n’y aurait pas un fer à souder, du décapant, une baguette de soudure, elle me ramena ce que je demandais, et je me mis au travail. A cette époque, il existait encore des pièces de monnaie en bronze de cinq et dix centimes. Je pris une pièce de dix centimes, bien passée à la toile émeri, ainsi que le fond de la cuve, et je fis chauffer le fer à souder sur mon réchaud à gaz, et avec la soudure, je pus fixer la pièce au fond de la cuve. Après m’être assuré qu’il n’y avait plus de fuite, je fis un essai qui fut concluant, la voiture pouvait rouler. C’était une 10 CV RENAULT, en très bon état. Mme DOLLE, (DOLLÉ) fit une proposition à ma femme, ”Je ne sais pas conduire, si M. RENOUX veut bien, nous pourrions partir ensemble”. Ma femme lui répondit qu’en tant que Receveuse des Postes, elle ne pouvait pas partir sans ordre, en revanche, elle dit que je pouvais conduire la voiture en amenant les deux enfants DOLLE, leur maman et Janine. Mes deux gars, (Claude, 14 ans, et Pierre, 16 ans) partiraient en vélo. De plus, je ne pouvais pas rester à LONGPONT, il me fallait reprendre contact avec mon administration. Nous décidâmes de partir le lendemain, aussitôt après le repas de midi. Je fis une visite au train militaire qui était en gare depuis longtemps pour me faire soigner mon anthrax, (contracté le 5 Mai par une bestiole, piqûre dans le jardin). Cet anthrax devenait de plus en plus gros et me faisait sérieusement souffrir.
VENDREDI 17 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
J’avais organisé le départ ainsi: les deux garçons rouleraient en vélo devant la voiture, en éclaireurs, pour signaler les avions. Dans la voiture se trouveraient comme prévu: Mme DOLLE, ses deux enfants, Janine et moi-même qui conduirai. J’avais cru bon de ne pas utiliser les grandes routes surveillées par les avions, tout alla très bien jusqu’à NEUILLY Saint FRONT, où je voulais me rendre chez le Receveur pour savoir où pourrait être le Directeur des Contributions Indirectes?. Il me dit qu’il se trouvait à CHATEAU-THIERRY , mais qu’il devait rejoindre LAVAL, comme tous les autres fonctionnaires de l’AISNE. Dans ces conditions, je lui dis que j’irais directement à LAVAL, et je pris congé. Nous repartîmes en direction de Saint CYR sur MORIN, où nous arrêtâmes pour coucher. Auparavant, nous avions eu un moment d’émotions. Peu après NEUILLY Saint FRONT, nous descendions une petite route quand mes éclaireurs (Claude et Pierre) firent signe que des avions arrivaient dans notre direction. Je m’arrêtais aussitôt en disant à mes passagères d’aller se coucher dans le champ qui dominait et, reculant la voiture, je la mis derrière, contre le talus de la route. Comme j’étais, à ce moment là, presque face à l’autre talus, je vois devant moi, de l’autre coté, des grandes niches creusées dans le dit talus et bourrées de caisses d’obus de 75. C’était la réserve d’une batterie de D.C.A qui était à proximité, (Défense Contre Avions). Or, cette batterie n’a pas tiré un seul obus, alors que les avions venaient droit sur elle. Mes fils peuvent s’en souvenir, puisqu’ils étaient à coté d’elle!!!!!. Pourquoi????
REFLEXIONS. Plus tard, en fuyant à nouveau (Saint LÔ), un avion passa près d’un poste de Mitrailleurs Contre Avions. Même tactiques, les pièces ne tirèrent pas. Etait-ce une instruction précise de ne pas combattre???. C’est aussi, peut-être pour la même raison que le terrain d’aviation de CLERMONT les FERMES avait été rendu inutilisable. Comme c’est étrange. Un observateur comme moi ne peut s’empêcher de conclure. Aussi, je n’ai pas été surpris d’apprendre quelques jours plus tard que le Gouvernement du Maréchal PETAIN, demandait l’Armistice, lui qui était président du Conseil Supérieur de la Défense Nationale, avait été contre le prolongement de la ligne MAGINOT jusqu’à la mer. Pour lui, le fait qu’il y ait la forêt des ARDENNES lui paraissait un obstacle infranchissable. On a vu !!!.!!
Revenons au Vendredi 17 Mai 1940. Nous étions donc en face d’une réserve d’obus de 75 de D.C.A, il était trop tard pour changer de place. Je n’eus que le temps de quitter la voiture et de me jeter à terre, les bombes pleuvaient! Les avions continuèrent sur CHATEAU-THIERRY. Je reviens à la voiture et la mis sur la route sans attendre mes voyageuses, je partis rejoindre mes deux fils, en leur expliquant que pour nous, la voiture était notre seule planche de salut pour nous rendre à LAVAL le plus rapidement. J’aperçus Mme DOLLE et ses enfants, mais je ne voyais pas Janine. Mme DOLLE l’appelle. Heureusement, Janine se mit debout et courut vers nous, elle avait été plus loin que les autres et avait vu tomber les bombes, elle n’avait pas perdu de vue les avions et se couchait au moment précis. Cette peur passée, nous repartîmes et traversâmes Saint CYR sur MORIN à la nuit tombante. Il y avait une unité de transport cantonnée dans le pays et le seul hôtel n’avait que deux chambres à nous offrir. Mme DOLLE en prit une avec ses enfants. Pierre et Janine couchèrent sur des coussins dans la chambre qui restait libre, laissant le lit pour Claude et moi. Nous avions besoin de repos mais les batteries de D.C.A firent leur travail. Elles protégeaient le Grand Quartier Général, installé à la FERTE sous JOUARRE. La maison tremblait et nous ne pouvions pas dormir. Claude, qui avait donc quatorze ans, se retournait souvent et me cognait l’épaule, ce qui correspondait à mon anthrax. Enfin, au matin, nous repartions après avoir pris un petit déjeuner, en direction de LAVAL
Contribution de Claude RENOUX (14 ans à l’époque)
J’étais à l’époque grassement nourri de littérature ne figurant pas au programme; à 14 ans, on préfère d’ Artagnan à Rodrigue; entre deux traîneurs de sabre, je préférais celui qui ne parlait pas en alexandrin: question de goût. Ce qui ne devait être que provisoire d’ailleurs le Poupou, (que Je ne connaissais pas), ne m’avait pas encore présenté Cyrano de Bergerac, que je connaissais de réputation, mais sans plus.
Pour le présent, c’est à dire mi-mai 1940, je m’identifiais à Raoul, vicomte de Bragelonne, et j’avais fait de mon père un grand CONDE tout à fait présentable, sauf que le grand Condé ne montait pas à bicyclette tandis que le Popeye avait fait ses début au 26èmè B.C.P, compagnie cycliste.
Mes 14 ans étaient frustrés. Ca allait trop vite! Jamais Je n’aurais le temps d’intervenir - croyais Je! Mais l’essentiel est de participer. Et pour participer... on y a participé à la défense élastique!
Nous en tûmes, Pierre et moi, le centre, le noyau dur, la cible mobile, le leurre. Et quand c’est LEURRE! Nous avons attiré les hardes barbares, successivement sur l’Ourcq, la Marne, la Seine, la Mayenne et la Loire avant d’atterrir, vidés, exténués et la langue pendante à Montfaucon du Lot. Ah, on leur en a fait voir du pays, mais ils nous en ont fait voir bien davantage, car chaque fois que nous arrivions à une ligne de résistance soigneusement préparée à l’avance par le G.Q.G. VLAN! “ Ils” arrivaient sur nos talons.
Tels l’héroïque Popeye, nous avions “ les boches au cul. Nous étions heureusement d’excellents cyclistes. Etant les moins forts nous nous devions d’être les plus rapides. Cette promenade de santé, ce parfum d’aventure et la découverte chaque jour d’un nouvel horizon; c’était vraiment trop beau. Admirateurs de Viétto, d’ Antonin Magne autant que de d’Artagnan et les 3 boys scouts ‘-Conscients de faire partie d’un grand peuple - (fallait voir le monde qui nous accompagnait) nous ôtions libres comme l’air, maîtres de nos destinées et fier comme Artaban. Et tout ça au milieu d’une pagaïe monumentale, sans le moindre BISON FUTE pour y mettre un peu d’ordre.
Nous ne savions pas encore que nous étions les précurseurs de ces migrations annuelles qui Jetteraient des millions d’Européens sur ces mêmes routes, cap sur le sud, à partir des années 50. Les intellos appellent ça 1’ instinct grégaire avec une certaine teinte de mépris qui ne les empêchent pas de faire partie du troupeau. A propos de troupeau, revenons à nos moutons.
Le Popeye nous a conté notre baptême du feu à Neuilly Saint Front. J’ y reviens. Lorsque les premières bombes ont commencé à tomber, je trouvais cela extrêmement excitant, spectaculaire, captivant. Je vivais enfin la guerre, POUR DE VRAI! Mieux; je la faisais, je pourrais comme le Popeye la raconter à mes descendants. Oui, mes petits, ces bons dieux de Boches m’avaient visé et manqué. Je ne doutais pas, en ma naïve candeur que nous constituions un objectif militaire de première importance -le noyau central de la défense élastique. Depuis quelques temps de menues branchettes me tombaient sur la tête, coupées nettes. Je n’y attachais aucun intérêt dans mon exaltation. Mon cerveau, dans les grandes circonstances, fonctionne toujours avec une certaine lenteur, que j’attribuais, à l’époque à un très flatteur mépris du danger. Cerveau.., lent . .. . mais. . . ces branchettes étaient coupées “ net “ ... Nom de. bleu! Mais c’est bien sûr, LES ECLATS DE BOMBES! Et tout ça à quelques centimètres de ma pauvre tête! Je fus pris subitement d’un amour sans pareil pour la terre nourricière, et je ne jurerais pas que l’empreinte de mon visage n’y soit pas encore imprimée. Je réalisais enfin que ça n’était pas du cinéma, d’autant que j’entendais mon cher Popeye qui HURLAIT
“Nom de Dieu, on est sur un dépôt de munitions, c’est ça qu’ils visent!”
Enfin lucide, je sentis monter en moi un brutal flux de quelque chose que je sus plus tard être de l’adrénaline, faute de connaître la chose, j’employais le mot trouille, tout simplement. Heureusement, les pilotes nazis n’ayant pas remarqué ma faiblesse passagère, partirent chercher ailleurs, d’autres victimes innocentes. N’écoutant que son courage, notre petite troupe se rua vers le Sud. L’amour sacré de la Patrie ne conduisant plus nos bras vengeurs, il fallut chercher à l’étage du dessous le soutien de nos mollets.
Qui répondirent PRESENTS! Nous avons dû faire, Pierre et moi, une sacrée moyenne ce jour là! Il me semble même que la voiture avait du mal à nous suivre. Il est vrai qu’elle était en surcharge et que le Popeye ne conduisait que d’un bras, l’autre étant réduit à l’impuissance par un anthrax passé sournoisement à l’ennemi. A l’étape se situe l’épisode de Morin. Je ne puis rien en dire, sinon que pendant des années j’ai entendu le récit de cette nuit d’épouvante. Moi, je me souviens simplement m’être écroulé sur le billard du bistrot - mort de fatigue au point d’oublier de ne sustenter. (Je n’ai su que plus tard que j’avais dormi avec le Popeye). Profitait de mon sommeil la FRANGE s’écroulait, son armée victime d’une erreur d’orientation partait courageusement à l’assaut de la Méditerranée et des Pyrénées.
Et toujours je dormais Il est probable que j’ai dû continuer à dormir debout, puis assis jusqu’à Pithiviers. Car pour permettre sans doute à la voiture d’aller aussi vite que les vélos, le Popeye avait eu l’ingénieuse idée de fixer ceux ci sur le toit de celle là. Cette surcharge conséquente fut acceptée sans trop de mauvaise humeur par la 10 CV Renault qui y trouvait son compte sur le plan de l’amour propre. Pithiviers nous laissa le souvenir de son pâté d’alouette et de sa recette bien connue: mélange de viande de cheval et d’alouette, moitié moitié, un cheval- une alouette. La même recette a été appliquée depuis au Centralisme Démocratique. Question à 10 Frs: qui fait le cheval?
SAMEDI 18 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
En passant à PITHIVIERS, je me fis soigner à l’hôpital. Janine était venue m’accompagner, mes autres compagnons étaient restés à proximité de l’hôpital avec la voiture. Le Docteur regarda et, sans me prévenir, pressa l’anthrax entre deux compresses. Je poussais un cri terrible et je m’évanouis, quand Janine entendit mon cri, elle fut toute bouleversée mais heureusement je revenais à moi. Je crois que nous avons couché à PITHIVIERS, mais je n’en suis pas certain.
DIMANCHE 19 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Nous démontâmes les vélos, pour aller plus vite, et les casèrent tant bien que mal sur le toit, ceci pour que Claude et Pierre puissent prendre place à l’intérieur, (Nous étions huit dans la voiture, trois devant et cinq derrière!!!). Nous arrivâmes dans la soirée et nous avons pu être logé provisoirement.
LUNDI 20 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
M’étant renseigné sur l’endroit où se trouvait la Direction des Contributions Indirectes, je me suis présenté au Directeur dans la matinée. Il était arrivé la veille avec une partie du personnel de la Direction. On me demanda des nouvelles de MONTCORNET et je dis ce que je savais et comment j’étais parti un peu avant l’arrivée des Allemands.
J’obtins du Directeur de rester quelques jours à LAVAL, en attendant une affectation pour me faire soigner sérieusement de mon anthrax et, surtout, pour obtenir si possible des nouvelles de ma femme.
J’étais allé à la Direction des P.T.T demander si elle était arrivée et donner mon adresse au cas où elle aurait pu rejoindre LAVAL. J’avais également télégraphié à COLOMBES, à mon frère Félix, pour qu’il soit au courant et éventuellement renseigner l’un ou l’autre.
Je sus donc, par Félix, que ma femme était passée à COLOMBES et était en route pour LAVAL. En effet, elle nous rejoignit et nous raconta ce qui s’était passé après notre départ.
L’évacuation, 1er acte: (Récit de Pierre Jules RENOUX, 16 ans à l’époque)
Le vendredi 17 mai, la femme du facteur Marcel Dolle qui est aux armées, demande à mon père qui doit rejoindre Laval dans la Mayenne, de conduire sa voiture pour évacuer sa famille vers le sud. Tout le monde embarque : madame Dolle, ses deux enfants, mon père bien sûr et ma soeur Janine. Mon frère Claude et moi suivons en vélo. Seule ma mère reste à son poste au bureau des PTT de Longpont. Elle ne partira que dans les tous derniers jours de mai après qu’une bombe, tombée sur la route à 15 mètres de la maison, ait fait voler en éclats portes et fenêtres. C’est un officier d’une unité de cavalerie qui lui dit : “Mais, madame, il faut partir. Vous ne recevrez de vos supérieurs à Laon aucune directive. Il y a longtemps que tout le monde a foutu le camp.”
Elle part sur une auto mitrailleuse jusqu’à Meaux où elle peut prendre le train pour rejoindre Laval, où nous sommes arrivés le 20 Mai.
A Pithiviers, Madame Dolle a retrouvé son mari. Nous quittons donc la famille Dolle, et c’est par le train, après de multiples changements et péripéties diverses, que nous arrivons dans le chef-lieu de la Mayenne, point de regroupement des fonctionnaires de l’Aisne, toutes administrations confondues. Nous avons trouvé à nous loger à St Berthevin les Laval. Mon frère et moi avons du boulot dans une ferme : on coupe, on met en bottes, et on rentre le foin. Ce n’est pas le bagne, loin s’en faut : travail 2 heures, collation, travail, collation etc. A ce rythme, on attrape peut-être des ampoules, mais on se fait surtout du lard. On en oublie presque la guerre, mais elle ne va pas tarder à nous rattraper.
RETROUVAILLES et Nouvelles Séparation (Maurice RENOUX)
Le Vendredi 17 Mai 194O, après notre départ, Andrée été donc restée à son poste à LONGPONT. Alors qu’il y avait une cliente au guichet, les avions lâchèrent des bombes sur le pays, Dédée et sa cliente se précipitèrent à la cave, une deuxième bombe, puis une troisième éclatèrent de plus en plus près, (Dédée pensait “La quatrième sera pour nous!!!), en effet, cette bombe tomba sur le mur en face de la Poste, de l’autre coté de la route, envoyant une bonne partie des pierres du mur sur la route et fracassant par la déflagration les carreaux, portes et fenêtres de la Poste. Remontant, tout éperdue, Andrée se rendit compte qu’elle ne pouvait plus rester là et se risqua sur la route. Bien lui en pris, elle vit un camion militaire arrêté, dont les hommes déblayaient la route pour se frayer un passage. Elle s’adressa au sous-officier et lui demanda s’il pouvait l’amener, ”Vous êtes la receveuse?”, lui demanda-t-il, “Où sont vos bagages? vous n’avez rien oublié?, votre comptabilité, vos valeurs, les timbres, le timbre à date?”- ”J’ai tout cela dans mes sept sacs qui sont là. Vous avez l’air de bien connaître le service postal”. -"Oui Madame, mon père était Receveur en 1914, et, il s’est trouvé dans les mêmes conditions que vous aujourd’hui. Vous comprenez pourquoi je suis heureux de pouvoir vous être utile.
Après avoir chargé les sacs, ils partirent vers la FERTE-MILON, où se trouvait un bureau de poste. Le receveur dit, "Je ne peux rien prendre, car moi-même, je pars tout de suite, je vous conseille d’aller à MEAUX, c’est un grand bureau de Poste, il doit y avoir du monde”. De retour au camion, elle expliqua ce qu’elle venait d’entendre. Le sous-officier la fit remonter et lui dit “Nous allons nous rendre au poste de Commandement du Régiment de Chars qui est à LIZY Sous OURQ. Nous vous hébergerons et nous vous ferons dîner; Demain, il y aura certainement une corvée pour aller à MEAUX et l’on vous emmènera”.
Présentée aux officiers, Andrée fut très bien accueillie, elle raconta son histoire, et dit qu’elle avait hâte de revoir sa famille. Le Samedi 18, elle fut conduite à MEAUX, libérée de ses sacs postaux, elle prit le train pour PARIS et COLOMBES. Elle arriva chez sa mère et sa sœur. Tous furent étonnés d’apprendre que les Allemands étaient dans 1’AISNE et peut-être à SOISSONS. Elle passa le Dimanche 19 avec eux, et le Lundi 20, elle nous rejoignit à LAVAL. Andrée est enfin avec nous.
Mais nous n’étions pas au bout de nos peines; Andrée fut affectée au bureau de Saint BERTHEVIN-les-LAVAL, à une dizaine de kilomètres avec Mme DOLLE, par la Direction des P.T.T. Elle trouva à loger tout le monde et je pus, quelques jours vivre avec eux.
A mon tour, je fus affecté à la Direction de Saint LÔ (MANCHE). J’avais été placé à la brigade de surveillance et mon chef de service, M. PETANGUE m’avait trouvé une chambre quelques jours après, dans la même maison que lui. J’y étais très bien. Avec mon nouveau chef, nous parcourions la partie NORD du COTENTIN, uniquement pour des surveillances d’alambics ou des affaires de contentieux. Nous étions bien au courant des événements par la Radio et nous suivions la marche des envahisseurs. Quand les Allemands eurent atteint PARIS, nous pensions bien qu’ils ne s’arrêteraient pas là. J’envisageais un nouveau repli, mon chef aussi. Une chose me tracassait, c’était de risquer de ne plus avoir de nouvelle des miens et de me trouver sans argent. Fort heureusement, le Syndicat avait obtenu que les Directions d’origine établissent une fiche de renseignements pour chaque employé afin de pouvoir percevoir leur traitement.
L’évacuation, 2ème acte: (Pierre Jules RENOUX)
On arrive à la mi-juin. La famille, à peine rassemblée va se disloquer. Mon père part dans la Manche rejoindre la Direction Départementale des C.I. Mon frère Claude et moi partons en vélo pour le Lot; ma soeur aînée est dans un sana des PTT à Montfaucon du Lot.
Pour ma mère et ma soeur Janine, l’évacuation tourne au drame, à la limite de l’épouvante. Après notre départ, elles quittent Laval par le train le 16 ou le 17 juin en direction de Nantes. A Rennes, les trains de réfugiés, de militaires, de munitions sont bombardés par la Luftwaffe : un carnage ! Plusieurs milliers de morts... Ma mère et ma soeur ont sauté du train. Dans l'affolement général, elles sont séparées et se perdent de vue. Ma mère, pendant 3 jours, va faire les hôpitaux et les morgues pour retrouver Janine, en vain... Vers le 14 Juillet, elle saura enfin que ma soeur a été récupérée par de braves gens qui l’ont emmenée et hébergée à Vannes
DIRECTION SUD-EST: Saint LÔ, POITIERS, .BORDEAUX. (Maurice RENOUX)
Nous partîmes, M. PETANGUE ayant un beau-frère à BORDEAUX, nous comptions donc s’y arrêter. Vers midi, brusquement, nous vîmes de la vapeur s’échapper du radiateur, la durit était crevée, je m’offris de démonter cette durit et d’aller au garage le plus proche pour en chercher une autre. Je partis à pieds, le personnel du garage était allé déjeuner, j’attendis leur retour pour repartir aussitôt servi. En traversant le passage à niveau, (j’étais au beau milieu des voies), quand j’aperçus un avion qui volait en rase motte. Je n’ai eu que le temps de me coucher, mais il ne tira pas sur la gare. J’appris plus tard, qu’il était allé reconnaître l’important embranchement de FOLLIGNY (MANCHE). Peu après, en effet nous entendîmes des explosions, c’était une escadrille qui bombardait cet objectif, (il y avait des cratères énormes de cinquante mètres de diamètre). Les locomotives étaient réduites à la verticale; Je rejoignis la voiture et effectuais la réparation. Nous repartîmes et nous avons croisé une unité de chars anglais retournant s’embarquer à CHERBOURG. Les Anglais nous faisaient des signes indiquant que leur moral était très bas. Mon collègue accepta de faire un détour pour passer à Saint BERTHEMIN rassurer ma femme. Nous apprîmes que la famille était partie!!!.
LA FAMILLE EST À NOUVEAU DISPERSEE. (Maurice RENOUX)
Mes fils, Pierre et Claude, étaient partis à vélo, envoyés par leur mère à VILLIERS (Chez la Tante BERTHE). Ils devaient par la suite, aller à MONTFAUCON, dans le LOT, le cas échéant; Leur soeur aînée, Lucette, étant, dans cette ville, dans une maison de convalescence. Quant à ma femme et à Janine, ainsi que les autres P.T.T de l’AISNE, elles avaient un ordre de mission pour rejoindre ANGOULEME par RENNES et NANTES.
Quant à nous, nous partîmes en direction de POITIERS, où nous arrivâmes à la nuit tombante. Je ne me souviens pas comment nous fûmes hébergés. Au restaurant, un officier, qui était en face de moi, me dit “Je viens de téléphoner à ma femme pour qu’elle retourne à la maison, sans perdre de temps, les Allemands vont être dans tout le pays avant peu, il est préférable qu’elle soit chez elle que réfugiée on se sait où!!”
Nous quittâmes POITIERS le 19 Juin 194O, nous venions d’apprendre que l’armistice était signé. A BORDEAUX cela nous fut confirmé, et en même temps, on nous apprenait qu’il était interdit de quitter la ville. Nous nous présentâmes à la Direction des Contributions Indirectes. Nous n’avions aucune affectation, mais nous devions passer tous les jours prendre des ordres.
Récit de Claude RENOUX
Les allemands ayant enfin retrouvé le noyau dur de notre défense élastique, nous allions à nouveau devoir leur faire voir notre roue arrière, et nous replier sur des positions préparées à l’avance: A savoir Villiers (Indre).
J’ai en mémoire une longue, longue ligne droite, interminable située du côté de LA FLÊCHE, siège du prytanée militaire, où notre arrière grand père officier du génie, sinon de génie, avait été professeur de topographie: Charles BUISNEAU, né à la Flèche, était donc le père de notre grand mère paternelle. Sa photographie en grand uniforme au col brodé de feuilles de chêne, fourragère, aiguillette et tuti quanti, décorait la chambre de ma grand mère Louise, et dite “Manzette “. J’ajoute qu’avec sa moustache avantageuse et sa royale notre arrière grand-père avait fière allure. Je disais donc que cette route de La Flêche me laisse un souvenir pénible. J’avais faim, j’avais soif, j’étais fourbu, j’étais crevé, je souhaitais de tout coeur que l’un de nos pneus soit également crevé. Mais rien à faire, la maison Michelin était à la hauteur de sa réputation. (C’était d’ailleurs, je me souviens, des pneus Wolber fabriqués à Soissons). Pierre était intraitable, il nous fallait passer la boire ce soir, on se reposerait après....
ET Il AVAIT RAISON!
Car lendemain matin, les intrépides aviateurs italiens faisaient leur peu glorieuse entrée dans la guerre en bombardant les ponts de la Loire, faisant des milliers de victimes parmi les réfugiés civils bloqués sur ces mêmes ponts. Ces ponts que nous avions franchis la veille au soir. Médédée qu’on n’appelait pas encore comme ça, nous avait confié une lettre à remettre à la première receveuse des P.T.T. que nous trouverions si nous étions dans le besoin. Pierre portait sur son sein cette lettre comme on porte le Saint Sacrement. Moi, je faisais de ce précieux document, quelque chose comme la lettre que Monsieur d’Artagnan père donna à son fils pour Monsieur de Tréville, (lettre qui lui fut dérobée par l’infâme comte de Rochefort à Meung sur Loire). Plus heureux que d’Artagnan nous disposions de notre blanc-seing, et pûmes le présenter à la receveuse de Langeais (ou Bléré, ce qui est sûr c’est que c’était sur la rive gauche de la Loire et qu’il y avait un château.) Ce blanc-seing, moite de la transpiration de Pierre, communiqua son humidité aux yeux de cette brave femme. Laquelle nous reçut à bras ouverts, je dirais même à draps ouverts, car le lit me parût extrêmement confortable, après son pot au feu particulièrement succulent. Aux aurores le lendemain, frais comme des gardons, après avoir fait nos adieux à notre bonne hôtesse, et avoir été affectueusement pressés sur sa généreuse poitrine, nous prenions la direction de Villiers.
OBJECTIF: TANTE BERTHE, soeur de notre grand père maternel (que nous n’avions pas connu).
A notre arrivée, Tante Berthe, après les embrassades d’usage, nous attira dans un coin pour nous glisser dans l’oreille: “ méfiez vous, ici il y a le péril rouge.
Direction Limoges (Claude RENOUX)
J’avais aux pieds depuis Soissons une paire d’espadrilles dont la semelle de corde très épaisse était enrobée dans du caoutchouc. Les chaussures c’est fait pour marcher, d’accord, mais quand on fait du vélo ça peut également servir â autre chose.
La preuve: Je n’avais plus de freins, ni à l’avant, ni à l’arrière. Les patins en étalent archi usés, et les marchands de cycle (enfin, ceux qui n’étaient pas encore partis) avaient épuisé leurs stocks. Pensez: avec le monde qu’il y avait sur les routes! Pierre, garçon plein de ressources, et doté d’une ingéniosité à toutes épreuves, trouva la solution: supprimer les garde-boue et freiner avec le pied . . . pas plus! Et nous repartîmes dans la cohue. Le flot des véhicules civils était sans cesse grossi par des convois militaires à la recherche de leurs officiers partis les attendre à la frontière espagnole. On sait que le rôle des chefs est d’être à l’avant de la troupe. Préfiguration de la future Europe, on voyait pas mal de Belges, de Hollandais, de Luxembourgeois, de Français bien entendu. Manquaient que les Allemands, mais patience, ils n‘étalent pas loin derrière. Pierre et moi, sur nos bicyclettes allégées (déjà!) nous faufilions au milieu de ce flux migratoire, profitant dans les côtes des engins motorisés pour nous faire tirer. J’ai souvenance d’avoir fait quelques kilomètres accroché à un énorme volant, situé sur le côté droit d’un phare de la D.C.A autoportée
Il me revient comme une obsession les noms de certaines bourgades traversées: Le Blanc, Le Dorat, La Trimouille. Ah, La Trimouille! En plus des nombreuses rimes riches que je lui trouvais, me remontaient des réminiscences littéraires. Alexandre Dumas, bien sûr. Avec l’omniprésent d’Artagnan, et l’un de ses plus fameux affrontements avec les gardes du cardinal. “ L’hôtel de la Trimouille ‘.Nous mangions comme nous pouvions, nous avons même pris une fois un vrai repas au restaurant. Je crois que c’était à Uzerches. Pour la première fois de ma vie j ‘ai vu à la table voisine un homme faire chabrot. C’était un plâtrier, je me souviens avoir trouvé cela absolument dégueulasse! J’ai changé d’avis depuis.
Nous dormions à la belle étoile ou dans des granges. Il m’est même arrivé de me laver. Pierre avait du probablement insister. Moi, j’avais perdu le goût du luxe! On s’habitue à tout, et finalement avec le recul du temps, il n’arrive de m’avouer que cette équipée constitue un de mes meilleurs souvenirs.
Et pourtant! Comme beaucoup de choses en ce bas monde, mes super espadrilles aux semelles enrobées étaient condamnées à l’usure d’abord, au trépas ensuite. J’en devais accélérer le processus par un usage intensif dans une fonction contre nature que n’avait pas prévu le fabricant. Certes, j ‘essayais de les ménager en alternant pied droit, pied gauche; freinage avant, freinage arrière; afin d’en répartir l’usure aussi équitablement que possible. Mais les meilleurs serviteurs finissent toujours par devenir susceptibles. Mes escarpins commencèrent à se négliger, leurs semelles prirent de plus en plus de concavité. Ce qui les faisait ressembler à de vieilles tuiles romanes. Elles décidèrent de se venger cruellement des mauvais traitements que je leur infligeais.
Nous venions d’arriver à Limoges. Je suivais Pierre naturellement. C’était mon éclaireur, mon phare, mon guide, ma balise Argos et surtout le porteur du ravitaillement. Le soleil étant au zénith, mon estomac marquait midi. Nous abordions une avenue ombragée, bien droite, pavée et partagée par une ligne de tramway. Une déclivité sympathique nous indiquait la place de la gare - ouf, on allait pouvoir souffler un peu. Pierrot étant trop loin devant, je me proposais de le rattraper vite fait, bien fait, en trois vigoureux coups de pédales. L’essentiel étant de ne pas le perdre de vue. Mon regard fixé, non sur la ligne bleue des Vosges, mais sur sa coupe de cheveux dite “ à la bressan “; j’oubliais de regarder le sol et les rails du tramway profitèrent traîtreusement de mon inattention pour bloquer une roue avant. La critique est facile, mais l’arrêt difficile.... L’arrêt fut instantané. Le vélo immobilisé je continuais ma route sans lui, selon la Loi de l’inertie, décrivant une gracieuse parabole, qui, n’ayant rien de biblique, me déposa sur le pavé avec une inconcevable brutalité. Plutôt sonné, et contusionné, honteux et confus, jurant mais un peu tard qu’on ne m’y prendrait plus.
On allait pourtant m’y reprendre, et pas plus tard que tout de suite. Je redressais ma roue avant sous le regard indifférent de la plupart des témoins, vérifiais si mes bagages étaient bien arrimés, particulièrement le précieux pantalon de l’école navale. Et je sautais en voltige sur mon fringant coursier. Fantaisie parfaitement inutile puisque il s’agissait d’un vélo femelle. Mais je tenais à faire mon petit effet sur deux pisseuses de mon âge qui me regardaient, pensais-je, avec un certain intérêt. Mon petit effet tomba complètement à plat, comme moi cinq minutes plus tôt. J’en fus d’autant plus mortifié que ces deux garces s’étranglaient de rire! Je rengainais cette blessure d’amour propre au plus profond de ma vésiculaire biliaire, et maître de ma destinée j’examinais la suite. La suite n’était pas spécialement réjouissante; la déclivité de la pente s’était accentuée et la cohue indescriptible. La Loi de la pesanteur me propulsait à une allure vertigineuse vers la place de la gare.
Tentative de freinage contrôlé à coup de semelle. Brûlure fulgurante: c’est ma plante du pied droit qui vient de suppléer à la défaillance de mon espadrille dont la base vient de rendre l’âme. Brutalement mon pied se relève sans ma permission. Il vient de proclamer son indépendance! Et la vitesse qui me gagne......... Je me sens catapulté vers la place. Au beau milieu de laquelle trône un énorme représentant de l’autorité, solidement campé sur ses deux jambes écartées. Il me tourne le dos (l’imprudent !), occupé qu’il est à renseigner un petit jeune homme en qui je reconnais mon frère Ma décision est prise: j’estime l’adiposité du gardien de la paix plus confortable que le crépi du mur d’en face, et je baisse la tête...
Patatras! Boum! Aie! Qu’est ce que c’est? Mon bibendum en képi proteste, vitupère, invective, insulte, et vous savez qui? Je vous le donne en mille! Moi, oui moi! Alors que je ne lui ai encore rien dit! Un caractériel probablement! Mais à la guerre comme à la guerre, non? Justement on l’avait oublié celle la! Très opportunément elle se rappelle à notre bon souvenir, sous la forme d’une intervention tonitruante de la Luftwaffe, ravie d’avoir retrouvé dans ses collimateurs les Renoux Brothers “, noyau dur de la défense élastique.” Les bombes commencent à tomber, ce qui excite le zèle d’une D.C.A miraculeusement sortie de sa réserve devant l’imminence de l’armistice. Courageuse, mais pas téméraire, l’hirondelle de Limoges s’est spontanément limogée. Disparue probablement dans un abri individuel assez large pour accueillir ses formes opulentes. Il va de soi, qu’en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, j’ai mis ma précieuse personne à couvert.
Le couvert en question est un monument entouré de fusains, construit en je-ne-sais-quoi, à la gloire de je-ne- sais-qui, mais situé je sais où: devant la gare de Limoges. Au petit bonheur je plongeais dans le massif de fusains, espérant que son vert feuillage me dissimulerait aux yeux de 1’ ennemi.
Quand je dis: “ au petit bonheur ~, c’était une formule particulièrement heureuse car je me trouvais nez à avec un de mes condisciples du collège de Soissons. Ce garçon était petit et s’appelait BONHEUR. Comme ça ne s’invente pas, je ne l’ai pas inventé. J’avoue qu’au collège, je ne l’avais pas trop fréquenté. Voyez le genre: fort en thème, fort en math, FORT EN TOUT. Sauf bien entendu en gym et en dessin. A l’évidence nous n avions pas la même culture, mais je ne suis pas raciste. La divine providence m’ayant sauvé deux fois la mise dans le quart d’heure précédent, j’accordais au petit BONHEUR un regard plein de mansuétude, ne pouvant lui tenir rigueur d’être tort en thème puisque cette infirmité n’est pas contagieuse.
D’autant que nous avions eu le même réflexe: plonger dans les fusains. C’était de sa part une preuve d’intelligence -J’en pris note - il avait fait des progrès en gym - J’en pris note. Pour la première fois nous étions ex-aequo. Je m’en réjouis car je ne suis pas sectaire. Allégée de ses bombes, sans doute dépitée de nous avoir une fois de plus ratés, la Luftwaffe était repartie vers ses bases.
OU NOUS VECUMES UNE SERIE DE COINCIDENCES EXTRAORDINAIRES. (Maurice RENOUX)
L’ARMISTICE était donc signé, j’étais à BORDEAUX sans nouvelles de ma femme et de mes enfants.
Le beau-frère de M. PETANGUE, qui tenait une droguerie, m’offrit l’hospitalité. On me trouva un lit cage que l’on installa dans un cabinet de rangement avec fenêtre. J’étais donc très bien, je prenais mes repas avec eux et comme ils ne voulaient pas m’indiquer un prix de pension, je m’arrangeais pour amener mon écot en achetant ceci ou cela pour tout le monde.
Un jour, vers midi, nous attendions le retour de Mme et M. PETANGUE, qui étaient allés faire des courses. Comme ils tardaient beaucoup, mes hôtes dirent “Tant pis, nous allons commencer à manger” Enfin, les retardataires arrivèrent, mon collègue me tendit une lettre, ”Connaissez-vous cette écriture? “- “ C’est l’écriture de ma femme! !“. D’ailleurs, au, dos elle avait mentionné sur l’enveloppe: Mme A.RENOUX, receveuse des P.T.T, repliée à la Direction Générale de RENNES. Cette lettre ne m’était pas adressée!!, (Andrée ne connaissait pas mon adresse). Cette lettre était adressée à Mme CARRE (Carré), à ANGOULEME.
Je savais qui était Mme CARRE, elle avait été receveuse des Postes à LONGPONT avant Andrée, elle nous avait même rendu visite.
Je pris donc connaissance de cette lettre.
J’appris que partant de LAVAL, où elle était réfugiée, elle devait avec Janine rejoindre ANGOULEME. Le train qui les amenait à RENNES avait été bombardé et mitraillé par les Allemands. Ma femme et ma fille se trouvèrent séparées, l’une se sauvant à droite de la ligne de chemin de fer, l’autre à gauche. Elles ne se retrouvèrent que trois mois plus tard!!!.
Je demandais à mon collègue comment il avait pu entrer en possession de cette lettre qui ne m’était pas destinée.
Il me raconta ceci: ”Nous marchions, ma femme et moi, sur une des grandes avenues de BORDEAUX, quand, une Division de blindés allemands défila, se dirigeant vers le SUD, 1’ESPAGNE probablement. J’aperçus une voiture en stationnement, immatriculée dans la MANCHE, je demandais donc au conducteur dans quel état il avait quitté la ville de CHERBOURG, dont il me dit être originaire, (l’état des ponts, des villes etc.)”. Le conducteur lui donna des détails, dit qu’ils avaient traversé POITIERS, ANGOULEME, puis il s’écria, ”J’avais une lettre à poster pour ANGOULEME! J’ai oublié de le faire, pourriez vous la poster à ma place??”. C’est ainsi que M. PETANGUE prit la lettre. Il l’a mit dans sa poche avec l’intention de la poster, quand la circulation aura été rétablie. Devant la Poste il dit à sa femme “Il faut que je poste la lettre”. Il allait la glisser dans la boite quant il aperçut au verso le nom de Mme A.RENOUX etc. etc. Il dit alors “La femme de M. RENOUX est bien receveuse des Postes? Cette lettre parait bien être de sa part. Nous allons bien voir, il verra bien si c’est l’écriture de sa femme”.
C’est ainsi que j’ai eu des nouvelles de ma femme. Aussitôt, je partis à la Poste pour envoyer la lettre en question à Mme CARRE, sa destinataire, je lui racontais comment cette lettre m’était parvenue. Je télégraphiais à Lucette qui était à MONTFAUCON sur LOT avec ses deux frères. J’expliquais à l’employée du guichet cette aventure, ”Madame, pardonnez-moi cette exaltation mais je suis bouleversé par ce qui m’arrive, c’est tellement extraordinaire! !! ”.
J’écrivis aussitôt à ma femme, en utilisant l’adresse qu’elle avait mise au verso de l’enveloppe (adresse provisoire puisque son ordre de mission pour ANGOULEME n’était plus valable, et qu’elle devait retourner dans l’AISNE)
LETTRE QUE MADAME CARRE A ECRITE À ANDREE, FAISANT ALLUSION A LA FAMEUSE LETTRE RECUE PAR HASARD!
Angoulême le 12 Juillet 1940.
Bien chère Madame,
Suis navrée d’apprendre que vous n’avez pu encore joindre votre jeune fille. Quel dommage que son séjour à VANNES ne soit pas prolongé. Peut-être tente-t-elle de venir jusqu’à Angoulême ou bien retourner dans la Mayenne ! C’est désolant!! Soyez assurée, au cas où elle arriverai ici, que l’aide la meilleure lui serait apportée. Les P.T.T de l’Aisne sont toujours là ! Aucune nouvelle pour le retour. Les DELBOEUFS sont sans nouvelle de leur soldat. Mme DOLLÉ repliée à Tarbes. Vous enverrez un mot pour indiquer le départ d’Angoulême de la Colonie de l’Aisne. Quoi qu’il en soit, le Directeur n’est jamais arrivé jusqu’ici, non plus que nombre d’employés, lesquels se trouvaient égarés un peu partout.
Ici, le personnel de Château-Thierry, parmi lesquels des amis à moi, que j’ai pu héberger, certains ont fait le trajet Château-Thierry, Angoulême en vélo. Que de tribulations pour tous. Ne me remerciez pas, Chère Madame, d’avoir fait si peu de choses (que de vous communiquer une adresse). Tant mieux que grâce au hasard, votre première lettre qui m’était adressée, soit miraculeusement passée dans les mains de votre mari, ayant, ainsi servi à renouer le fil familial, etc. etc., j’ai eu la joie de relier une autre famille des P.T.T du Loiret, etc., etc.
Signé Madame CARRÉ
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Maurice RENOUX 76 rue P.L. LANDE BORDEAUX
A Luce TOUX et ses frères
Sanatorium des PTT Montfaucon Lot
Bordeaux le 2 Juillet 1940
Mes chers petits,
Je suis inquiet sur Janine, Madame CARRE vient de me répondre qu’elle ne l’avait pas vu à ANGOULEMES, alors que les familles Dollé, Wargnier, et Deboeuf y sont bien arrivées. Votre maman qui est, je le pense, toujours à RENNES, à la Direction Régionale, doit se faire un mauvais sang terrible.
Ne manquez pas de m’écrire dès que cela vous sera possible car depuis la carte de Lucette du 26 juin je n’ai rien reçu.
Je recommande à Pierre et à Claude d’être gentils et bien obéissants avec Lucette et de chercher à s’occuper et à servir.
Amitiés à Gaston et à vous trois, mille affectueux baisers de votre papa.
Maurice RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Monsieur Maurice RENOUX Bordeaux le 4 Juillet 1940
76 rue P.L Lande
Bordeaux
A Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
Je suis toujours très inquiet sur le sort de Janine dont je ne sais toujours rien. De votre maman rien de plus, je lui écris à RENNES, mais la liaison postale ne doit pas être encore rétablie. Quel mauvais sang elle doit se faire ! J’ai bien reçu hier votre lettre. Je suis content que vous soyez à l’abri, aussi mal que vous puissiez être, cela vaut mieux que les bois. J’ai reçu hier également une lettre de Tante Berthe qui était inquiète sur votre sort mais entre-temps je lui avais adressé un télégramme qui a du la rassurer pour vous mais bien l’angoisser sur Janine. Mémère Marguerite est à Villiers et mes frères Félix et Emile sont à Clermont Ferrand avec leur famille (sauf Ginette qui est à Vichy ; Simone dont on est sans nouvelle ainsi que Madame Astier qui a du rester à Paris)
Vous devriez écrire à ces deux endroits : Villiers et Clermont-Ferrand ainsi qu’à Rennes et Saint Berthevin à tout hasard, peut-être qu’un service sera en avance sur une autre région. J’ai même écrit à Longpont au cas où votre maman y serait envoyée avant que le trafic soit repris par ici
En ce qui vous concerne, je vous confirme qu’il faut rester où vous êtes, ce n’est pas le moment de remonter où vous étiez. Tachez de faire le plus économiquement possible car je ne suis pas payé maintenant avant fin Septembre ! Et d’ici là, il se passera encore bien des évènements du train où ça va ! Inquiétez vous de savoir quel est le collège le plus près pour tacher d’y aller comme internes à la reprise. J’aime mieux vous voir par là : l’air est meilleur !
Je remercie beaucoup Gaston et Lulu de s’occuper de vous et de votre part soyez disciplinés et ordonnés. Je serai encore bien plus fier de vous si vous tenez compte de mes conseils. Dès que je saurais quelque chose au sujet de mon départ, je vous en aviserais ainsi que Clermont et Villiers : de même en ce qui concerne votre maman, il faut en faire de même de votre coté. De cette façon nous triplerons les chances d’être renseignés, et faites comme moi, 20% d’économie de timbre.
Vous connaissez ma façon de penser, elle n’a pas variée et bien des choses me font énormément souffrir en dehors de la séparation et du manque de nouvelles, mais vous, faites attention à vos propos et mettez « un bœuf sur la langue »
Bons et affectueux à tous de votre papa
Maurice RENOUX
Lettre de Marguerite HENAULT et Berthe GEORGET à Luce TOUX
Villiers le 4 Juillet 1940
Mon cher petit,
Aujourd’hui seulement je t’écris te sachant avec tes frères, cela nous tranquillise car depuis leur départ de chez Berthe nous ne vivions plus, nous demandant chaque jour ce qu’ils étaient devenus. Nous regrettions de les avoir laissé partir ; enfin ils sont en lieu sûr, mais comment fais-tu ? Je voulais t’envoyer un peu d’argent, nous ne le pouvons pas (la poste n’accepte pas les mandats, et je me demande comment nous allons faire. Nous avons reçu un télégramme de ton petit père qui est à Bordeaux, nous mettant au courant de la situation. Ta maman est à Rennes, elle a quitté Laval avec Janine et moi, je suis chez Berthe, attendant les évènements. Ton oncle, ta Tante, tes cousines doivent être à Clermont Ferrand. C’est te dite que toute la famille est dispersée. Il y a déjà longtemps que tu as écrit, fais le pour nous rassurer et nous dire comment tu fais pour y arriver ? Ta tante veut t’écrire. Je fini donc ma lettre pour lui laisser la place et je t’embrasse bien, bien fort comme je t’aime. Ta mémère qui ne cesse de penser à toi.
Marguerite
Ma chère Lulu,
Que d’ennuis depuis ta dernière lettre, l’arrivée de la Grand-mère le 16 Juin, celle de Pierre et Claude le lendemain, leur départ précipité le 19, tout cela pour arriver à quoi ? À tomber sur ce qu’ils voulaient éviter. Le jour de leur départ nous avons couché dans la cave de la classe avec Monsieur Villedieu, Colette et ses grand-père et grand-mère. Colette a trouvé que c’était joli d’être tous ensemble, elle aurait voulu recommencer, le lendemain Jeudi à notre rentrée dans notre maison les « 1ers éléments » ont fait leur entrée dans le bourg. J’ai eu l’honneur la première de leur donner des renseignements. J’étais très, très calme, il n’y a absolument rien eu, tes frères auraient resté ici ils auraient mieux fait, c’était pour eux comme pour les autres, rien, rien. A Mézières, il y a eu bataille. Lucienne et ses enfants, et tout le monde du reste, est indemne. Comment fais tu ? Je me le demande, Quelle idée d’aller te retrouver, pauvre enfant ! Enfin espérons des jours meilleurs. Ici nous manquons à peu près de tout sauf de pain. Il se tue veau et porc, on en a un kilo par ci, par là. Il y encore quantité de réfugiés et ils n’ont pas le droit de partir.
Ecris nous, ma chère Lucette si tu as le temps ou fais écrire à tes frères. Ils auraient bien pu le faire pour nous rassurer. Je t’assure que je regrette de les avoir laissé partir. Je les croyais à saint Hilaire, aujourd’hui, seulement, Jules nous avise qu’ils n’ont fait qu(y coucher.
Préviens ta mère si tu peux. Reçu une dépêche de Maurice hier qui nous dit qu’Andrée est à rennes. Direction Régionale et Janine peut-être à Angoulême.
Ta grand-mère ne peut pas te le dire, mais je trouve qu’il vaut mieux dire la vérité.
Je vous embrasse tous les trois bien affectueusement pour Auguste aussi. Votre tante qui vous aime Bien
Berthe
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils
RENOUX chez PITAUGUE 76 rue P.L. LANDE BORDEAUX
Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
9 juillet
Ma chère Luce, mes chers petits
Votre Maman était le 3 juillet à Nantes (chez Madame Digue, 12 rue Coste et le Brix) et essayait de gagne Angoulême
C’est par une carte postale de Madame CARRE du 8 juillet que je sais sa nouvelle adresse. Je suis bien indécis car tout d’abord j’aurai bien voulu bondir à Nantes mais je crains qu’elle ne soit partie. J’attends un mot d’elle pour savoir ce que je vais faire. Heureusement j’ai avisé hier madame CARRE de la nouvelle adresse de Janine, si bien qu’elle ne peut manquer d’en faire part à votre maman, ce qui la rassurera complètement, je l’espère.
Par même courrier je préviens Mémère Marguerite et mes frères déjà avisés d’hier que la Nine était à VANNES et que votre maman venait de changer de gîte. Pauvre maman qui doit bien souffrir depuis trois semaines sans nouvelles des siens. Je crois cette fois que son martyr touche à sa fin. J’ai envoyé un mandat à Janine hier soir (dès la réception du télégramme qui venait de Montluçon ( ?)
Je vous quitte tous les trois en vous embrasant bien tendrement. Amitiés à Gaston.
Maurice RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
13/7/40 Mes chers petits
Je pars demain matin ayant reçu mon ordre de mission de mon Administration pour Saint Lô (13 rue des Palliers)
Je passerai Angoulême à tout hasard. J’espère donc pouvoir embrasser votre maman et peut-être Janine si elle avait rejoint sa mère, cela me ferai bien plaisir. J’espère que rien ne viendra retarder ou contrarier mes projets. Je suis dans un état de nervosité que vous pouvez imaginer, m’attendant à chaque instant à voir arriver votre maman ou à recevoir un mot d’elle car je ne sais pas encore si elle a reçu avis de l’adresse de Janine, ni de la mienne. Que c’est long !
Bonnes grosses bises à tous et amitié à Gaston
Maurice RENOUX
PS reçu lettre de Dédée ce jour 14. Partirai à Nantes ce jour 14h10 Janine partie e VANNES pour Paris
Lettre d’Andrée RENOUX à son mari Maurice RENOUX
De Nantes
Le 13 juillet 1940
Mon cher petit;
Impossible de retrouver Janine. J'ai écrit un peu partout! Pourvu qu'elle ne se soit pas dirigée sur Paris. Avec quel argent??
Elle a donné son adresse à Vannes et là; elle n'a pas eu la patience d'attendre elle s'est présentée le dimanche 30 juin à 20 heures aux chèques postaux de Nantes. II n'y avait Là que des réfugiés qui n'ont pas su la retenir.
Elle leur a dit qu'elle prenait le train de 7 heures le Lendemain et qu'elle allait dans la famille à Paris. J'ai su que ce train n’allait que jusqu'à Chartres.
J'ai écrit au maire de Chartres; au maire du Mans; à la préfecture de la Seine à Paris; j'ai fait mettre des annonces sur le journal régional de Nantes "le Phare"; sur "L'Ouest éclair" lu en Bretagne; aucun résultat.
Tu dois connaître mon angoisse puisque toi-même tu dois passer par les mêmes appréhensions. Ayant écrit seulement aujourd'hui à la préfecture de la Seine; je ne désespère pas encore surtout si elle t'écrit sa nouvelle adresse; réponds-Lui par retour de courrier qu'elle reste où elle se trouve!!
Lorsque tu sauras par où nous sommes passées; tu te demanderas pourquoi nous sommes encore là!!
Je reste à Nantes jusqu'à nouvel ordre; du reste il est interdit depuis quelques jours de se rendre au sud de la Loire.
Dans la bagarre; tous nos bagages ont été perdus. Mais jusqu'ici; il n'y a que Janine qui me tourmente.
Après mon annonce du "Phare"; j'ai eu la visite de Mr Bellancourt fils qui habite Nantes. Je déjeune chez eux lundi prochain, il a été charmant.
150 personnes sont retenues à Longpont dont les femmes. La maison de "Leirel" a reçu une torpille; celle de Dambry n'existe plus; celle de Lecamp a été endommagée. Une torpille sur le mur entre les Bocquet et de Poteaux; le mur de Mme Binard; le château. Voilà tous les dégâts constatés. Le pillage et le bris dans toutes les maisons encore debout ; autrement dit moins de bobo qu'en 1914. La lettre des Bellancourt a été portée à la mairie de Villers Cotteret qui se charge (l’on ne sait comment) de les faire parvenir. J'ai même écrit chez Lehuby à St Lô de "la" garder si elle se présentait et que je paierai sa pension.
Je t'embrasse toujours bien tendrement.
Andrée Renoux.
P.S: Tintin Lebrun a été tué. Beaucoup sont sans nouvelle depuis le 15 Mai!!
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille JANINE
De Nantes
Le 14 juillet 1940
Ma petite Nine chérie
Enfin pour moi, cette année, le 14 juillet est encore un jour de fête puisque je reçois aujourd'hui la certitude que ma grande fofolle est encore en vie.
Simone m’écrit aujourd'hui me disant que tu es entre bonnes mains et qu'elle te prendra avec elle dès son retour à Paris. Dès que je serai sûre que tu es toujours à la même place, je t'enverrai un mandat.
Tu aurais dû rester à Vannes ; tu écris à tout le monde ton adresse à Vannes et tu n'attends pas les réponses ??
Je suis restée à Rennes, du 17 juin jusqu’au 28 juin à te chercher partout. J’ai fait des kilomètres dans les fermes, à 50 km autour de Rennes.
Le 29, j'arrive à Nantes si le 30/ tu te présentes aux chèques postaux, tu n'attends même pas le lendemain pour aller à la direction si tu t’était présentée là tu aurais eu mon adresse puisque je loge chez une collègue de Nantes qui a eu pitié de moi- car je couchais sur la paille sans couverture depuis le jour affreux du 17 juin où j'ai vu près de moi les morts de notre train et les blessés.
J'ai hurlé ton nom croyant te reconnaître parmi les morts. Enfin, je t'aperçois près du train puis plus de Janine! Jeudi dernier/ j'apprends avec bonheur que tu étais à Vannes: j'y cours, plus personne. Tu as semblé drôle au charcutier, ce qui m'a laissé encore plus d'inquiétude sur ton sort. Partout/où j'ai trouvé ta piste, j'arrivais trop tard. On t'a vue avec des jeunes gens qui avaient mauvaise allure. Alors, tu vois d'ici mes pensées!
Ecris vite que je sache quelle décision prendre à ton sujet et attends cette fois!
Comment fais-tu puisque tu n'as pas d'argent?
Je te serre encore plus fort sur mon coeur pour t'avoir retrouvée.
Surtout reste où tu es et ne te sauves pas encore petite folle.
Andrée Renoux
ODYSSEE DE JANINE. (Maurice RENOUX)
C’est à RENNES sur les lieux du bombardement que Janine et Andrée avaient été séparées. Andrée avait crié à Janine. “Ne retourne pas dans le train, car il y a des bombes non éclatées”. C’était trop tard, car Janine, n’ayant pas entendu, est retournée dans le wagon, a pris tous les bagages (qu’elles avaient abandonnés), et s’est enfuie dans la plaine. Aussi, Andrée a cherché en vain Janine dans les décombres, au milieu des morts et des blessés!
Janine, arrivée sur une route où passaient des convois, fit signe et une voiture s’arrêta. C’était des Médecins français. Ils firent monter Janine dans la voiture et mirent les bagages dans l’ambulance qui suivait. Arrivés à VANNES, i1s la laissèrent dans cette ville. Quant aux valises elles continuèrent dans une direction inconnue. Elles revinrent deux ou trois ans après, au bureau de LONGPONT, car notre adresse y figurait dessus... (Mais il a fallu du temps pour trier les bagages échappés sur les routes).
EXTRAITS DES LETTRES DE JANINE, qui m’arrivèrent également par hasard, sans doute par l’intermédiaire de Lucette;
“Le 6 Juillet 1940: Ayant trouvé une occasion d’aller à VANNES, j’y suis restée huit jours bloquée toutes les communications étant coupées. Je n’ai plus rien en poche, Maman ayant l’argent sur elle. Heureusement, j’ai trouvé des braves gens. Puis, j’ai eu une occasion d’aller à PARIS. J’espérais trouver Félix, et Émile, mais ceux-ci étaient partis. Je suis chez Mme GUERY, 22 Rue ETEX, PARIS 18ème
Mon cher petit papa, je t’enverrai un mot ce soir, pour te dire si je peux partir. Sinon, tu enverras un mandat dès que cela sera rétabli, etc.;”; Janine avait dix-huit ans à l’époque.
Elle put aller chez Marcelle et Félix à COLOMBES, dès que ceux-ci revinrent, le 26 juillet 1940. Elle y resta en attendant que sa mère puisse lui écrire de rentrer à LONGPONT. (La maison de LONGPONT était très abîmée, plus de matelas, pillées, dévastée etc.).
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille JANINE
De Nantes
Le 17 juillet 1940
Ma chère petite Nine
Aujourd'hui 17 juillet un mois exactement depuis que je t'ai perdue. Que de transes, que de pleurs (que de timbres dépensés) que de démarches pour pouvoir trouver ta piste.
Enfin depuis le 14 juillet, c'est à dire depuis trois jours je commence à revivre.
Ton papa est venu me surprendre le 15 à 6h et demi du matin. Il est reparti pour St- Lô ce matin où il doit rejoindre son poste. Moi même j'attends un ordre pour repartir, pour repartir où?? Je n'en sais rien peut-être Laval peut-être Longpont. C'est pourquoi il vaut mieux attendre quelques jours avant de fixer si tu dois venir ici, ou rester à Paris en attendant ton onde.
Hier, je t'ai envoyé 300 FR, dis-moi si tu les as reçus. Ton papa t'en avait envoyé 500 à Vannes.
Si les 500 F ne te parviennent pas d'ici 8 jours, je t'en enverrai d'autres. Je reçois ce matin, adressé à ton père à Bordeaux, ton long journal. Je le renvoie immédiatement à ton papa à St Lô, à la Direction des Contributions indirectes.
D'après ce journal, je m'explique pourquoi nous nous sommes séparées d'abord, j'étais près des WC au moment du bombardement, puis tous les gens qui étaient du côté de la voie où je me trouvais, ont été dirigés dans une ferme à 1500 mètres du chemin de fer. Là, on n'a pas voulu que nous allions à Rennes sous prétexte de torpilles non éclatées.
En effet, la nuit suivante, on a couché dans une étable avec une cinquantaine de vaches, (Oh! Les vaches) les torpilles ont éclaté. On croyait que c'était les avions qui recommençaient. J'ai été 15 jours sans me déshabiller. Dis-moi de quel côté tu as laissé les valises et de quelles façons tu les as perdue ; de façon de faire les démarches nécessaires en attendant va voir à la gare Montparnasse s'il te faut un laisser passer pour Nantes.
Ici, on a dit qu'il en fallait un fais en faire un c'est assez long, et si tu peux me rejoindre tu le feras. Mais attends mes ordres. J'ai peur de partir comme ton père vient de le faire.
Je t'embrasse autant de fois qu'il te faut pour rattraper ces 3 semaines.
Andrée RENOUX
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille JANINE
Andrée Renoux 20 Juillet 1940
P.T.T
Chez Mr DIGUE
Coste et le Brix
Nantes (Loire inférieure)
Ma Nine
As-tu reçu l’argent ? Soit les 500 FR. envoyés par ton père à VANNES. Soit les 300 FR. envoyés de NANTES!I!
Dis-moi le jour exact où tu les as reçus? JI attends pour nous mettre d’ accord que tu me dises si tu dois de l’argent. Ta santé, ma petite Nine, doit être bien ébranlée. Par ici, je vois les jeunes filles qui se préparent à passer leur brevet et cela me fait bien mal au coeur!
II est vrai que je ne veux pas me plaindre ayant retrouvé ma Nine.
II faut absolument que tu écrives une lettre de remerciements à Mme Cadord. Ces braves gens dans la consternation de t’avoir laissé partir. D’après leurs réflexions ils n’avaient pas 1air d’avoir cru un mot de tes explications et étaient très, très contrariés de s’apercevoir que tu avais dit vrai. C’est ce que j/ai cru démêler dans leur air embarrassé et consterné!
Ton petit journal envoyé à ton père où tu décris la scène du train est épatant. Tu me voyais assise dans le compartiment alors que j’étais prête à entrer aux WC. Couchée dans un buisson avec 2 petites filles dont la mère avait été tuée et que l'on voyait à une cinquantaine de mètres de là avec d’autres victimes. Je criais toujours après toi et les petites hurlaient: maman !maman !! Et j’avais la frayeur au fur et à mesure que l’on déposait les morts de te reconnaître parmi eux. Tout à coup, j’ai vu que l'on déposé une jeune femme qui avait des souliers blancs de gymnastique. J’ai cru que c’était toi ... Alors, inutiles de continuer, tu dois tout de suite voir la tête que je faisais !
Les pauvres petites filles/,6 et 10 ans, seules, hurlant toujours après leur maman et me la montrant au loin! Quel moment terrible ! Et que sont-elles devenues?
Je te bise mille fois.
Les lettres mises à la Recette principale, rue du Louvre, gagnent un ou deux jours sur les autres.
Andrée Renoux.
Trop tard!!! « Ils » n'auront pas ma galette.
Dis-moi/, à quel endroit as-tu perdu les autres valises et quelles sont les affaires qui étaient dans la petite, à part les papiers.
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille JANINE (lettre de Saint Lô)
Dimanche 21Juillet 1940
Ma petite Nine chérie,
Ta longue lettre du 12 m’est parvenue ce matin de Bordeaux, via Nantes, où ta maman en a pris connaissance.
Pauvre petite chérie, j’ai pleuré en lisant combien tu avais souffert et je suis bien fier et content de ton bon moral. A aucun moment, d’ailleurs, je n’ai douté de toi et ce n’est jamais cela qui m’a tracassé. Tu as obéi à ta conscience et tu as bien fait. C’est notre religion à nous, elle en vaut bien d’autres. Quand à tes camarades tu les remercieras de ma part. Leur action ne me surprend pas, comme parisien, à leur âge, j’aurai agi comme eux, tu peux me croire.
En raison de la lenteur de la correspondance, je suis toujours dans l’incertitude, ne sachant si tu es encore à Paris. Si ton oncle Emile devait revenir bientôt, la meilleure solution serait que tu restes avec lui. Ta maman étant sur le point de rejoindre Longpont, tu risquerais encore de faire un chassé croisé. Je te conseille donc d’attendre ton mandat de 300 FR car dès que je saurai que tu es fixée pour une huitaine, je t’enverrai 500 FR.
Entre temps ta maman et mi serons peut-être fixés sue ce que l’on va faire de nous, et d’autre part Tonton Emile sera peut-être revenu.
A moi maintenant de te raconter ce qui s’est passé depuis le lundi 17 ; Ayant été autorisé à partir en tant que mobilisable, je suis parti en auto avec mon chef de service, nous pensions passer à RENNES mais nous en avons été détourné à cause justement du bombardement de CESSON que nous ignorions. Passant à FOUGERES et VITRE de là j’ai essayé de téléphoner à Saint BETHEVIN-LAVAL (où ta maman avait été affectée par les PTT après son départ de Longpont) Mais rien à faire, J’ai demandé à pousser jusque là et quand j’ai vu le nid, il était vide. La voisine m’adit que ta mère et toi étaient parties la veille et Pierre et Claude l’avant-veille.
J’étais assez rassuré (quoique j’aurai préféré savoir dans quelle direction vous étiez partes) Après une journée d’arrêt à POITIERS, nous sommes arrivés à BORDEAUX, le 19 juin, juste pour être bombardés. Enfin, cela est un détail en ce qui me concerne. Aussitôt le soir même j’envoyais un télégramme –mandat à Lucette de 1000 FR pensant que les uns ou les autres pouviez être sans ressource. J’ai également télégraphié à CLERMONT FERRAND, mais les liaisons étant coupées, ce n’est qu’au bout de plusieurs jours que Lucette me fit part de l’arrivée des enfants, À ce moment là, d’après son terme j’ai pensé que tu étais avec, car elle aurait dû mettre les garçons. Je n’aurai pas hésité. Ce n’est que par un hasard extraordinaire que j’ai su que ta maman te recherchait et à ce moment mon inquiétude à ton sujet était immense comme tu peux l’imaginer. C’est seulement Lundi dernier que j’ai appris à Nantes, par ta maman que tu étais à Paris. Justement, j’avais eu mon ordre de mission pour rentrer ici et je suis parti le Dimanche 14 Juillet, m’arrêtant à Nantes sachant que ta maman s’y trouvait.
Tout est bien qui finit bien § et dans la famille jusqu’ici, i n’y a pas de victime dans cette bagarre, c’est un gros point.
Je voudrais pouvoir te prendre sur mes genoux et te câliner. Je confie au papier les milles bises bien tendres et affectueuses de ton papa
A bientôt
Maurice RENOUX
Lettre adressée à Janine RENOUX, chez Madame Fauverteix, 18 rue de l’Ourcq Paris 19ème par sa mère Andrée RENOUX
A suivre 6 rue ST Denis Colombes Seine
Nantes le 22 juillet 1940
Ma Nine,
Dès que je recevrai un mot d toi me disant être en possession du mandat de 300 f, je t’en enverrai un autre, à moins que tu n’aies pu venir jusqu’ici. Si ton oncle Emile est rentré il est préférable que tu restes à Paris avec lui. Mais, si tu dois rester seule encore longtemps, il vaut mieux que tu cherches à venir ici et te décider dans les 3 ou 4 jours .A moins que tu aies la certitude que ton oncle Emile revienne très prochainement alors il vaut mieux rester à Paris, Le voyage de Paris à Nantes coûte 136 F.
J’attends toujours de nouveaux ordres et d’après les on-dit on retournerait dans l’Aisne
La dernière lettre datée du 19 Juillet est arrivée ici le 2&. Le mandat de 500 F qui avait été adressé à Vannes m’a été remboursé, ici, ce matin. Donc, dis moi si tu as reçu les 300 fr. En combien mes lettres mettent-elles de temps. Je t’embrasse bien fort.
Maman
Ecris souvent à ton papa, j’écris à la cousine Françoise pour la remercier
Carte lettre adressée à Janine RENOUX, chez Madame Fauverteix, 18 rue de l’Ourcq Paris 19ème, par sa mère Andrée RENOUX
A suivre 6 rue ST Denis Colombes Seine
Nantes le 25 Juillet 1940 11H 30
Ma Nine
Je reçois ta lettre du 18 aujourd’hui. Je vois tu as changé d’adresse, cela me contrarie : Tu ne recevras pas les mandats qui te sont adressés, 22 rue Etex à Paris
Il faut t’arranger pour aller rue Etex, au moment où le facteur passe, sans cela voilà encore de l’argent qui se promène. J’attends que tu me dises si tu les as reçus. Les premier 500 Fr qui ont été à Vannes doivent te suivre d’adresse en adresse. Vite un mot pour que l’on puisse savoir ce que nous devons faire
Je te bise très fort
Maman
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Saint Lô- Manche)
Le 1er Août 1940
Ma Nine Chérie
Je suis heureux comme tout que ta maman ait pu t’embraser avant de rejoindre Longpont et de ce fait j’espère que sa santé va se rétablir complètement.
Quand je ‘écrivais j’étais convaincu que seul le tonton Emile rentrerait à Paris, comme étant dans l’alimentation et c’est pourquoi je te disais, « vas souvent voir s’il est rentré » Mais tout est pour le mieux puisque les Colombiens sont de retour et tu n’auras que l’embarras du choix. Je pense d’ailleurs que tes oncles ont reçu mes cartes écrites aussitôt leur retour chez eux. Ceci est important pour moi de le savoir, mais les lettres mettent trois jours au moins.
Je te joins les lettres de Pierre, Claude et Lucette à conserver précieusement comme les tiennes le seront. Je pensais partir ces jours-ci, mais je suis comme sœur Anne et je me demande si un jour j’arriverai à vivre comme tout le monde en famille. As-tu des facilités pour réviser tes matières avant ton B.E ? Comme je serais heureux si tu pouvais réussir, ma petite Nine ! Et tu le mériterai bien après toutes ces aventures.
Tu ne m’as dit si tu avais reçu tes deux mandats de 500 FR je sais que tu as touché celui de 300 FR Il faut aller chez la cousine Fauverteix tous les deux jours pour pouvoir toucher à la poste le 3ème mandat, cela évitera des complications. Peut-être que le 1er à suivi Rue d’Etex, il faudrait t’en informer.
Sois bien gentille et ne t’énerve pas trop, ma petite Nine, et mets en un bon coup, c’est le moment ou jamais.
Mille tendresses et affectueux baisers de ton papa.
Maurice RENOUX
Naturellement re- mille bises à partager avec toute la famille.
Lettre à Janine et à ?....adressée par sa mère Andrée RENOUX
Je couche chez Madame Dollé. La maison est ouverte à tous les vents. Dans une cour une cuisse de cheval en p par sa mère Andrée RENOUX putréfaction, dans un puits (celui de Cheffy) une tête de vache ! Quel jour vous parviendra cette lettre, faites le moi savoir.
Longpont le 4 août 1940
Chers tous et petite Nine
Me voici à Longpont que j’ai trouvé semblable à mon départ (extérieurement), c'est-à-dire que le 20 Juin le plus gros de la Bataille était terminée. A part les portes et les fenêtres qui ne ferment plus (certaines sont même enlevées) les carreaux de cassés et les murs déplacés de quelques centimètres, la maison parait encore solide. La bombe qui est tombée près du bureau a fait un trou que je n’avais pas vu le jour du bombardement, ce trou est juste en face de la porte du bureau. Je l’ai échappé belle ce jour là car il en était tombé une autre de l’autre coté du cimetière parallèlement à celle-là. Du reste, il parait que ce fameux jour il en est tombé cinquante. Une est tombé en plein sur une maison de l‘autre coté du monument aux morts et sept sur le château. Un avion a bombardé les ruines quelques jours après sans grand dommage.
Les quelques meubles venant de la grand-mère Louise ont été retrouvés à la cave, cachés dans de vieilles couvertures avec des livres de Lucette. Tout a été retrouvé moisis et décollés, il est vrai, mais avec un peu de patience et de temps, ils sont parait-il arrangeables. Ils ont échappés au pillage et à la destruction systématique. Il faut avoir vu ça pour le croire. Jusqu’à la conduite qu’on a sciée. Je n’ai retrouvé qu’un matelas et les sommiers Quant au reste de la literie, rien ! Rien d’autre ! Tout a été volés ou dispersés dans les champs et la forêt. Dans la campagne on ne fait pas cinquante mètres sans voir des matelas et sommiers pourris.
Rien que dans le bureau et le grenier il y avait plus de 30 matelas lorsque les premières personnes d pays sont arrivées. Ceux là ont fait leur choix et ces pourquoi les chambres étaient vides à mon arrivée, je n’ai trouvé qu’un matelas. Il y a 3 semaines les rues du village étaient jonchées de meubles cassés de batterie de cuisine. Ainsi ma table de nuit a été retrouvée complètement broyée. On croirait……………….(il manque la suite)
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Saint Lô- Manche)
Saint Lô, Dimanche soir (Dimanche 4 Août 1940)
Ma chère petite Ninette,
Ton petit mot du 1er vient de me parvenir et je suis très heureux de savoir ce que sont devenus les mandats
J’attends avec impatience une lettre de ta maman me donnant des détails sur son retour à Longpont. Hélas, je crains de ne pas la lire encore demain car je pars, cette fois, mais pas où je voudrais.
A la suite d’un décret, supprimant partiellement le privilège des bouilleurs de cru, les agents en surnombre sont désignés pour aller renforcer les Recettes du département pour procéder au scellement des alambics, ce qui représente un travail formidable parait-il, car dans le Sud du département il y en a environ un par ferme et des milliers de fermes. Comme les croquants vont mettre des bâtons dans les roues, si même ils s’en tiennent à cela, il va y avoir du sport, Auto, cyclisme footing et peut-être boxe ! Mais ne t’alarme pas plus que moi car jusqu’ici, je prends plutôt cela à la rigolade et si ce n’était le retard à t’embrasser que cela provoque je serais m^me content de quitter Saint Lô où je me dégoûte profondément ? Je t’expliquerai pourquoi
Ceci dit je suis bien content que ton oncle Félix ait reçu ma carte. Justement, aujourd’hui, je pensais particulièrement à tout ça en voyant un très joli car beige et roue où sur la poussière, on voyait s’étaler en lettres énormes, tracées avec le doigt : LONDON. Je ne suis que rarement Poète ( !) mais pourtant la rime est venue immédiatement avec plongeon…car à proximité, il y a une piscine.
Naturellement, tu feras la tournée de la bisaille de ma part et tu ne t’oublieras pas surtout (et sur l’œil encore !)
Au revoir ma petite Nine et à bientôt quand même
Ton Papa
Maurice RENOUX
Tu dois également être en possession de la lettre de Pierre envoyée le 1er Août.
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Normandie)
Mardi 13 Août 1940
Ma petite Nine,
Mes chers tous.
Je viens de lire cette bonne lettre collective qui vient jeter une note familiale dans ma solitude, car comme vous le pensez ce n’est pas très rigolo. Malgré cela, ici j’ai du travail et ma foi très agréable pour l’instant. Le temps est superbe et la région très pittoresque, j’aurai tort de me plaindre. J’ai trouvé un vélo d’emprunt qui est très confortable et je roule tantôt sur des routes excellentes mais aussi il nous arrive, pour atteindre les fermes isolées, de faire une partie de cross-country pédestre. A ce train là, je serai tout en fait en forme le cas échéant pour seconder le Général de Gaulle.
Vis-à-vis des bouilleurs de crû, tout se passe bien mieux que nous le pensions, à tel point que si je laissais faire, je serai « noir » tous les soirs.
J’ai déjà eu des nouvelles de ma petite Dédée dont l’état de santé m’inquiète. Elle maigrit d’une façon anormale et j’ai hâte qu’elle puisse se soigner sérieusement. Elle reçoit bien mes lettres, mais forcément pendant la période où elle s’est déplacée je n’ai rien écrit.
Comme je lui ai dit, le bilan des pertes matérielles aussi élevé qu’il soit pour nous, ne doit pas nous faire oublier que nous aurions piu être atteints encore bien plus cruellement, sui un des nôtres était resté dans cette bagarre. Nous étions déjà habitués à en baver, alors, en peu plus ou un peu moins.
Ma petite Nine n’est pas trop prolixe pour me raconter comment ses études sont organisées, j’aurai pourtant bien voulu être tenu au courant de cela, j’y pense souvent, mais je ne sais toujours rien.
Naturellement, je ne ai pas reçu de nouvelle de la Zone Libre depuis longtemps et ayant écrit au Tonton, la lettre m’est revenue avec la mention « inadmis » Les amateurs de bottes sont servis, cela a été progressif et ce n’est pas encore fini, nous en baverons encore .
Dimanche dernier, j’ai passé ma journée à la pêche à la truite pour tuer le temps, j’ai pris trois petites truites. Une grosse a coupé le fils au ras de l’hameçon si bien qu’elle est retournée à la rivière. J’aime beaucoup ce genre de pêche car on ne reste pas à la même place et c’est passionnant.
Je peux avoir terminé mon travail avant la fin du mois, mais je ne sais pas si après je rejoindrai l’Aisne. J’ai demandé à Andrée qu’elle intervienne auprès du Directeur de l’Aisne pour me rappeler mais je n’ai pas beaucoup d’espoir, nous sommes tellement dans mon cas.
La dessus et en attendant le plaisir de nous embrasser mutuellement, je vous envoie à la ronde mille bises et à ma petite Nine les affectueuses tendresses de son papa.
Maurice RENOUX
RETOUR D’ ANDREE A LONGPONT.
A NANTES, Andrée avait eu un “Ausweis” délivré par les Allemands. C’était l’autorisation de circuler que délivraient les Allemands pendant l’occupation (194O-1944). Elle était “invitée” à retourner à LONGPONT. La maison, en Mai Juin, avait été habitée par les troupes françaises. Quand Andrée arriva, elle était habitée par des soldats allemands. Pendant l’exode tout avait été pillé, souillé, cassé, (cela en plus des bombardements). Andrée demanda à un officier allemand d’évacuer la maison, lui rappela qu’en temps de Paix, il était interdit de loger la troupe dans un immeuble administratif.
L’officier prit très mal et lui répondit, ”Vous avez six soldats, mais, demain, vous en aurez douze, car les Allemands ne sont pas des voleurs”. Il tint parole. Les enfants revinrent en Septembre à la maison. Andrée retourna à la KOMMANDANTUR. L’évacuation complète se fit alors. (1er Octobre 1940).
Quant à moi, je quittais BORDEAUX pour retourner dans la MANCHE en chemin de fer. Je fis un détour pour aller embrasser ma femme. Elle était bien ébranlée par tous les événements qui avaient eu lieu depuis son départ le 17 Mai ! J’avais donc été affecté à Saint LÔ; puis à JUVIGNY le TERTRE, puis à VALOGNES, enfin, fin Septembre, je fus provisoirement affecté à VILLERS-COTTERETS, (tout près de LONGPONT), en attendant de rejoindre MONTCORNET.
Petit à petit la famille retournait à LONGPONT.
Lettre adressée à Janine RENOUX, par sa mère Andrée RENOUX
Longpont le 21 août 1940
Ma petite Nine.
Je commençais à m’inquiéter, ta lettre est venue un peu me rassurer, puisqu’elle m’apprend les craintes du Docteur.
Il faut avant tout te tenir droite je pense que le Docteur t’a donné du fortifiant. Pour la radio, elle est dans le paquet adressé à Lucienne. Enfin à Paris, il y a des hôpitaux pour te faire radiographier si c’est nécessaire. Ta tante Marcelle saura ce qu’il faut faire d’après le docteur.
J’ai retrouvé les draps sales qui étaient au fond du jardin, tu te rappelles qu’il y avait eu une lessiveuse pleine. La lessiveuse a disparue mais le linge était resté coincé sous des bouts de bois. Il y avait du sang plein les vieux sacs ! C’était d’une puanteur, en dégageant j’ai vu ce linge moisi et piqué mais ça fait quand même des draps. Je n’ai plus de serviette de toilette, c’est ce qui me manque le plus. Je fais des torchons avec les vieux chiffons, car toutes les vieilleries de ta grand’mère sont restées dans la malle, dans une il y avait même ce que je pense ! Enfin !
Tout ce que vous pouvez m’acheter pour nettoyer, vous pouvez me l’acheter. Mais il ne faut pas venir maintenant, il est dangereux de voyager actuellement.
Je vous bise tous à la ronde et toi, ma petite Nine bien, bien, bien fort pour l’ennui que tu m’as donné !
Andrée RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (lettre de Saint Lô- Manche)
Jeudi 29 Août 1940
Ma petite Nine, mes chers tous
N’ayant pour l’instant que ce papier à ma disposition, j’en profite néanmoins pour ne pas différer à répondre à ta bonne petite lettre du 25. Je commençais à être inquiet et pensais que c’était encore un tour de ces messieurs qui voulaient me priver complètement de nouvelles de mes enfants, puisque déjà, les trois autres sont isolés de nous. Malgré cela, j’ai hâte de savoir ce que pense le docteur de tes différentes affections
Je voudrai naturellement qu’après un traitement sérieux et énergique tu puisses redevenir tout à fait bien portante et à jamais. Je remercie d’avance ta Tante Marcelle à ce sujet et lui donne absolument « carte blanche pour le dressage » quoique je suis absolument persuadé que tu lui évitera de se fatiguer à ce sujet, par une docilité remarquable et une obéissance entière.
Je m’excuse, ma petite Nine, de n’avoir pas songé à ta fête, Je songe par contre, depuis plusieurs jours que dans une quinzaine de jours tu vas avoir dix-huit ans. Cela me laisse souvent rêveur, si seulement je pouvais être là pour t’embrasser. J’étais content de voir ta petite photo et je n’ai pas froncé les sourcils en constatant certains détails. Tu sais bien que je peux être un papa moderne et que j’ai des enfants raisonnables. J’espère avoir du goût mais pas pour la peinture ! Aussi je ne vois pas d’inconvénient à ce que de temps en temps, tu soulignes légèrement de rouge ton petit bec sans abuser.
Je te remercie de penser à mon pull-over et t’indique les mesures, d’autre part, d’après celui qui me reste, compte tenu des modifications que j’y apporte ;
Je ne sais pas quand je repartirai. Mes collègues du Nord sont repartis Lundi, mais ils sont rattachés dorénavant à Bruxelles, et j’aime encore mieux attendre.
Merci à mon frangin de son petit mot, ainsi qu’à Mounette et mes petites Bichoutes, pour ce que vous faite pour ma petite Nine.
Et ma pauvre mémère qui a du se faire du mauvais sang avec tous ces évènements. Avait-elle des nouvelles de Lucette et des garçons ? Depuis plus d’un mois, je n’ai rien d’eux.
Je vous embrasse tous à la ronde comme de coutume.*Bien affectueusement.
Maurice RENOUX
400830 Lettre d’Andrée RENOUX à sa mère Marguerite HENAULT
Longpont le 30 Août 1940
Ma chère Maman
J’apprends par Janine que tu ses revenues à Colombes. Je pensais que tu avais eu des nouvelles de Lucette et des garçons puisque vous pouviez correspondre. Ecris moi vte ce que tu sais sur eux. Dès mon arrivée ici je t’avais envoyé une lettre, elle est revenue avec la mention « inadmis » Que deviennent ces pauvres petits, je me tourmente bien à leur sujet et compte sur toi pour me donner bien vite des nouvelles.
Je ne peux plus m’absenter d’ici car l’équipe actuelle de mes invités n’est pas la même que celle que j’avais au début. Il faut même que j’aie l’œil partout.
Vite ma petite mère écrit moi ! bien vite des nouvelles de mes trois exilés
Je vous embrasse bien fort tous et toi particulièrement
Andrée RENOUX
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille Janine
Longpont le 7 Septembre 1940
Ma petite Nine et tout le monde à COLOMBES (seine)
Je respire pour la santé de ma Ninette. Il faut qu’elle se tienne bien droite et ses poumons s’élargiront. Quand aux traces d’albumine cela m’ennuie un peu, j’ai toujours craint pour elle cette maladie à cause de ses chevilles enflées
Chaque lettre, Nine, me promet une photo et toujours rien, Petite tête folle !
Je comptais sur mémère Marguerite pour me donner des nouvelles des enfants, mais je vois qu’elle n’en sait pas plus long que moi…Pourtant la correspondance marchait en Franc … libre !
Quant à moi, je suis toujours en…….. Et du simple billet de logement, c’est passé au cantonnement !! Alors vous voyez ça d’ici.
Les fenêtres et les portes sont remises en place, on m’a même mis des vitres mais pas dans toutes les pièces car il y a pénurie de cette marchandise Le principal soit qu’il y ait plus de courant d’air
J’attends maintenant le courrier, ça c’est une autre affaire. Inutile de vous dire que c’est la croix et la bannière pour en trouver un de disponible. Si les fenêtres et les portes sont remises c’est parce que parmi les prisonniers français cantonnés dans les fermes, il y avait des menuisiers et moyennant 10 Fr. par jour payés par la commune on a pu à Longpont retaper les ouvertures. Malheureusement, je n’ai pu les avoir que 7 jours. Ces malheureux sont partis il y a quelques jours pour une destination inconnue.
Je vous quitte et vous embrasse tous bien affectueusement sans oublier la Grange Batelière. De grosses bises supplémentaires à ma Nine.
Ma petite Nine prends tu au sérieux ton travail de classe ?
Andrée RENOUX
Lettre d’Andrée RENOUX à son mari Maurice RENOUX
Longpont le 18 septembre 1940
Mon chéri ;
Comme je te l'ai promis hier, je vais te raconter l'histoire qui amuse tant mes "copains".
Je vais d'abord te les présenter.
Ils sont quatre et ne quittent pas souvent la maison, que pour aller à Soissons.
Il y a d'abord Ralph, c'est l'intellectuel de la bande/ et c'est celui qui tâchait, non pas d'excuser ses camarades, mais de m'empêcher de faire une réclamation en me racontant certains faits qui se passaient en 1920, lors de l'occupation française. (33ans)
Puis Adolf, c'est le rigolo, celui qui dit toujours des bêtises pour amuser la galerie. (32ans)
Vient ensuite Fritz, c'est le sentimental, il aime les fleurs. Coiffeur dans le civil et dans la vie militaire. Il coupe les cheveux toute la journée/, et est obligé de tenir une comptabilité en faisant signer ses clients, car il doit donner la moitié de ses gain aux officiers. C'est celui qui me bourre de bonbons, de gâteaux, de tomates.
Hier, il m'a donné des pêches. Il adore sa mère. Il a 27 ans.
Ensuite Hantz (27à 30 ans?) fils d'agriculteur, et lui-même dans cette partie. Il ne parle jamais que pour me dire bonjour et bon appétit.
C'est l'ordonnance des officiers de la maison Binart.
S'il n'y avait qu'eux, je ne me plaindrais pas, puisqu'il faut les accepter, arrangeons nous pour rendre la vie en commun sinon agréable mais Possible ... Mais il y a l'autre clan ... et quelle bande!
Voici l'histoire racontée par Adolf en montrant Fritz du doigt:
Fritz a deux femmes/ une C.R.R.R.ANDE, et une toute petite ... A cet endroit le conteur se hausse sur la pointe des pieds en levant le bras le plus haut possible, puis il se baisse le plus possible. Tu vois çà d'ici? Puis il monte sur une chaise et fait le geste d'entourer de ses bras une grande et grosse femme ... ensuite il se met à genoux et imite celui qui embrasse une toute petite femme.
Pendant ce temps Fritz, qui est bien aussi grand que Pierre Moquet (1,85 m) se plie en deux et se tord de rire, les autres en font autant.
Moi, la première fois que j'ai assisté à cette petite séance, j'ai souri par politesse et je pensais:"il n'en faut pas beaucoup pour les amuser!" Mais voilà bien 7 fois qu'il la raconte, je finis par rire d'avance et je pense cette fois "ils sont complètement mabouls".
Je te raconte tout cela pour te donner une idée de l'ambiance de notre intérieur à l'heure actuelle.
Dès le matin, au petit jour, je les entends cirer leurs bottes, puis en grande vitesse ils dégringolent l'escalier pour se rendre à l'exercice. On les entend compter, manoeuvrer sur place, puis ils défilent jusqu'à la comtesse au pas de l'oie et en chantant.
Cette petite comédie nous mène jusqu'à 9h. Je profite de ce laps de temps pour m'habiller manger et ouvrir le bureau.
Le soir à 8h (heure allemande) je suis souvent couchée de cette façon je n'use pas d'électricité. A ce propos, j'ai prévenu Dollé que je ne payais pas l'électricité tant que la maison serait occupée. Du reste je n'ai pas de lumière dans ma chambre/, la lampe et la monture sont cassées et si mes "invités" ont la lumière, c'est qu'ils l'ont fait réparer par l'un des leurs, électricien.
En parlant d'éclairage, il me faudrait bien une lampe électrique, mais d'ici, on ne peut rien acheter.
Ce matin, j'ai eu la visite de l'inspecteur des locaux, qui va, peut-être? Pouvoir me fournir des vitres, que je dois aller de sa part demander à la comtesse (la propriétaire) qui doit hâter les réparations. Jusqu'au poêle, qui est détérioré, mais nous n'avons pas d'ouvriers sous la main dans ce pays perdu.
Madame Ponsard m'a encore écrit, je lui ai donné plusieurs adresses, et elle est tellement contente que je m'occupe de lui trouver une piste, qu'elle m'embrasse. Pauvre petite femme, j'ai bien peu d'espoir pour ce pauvre gars. Il y en a qui ont écrit à Longpont de son logement, tu pense bien que s'il était vivant, il aurait donné de ses nouvelles à sa femme qu'il aimait beaucoup et à qui il écrivait tous les jours.
Je te quitte pour aujourd'hui et te fais mille caresses.
Dédée
Lettre d’Andrée RENOUX à son mari Maurice RENOUX
Longpont vendredi 20 septembre 40.
Minou chéri
Aujourd'hui, je suis un peu remise de ma joie d'hier et après réflexion je me demande comment il se fait que Lucette ne m’a pas écrit un petit mot? Peut-être disait-elle qu'elle était souffrante et que tu as préféré ne pas m'envoyer sa lettre?
Je ne fais que relire la lettre de notre Pierrot et suis heureuse d'avoir un enfant aussi prévenant. J'envoie ta lettre à Janine en la priant de me la rendre.
Avec mon" troupeau" je n'ai pas envie d'arranger la maison. "Ils" cassent et broient tout.
Maintenant qu'il fait froid "ils" s'installent le soir dans la cuisine près de la cuisinière il y en a toujours au moins trois ou quatre comme je l'ai dit à Mr Boquet hier c'est tout juste si je ne couche pas avec eux.
La nuit, je les entends "prouter" et ronfler et c'est à peine si j'ose faire mes petits besoins, car la cloison est bien mince.
Ils sont chez nous comme chez eux. Je ferme mon placard à clef, ainsi que la salle à manger. Qu'ont donc fait tous les hommes du village voisin pour être mis dans un camp de concentration? En tous cas ils n'ont pas l'air de vouloir s'en aller de sitôt et s'installent pour longtemps.
Si je crains des grenades dans la cheminée c'est que j'ai trouvé différentes choses dans le conduit jusqu'à une petite armoire de poupée qui appartenait à Lucette quand elle était jeune, des bouquins, des cahiers de Pierre et certainement qu'il y a autre chose car mon bras n'a pas pu descendre bien loin.
Tu devrais peut-être écrire personnellement à Mr Boulanger pour lui demander de venir à Villers - Cotteret remplacer celui qui est prisonnier. Cet homme là est charmant et en lui demandant son avis, il ne refusera pas de te donner un conseil pour obtenir satisfaction si la chose est possible.
Ecrit aussi à M. Hesteing pour lui demander son avis sur les enfants. Je te charge de cette corvée parce que tu tournes les lettres mieux que ta g ... de femme!
J'ai écrit à la Samaritaine pour lui demander de m'envoyer un catalogue pour la literie.
J'ai reçu une lettre aujourd'hui m'annonçant que ses stocks étaient épuisés et ne pouvant pas encore les renouveler elle regrettait de ne pouvoir donner suite à mon désir. Il faudra bien cependant avoir de quoi coucher cette progéniture?
Je m'arrête aujourd'hui et reprendra ma lettre demain après le courrier.
Samedi 21
Une lettre de Janine aujourd'hui que je te joins. Je lui réponds immédiatement, affirmativement car elle n'a pas de robe pour cet hiver.
Je te fais mille caresses affectueuses.
Ta petite Dédée
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille Janine
Longpont le Dimanche 21 septembre 1940
Ma petite Nine
Entendu pour ta robe Reçu hier par l’intermédiaire de ton papa une bonne lettre de notre Pierrot. Lis là, fais la lire et retournes la moi car j’y tiens. J’ai pleuré en la lisant. Remercie bien ta tante, ton oncle et ta mémère pour te gâter ainsi. Tu as du être heureuse qu’on te fête ton anniversaire.
Pauvres enfants, je voudrais bien vous avoir tous autour de moi ; mais je n’ai pas de matelas pour vous coucher J’en ai ramassé des vieux dans les champs, il y en a deux de grandes largeur, la laine une fous sèche et lavée sera bonne, mais il faut de la toile.
J’ai demandé à la Samaritaine de m’envoyer ses prix, elle m’a répondu hier, qu’elle n’avait plus de marchandise et qu’elle attendait la réouverture des fabriques, pour pouvoir faire éditer un catalogue.
Je te quitte. Je t’embrasse bien fort, bien fort ainsi que toute la maisonnée
Ta Maman.
Lettre d’Andrée RENOUX à sa fille Janine
Mardi 15 heures le 15/10/40
Ma chère Janine
Je t’écris à tout hasard peut-être seras tu partie de Colombes avec ton père. S’il est encore temps demande à Papa qu’il me rapporte
· Des bougies
· Huile de fie de morue
· Pâte Zébra acier pour la cuisinière
· Fil blanc en bobine grosseur moyenne
· Fil noir ---------- idem---------------------
Je n’irai certainement pas à Colombes le 18 mon congé n’étant pas encore accordé officieusement, je le prendrai maintenant sûrement pas ce mois ci, peut être au début de Novembre
Remercies bien ta tante pour moi et dis lui bien qu’elle peut disposer du vendredi.
Si j’avais su ne pas aller à Paris cette semaine, et l’arrivée de ton Papa, je t’aurai demandé de revenir à Longpont avec lui.
Pierre est malade depuis hier, il a eu de la fièvre, mal à la tête et mal aux jambes. Il est couché et j’espère bien que demain il ira mieux, dans le cas contraire je ferai venir le docteur.
Je vous embrasse tous bien fort
Andrée RENOUX
Les deux lettres suivantes ont été écrites plus tard en 1941 et 1942
Carte Postale envoyée par Mademoiselle Luce TOUX sanatorium P.T.T Montfaucon Lot à sa sœur Mademoiselle Janine RENOUX P.T .T Longpont Aisne
10 Août 1941
Ma petite Janine.
J’ai reçu les papiers de Vichy seulement aujourd’hui, je ne peux passer qu’avec un laissez passer aussi il me faudra attendre 1 mois encore environ. Comme mes bans sont publiés à Paris j’espère, rentrer plus vite quoiqu’il en soit je suis très cafardeuse net n’ai pas de chance, la préfecture du Lot se moque de moi, j’en ai l’impression car dans les autres départements tout va plus vite. Ce n’est jamais indiqué d rentrer à l’automne pour les changements de climat ! Mais de puis plus de ‘ mois j’attends et rien à faire, je t’assure que je prends quelques crises de rage. J’ai reçu une carte de Papa, il me dit qu’il n’y a plus de sel !!! J’ai quand même eu des nouvelles qui m’ont rendu heureuse ! Le fiancé de Geneviève AUDOIN, Mr LEROUQUIN va bien mieux, on pense le sauver depuis qu’un docteur oriental le soigne avec une nouvelle méthode. Je pense qu’il pourra marcher au printemps, c’est bien terrible d’être paralysé. Je n’écrirai pas à mémère car je lui en veux de ce qu’elle a dit à Poissy. Toujours trop bavarde aussi je ne lui raconterai plus mes affaires. Je t’embrasse très fort.
Luce
Lettre de Maurice RENOUX à sa fille Janine (1942)
Samedi 2Mai (1942)
Ma grande fille,
Je m’empresse de répondre à ta gentille lettre pour que tu puisse recevoir lundi la présente.
A mon avis tu pourrais faire transporter ton charbon par Bonheur porteur, à défaut d’occasion. Comment font les gens de ta maison ? Peut-être puais tu faire comme eux. Pour ta cuisine, il te faudrait acheter un faitout en aluminium et une casserole, 4 assiettes, et deux verres. Tu prendras les fourchettes et cuillères à la maison ainsi que deux couteaux dont u pliant etc.…..
Ce matin j’ai pu enfin recevoir ma valise et je me suis installé dans ma nouvelle chambre, mais je ne m’y plais pas, car je n’ai pas ce qu’il faut pour cuisiner. Je voudrais bien trouver autre chose mais en raison du nombre assez grand de maisons inhabitables, c’est très difficile. Pour le ravitaillement je crois que cela pourrait aller grâce aux tournées que nous faisons à l’extérieur. C’est le bois qui est le plus dur à trouver.
J’ai su que la région de Colombes avait été bombardée ces jours-ci, et je voudrais bien avoir des nouvelles, j’avais écrit à ton Oncle et j’ai Hâte qu’il me donne de bonnes nouvelles de tous.
J’écris aujourd’hui à Longpont, je compte sur une lettre Lundi Matin.
Aujourd’hui, il pleut …..dans mon cœur comme il pleut sur la route, et demain il est probable que ce sera pire. J’ai devant mes yeux les ruines de 5 ou 6 maisons et ce n’est pas fait pour m’égayer. Enfin, prenons patience.
Je t’embrasse bien fort et attendant de te lire.
Maurice RENOUX
Vas te renseigner pour les cars de Lavons à Soissons
1) Jours et heures dans les deux sens
2) Si le contrôle est fait régulièrement à la limite par les Allemands
3) Le prix Soissons Laon.
Préambule
Ce chapitre est la retranscription des mémoires de mon grand père à partir du 10 Mai 1940 croisées avec les lettres échangées par la famille après sa dispersion pendant l’exode. Avant de l’ouvrir je voudrais souligner l’importance, à mes yeux, de ces courriers, en particulier parce qu’ils relèvent « l’esprit de résistance» qui anime la famille dès le prélude de la défaite. La lettre du 13 Août 1940 en est le meilleur témoin, où, après avoir évoqué son excellente condition physique, Maurice ajoute « À ce train là, je serai tout en fait en forme le cas échéant pour seconder le Général de Gaulle. ». Qui connaissait le général de Gaulle en Août 1940 ? , Qui savait qu’il organisait la lutte contre l’occupant à partir de Londres ? Maurice RENOUX a faillit le rejoindre en Juin, dans une autre lettre, datée du 4 Août, il y fait allusion. Mais Maurice n’est pas le seul, Janine, sa fille, participe également à Paris, avec d’autres jeunes gens, à un acte d’opposition à l’occupation. « Tu as obéi à ta conscience et tu as bien fait. C’est notre religion à nous, elle en vaut bien d’autres. Quand à tes camarades tu les remercieras de ma part. Leur action ne me surprend pas, comme parisien, à leur âge, j’aurai agi comme eux, tu peux me croire » lui écrit son père le 21 juillet.
Quand à son épouse Andrée, ses lettres relatant « l’occupation » de sa maison, par des soldats allemands démontrent ses sentiments et son courage.
Les lettres échangées ont été écrites par Maurice et Andrée, à l’exception d’une émanant de Luce TOUX, et d’une autre de Marguerite HENAULT et de sa sœur Berthe GEORGET. Il est donc important de situer tous les membres de la famille avant de découvrir leurs correspondances.
Maurice RENOUX, né en 1887, engagé volontaire en 1915, a exercé divers métiers avant de devenir contrôleur des contributions indirectes, résistant, il participe à la libération de Soissons avant de s’engager dans l’armée régulière jusqu’à la fin de la guerre. Lieutenant, faisant fonction de commandant de compagnie, il sera fait chevalier de la légion d’honneur à titre militaire, rendu à la vie civile, il reprend son métier de contrôleur jusqu’à sa retraite en 1960, veuf, il se retire à VILLIERS dans l’INDRE dont il devint le maire, fonction dont il démissionne en 1975, pour raisons de santé, il rejoint ses fils en Ardèche, où il décède en 1983.
Andrée HENAULT épouse RENOUX, veuve en première noce de Julien TOUX, tué au front le 4 mai 1915, Ensemble ils ont eu une fille LUCE TOUX né en Juillet 1914, Remariée en 1921 avec Maurice RENOUX dont elle aura trois enfants, JANINE, PIERRE et CLAUDE, Receveuse des Postes, elle ne quittera son poste qu’au dernier moment devant l’avance Allemande, on peut dire d’elle, (comme de Maurice d’ailleurs), qu’elle n’a pas fuit, mais qu’elle s’est repliée sur ordre de son administration. Elle n’a pas cessé d’exercer sa profession, de repli en repli, pendant l’exode et après l’armistice. Décédée en 1960
Marguerite HENAULT, mère d’Andrée et sœur de BERTHE GEORGET chez qui elle trouve refuge pendant l’exode, ainsi que (pendant quelques jours) PIERRE et CLAUDE
Luce TOUX, se trouve en en soins au sanatorium de MONTFAUCON dans le LOT lors de l’offensive allemande, elle y accueille ses frères jusqu’à l’automne en compagnie de son fiancée, Gaston PREVOTAUX (décédé en 1998), Luce est la fille d’Andrée et de Julien TOUX , et la belle-fille de Maurice.
Janine RENOUX, fille d’Andrée et de Maurice, elle échappe de peu à la mort lors d’un bombardement à RENNES, mais se retrouve isolée de sa mère, qu’elle ne retrouvera que plusieurs semaines après, agent de liaison de la résistance. Militante pacifiste elle est blessée au métro CHARONNE en 1962, au cours de la répression de la manifestation anti-OAS. Elle exerce jusqu’à sa retraite la profession de standardiste d’une grande firme informatique (IBM) mariée à Louis CHEZE, sans enfant, elle décède en 1998.
Pierre Jules RENOUX, né en 1924, résistant actif dès la première heure, réfractaire et clandestin, il rejoint le maquis et participe au coté de son père à la libération de Soissons, engagé volontaire comme lui, il termine la guerre sur la poche de Saint NAZAIRE, militant communiste, il fait parti des « quatre d’AUBENAS » arrêtés en 1956 pour s’être opposé au départ d’un train de réserviste à destination de l’Algérie. Professeur d’éducation à AUBENAS où il vit après avoir pris sa retraite. (Croix de guerre)
Claude RENOUX, né en 1926, prend l’exode comme une partie de rigolade, traverse la France en vélo pour rejoindre avec PIERRE, leur sœur LUCE à MONTFAUCON, résistant au coté de son père et de son frère, il terminera la guerre avec eux à Saint NAZAIRE, infirmier des hôpitaux psychiatrique, il se retire avec son épouse à SALAVAS (07) jusqu’au décès de celle-ci. Vit désormais à RUOMS en Ardèche. (Croix de guerre)
Dans les courriers sont évoqués à plusieurs reprises EMILE RENOUX, frère de MAURICE, ainsi que Marcelle et Félix RENOUX demeurant à COLOMBE, Marcelle est la sœur d’Andrée, tandis que son mari Félix est le frère de MAURICE, les deux frères ayant épousés les deux sœurs.
10 MAI 1940, L’OFFENSIVE ALLEMANDE.
(Récit de Maurice RENOUX)
Le Vendredi 10 Mai 1940, à 5Hoo du matin, avec Dédée, nous sommes réveillés par une explosion lourde (qui fait trembler la maison), éloignée de dix kilomètres à vol d’oiseau. La sonnerie du téléphone retentit, c’est le chef de gare qui me demande de lui passer la gare de VILLERS-COTTERETS, le réseau SNCF ne répondant pas. Le chef de gare m’apprend que le passage à niveau a étébombardé, bloquant la ligne et la route de la FERTE-MILON. Je comprends que ce que je redoutais commence et que les Allemands passent àl’offensive!! Je ne me doutais pas de l’ampleur qu’elle allait prendre en quelques jours.
Peu après, la Radio annonce que la BELGIQUE et la HOLLANDE sont envahies. Le Gouvernement Français invite tous les fonctionnaires civils et militaires àrejoindre leur poste s’ils sont en congé. C’est mon cas, puisque j’étais àLONGPONT depuis le 4 Mai.; Je me prépare et prends le train de 13 h pour LAON-MONTCORNET. Je fais enregistrer mon vélo, mais je laisse ma cantine àla maison.
Andrée est toujours aussi courageuse, je suis civil, aussi elle est rassurée en ce qui me concerne. Elle ne se doute pas de ce qui l’attend!!!, on ne pouvait pas concevoir que les événements se dérouleraient avec une rapidité foudroyante.
Arrivé àLAON, j’apprends que la ligne est coupée par un bombardement à LIART. Nous descendons du train et passons la nuit à proximité des abris. Les appareils de chasse français patrouillaient continuellement.
En circulant, les jours suivants, je vis des morceaux de poutrelles et de wagons àtrois ou quatre kilomètres de la gare.
Rentré chez moi, je vis le receveur buraliste, remontant de la gare, assez inquiet sur la suite des événements. Le feu des wagons couvait et les explosions reprirent de plus belle jusqu’à 3 ou 4H00 du matin. Cette fois je m’étais réfugié avec les autres habitants de la maison dans la cave. Je sentais le mur vibrer àchaque explosion
Témoignage de Claude RENOUX
10 Mal 1940 vers 9 H du matin:
Nous sommes au collège de Soissons, nous sommes à l’étude, ce qui ne veut pas dire que nous étudions, en tous cas pas moi. Par extraordinaire, le pion qui surveille l’étude en général, et moi en particulier, semble m’avoir totalement oublié.
Il a trop a faire à parcourir la presse du matin: LA DRÔLE de GUERRE est terminée, La GUERRE pas DRÔLE vient de commencer. Les armées allemandes sont entrées en Belgique, en Hollande, au Luxembourg et en France. Des villes, des gares sont bombardées, des milliers de familles sont lâchées.
Sur les routes dans une pagaie infernale, les journaux parlent de guerre TOTALE, d’invasion. Je me revois quelques jours après à Longpont. Le Popeye arrive en vélo de Montcornet (45 Km) et nous crie “j’ai les boches au cul”.
Je regarde instinctivement dans la direction de Soissons a attendant à “ les voir “, je presque déçu, mais quand même rassuré de constater qu’en vélo mon père est plus rapide que les PANZERS.
Je dois préciser qu’à l’époque nous étions sérieusement intoxiqués par les communiqués. (Le communiqué, comme son nom l’indique, est une communication quotidienne de l’état major destiné à la population). L’héroïsme nous était servi à la louche, nous étions les plus fort, grâce à l’acier victorieux, la route du fer était coupée et si les allemands avançaient si vite les sots! , c’est que nos stratèges allaient les piéger vite fait. La grande stratégie de notre G.Q.G était absolument FABULEUSE. Nos troupes pratiquaient comme à la parade le REPLI ELASTIQUE sur des positions préparées à l’avance GENIAL! Popeye, avec sang froid et astuce, avait sur son vélo, attiré l’ennemi à sa poursuite pour que la tenaille se referme sur lui. Nos armées glorieuses n’auraient qu’à ramasser les prisonniers allemands coupés de leurs bases.
Bien fait! Mais je ne posais quand même la question: “ où va t’on les loger? “. Ils allaient eux mêmes résoudre le problème, mais n’anticipons pas.
DIMANCHE 12 MAI 1940, (Jour de PENTECOTE). (Maurice RENOUX)
Dans la matinée je voulus aller àla gare chercher mon vélo, mais on ne pouvait approcher, les risques étaient trop grands et inutiles.
LUNDI 13 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Étant retourné àla gare, j’aperçus mon vélo sur la voie près du quai, au milieu des wagons déchiquetés. Il avait la roue avant broyée, la selle et le guidon arrachés gisaient un peu plus loin. Je pris les restes et retournais chez moi. Je demandais àmon propriétaire si je pouvais prendre la roue d’un vieux vélo qui était dans un coin pour la remonter sur le mien. Je me mis au travail pour reconstituer mon seul moyen de locomotion. Car je n’avais plus la possibilité de rester là. Tous les gens qui possédaient une auto étaient déjà partis en majorité, quelques retardataires s’affairaient pour en faire autant. Les propriétaires de grosses fermes avaient aménagé remorques et tracteurs et installé des matelas et du matériel de cuisine, ainsi que vivres et bagages. Nous ne pouvions plus recevoir de courrier et le téléphone coupé tout le long de la ligne. J’allais voir mon Receveur et lui remis mes quittanciers après avoir arrêté mes comptes et versé l’argent àla caisse.
MARDI 14 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Nous assistons au défilé lamentable des réfugiés belges, ainsi que des douaniers de la frontière marchant àpieds. Rares étaient ceux qui avaient des vélos
L’EXODE (Maurice RENOUX)
Mercredi 15 MAI 1940
Toujours le même défilé, nous étions les rares fonctionnaires a être restés, mon chef ne paraissait pas vouloir prendre l’initiative de partir. Mon vélo était chargé. Dans l’après midi, je vais sur la place le long de la route, soudain, j’aperçois un détachement de soldats du P.M.A qui avait été cantonné à MONTCORNET, avant l’attaque. Ils marchaient en colonne par un, à cinq ou six pas de distance le long des murs, de chaque coté de la route. M’approchant d’un sous-officier, je lui demandais de quel coté ils se dirigeaient, il me répondit: “Nous nous replions sur MARLES, est-ce loin????”. Je lui répondis “dix-huit “ kilomètres!”. Cette fois-ci, .j’étais fixé, et bien décidé à retourner voir mon contrôleur- receveur, je lui dis, ”Je vous ai rendu mes comptes, êtes-vous au courant de ce qui se passe?” “Non je ne vois pas”. Je lui explique l’arrivée, plus exactement le passage de l’armée qui se repliait. Nous ne pouvions plus recevoir d’ordre de repli en ce qui nous concernait (puisque les communications étaient coupées). Il nous fallait prendre la décision nous mêmes. Il me répondit “Je suis de votre avis, nous ne pouvons pas rester là. En ce qui me concerne, je vais à la poste effectuer mon virement comptable et je vais rejoindre ma femme dans l’AUBE”.
Je lui fais mes adieux et je pars en vélo, il était environ l3Hoo. Je connaissais bien la route, je suis passé à CLERMONT-les-FERMES et je reconnus en passant des gens qui me firent un signal amical, mais ils avaient l’air anxieux. Puis, un peu plus loin, aux abords de BUEY-les-PIERREPON j‘aperçois des soldats qui courent et subitement s’arrêtent; ils mettent un fusil mitrailleur en batterie sur le bas coté de la route. Je suis tenté de me retourner, mais j’appuis un peu plus sur les pédales et je continue ma route de concert avec un couple de Belges, également à vélo. Je vois les avions allemands qui passent en direction de LAON, j’abandonne l’idée de passer à la Direction des Contributions Indirectes et je contourne la ville par le SUD, je croise un convoi de plusieurs canons anti-chars de 77 qui semblent sortir de l’usine. A l’entrée de SOISSONS, je vois un régiment d’Infanterie qui marche en direction de LAON. J’ai su plus tard que ces soldats allaient prendre position sur le canal de l’AISNE. Je traverse SOISSONS, puis à la sortie de la ville, je m’arrête dans un café pour casser la croûte, il doit être 2Ohoo. Je m’installe dans le jardin de ce café et je vois défilé d’innombrables réfugiés, l’un d’eux a un pansement à la tête, je lui demande s’il a eu un accident. ”Non me dit-il, ce sont les Allemands qui m’ont tiré dessus, alors que j’étais sur le pas de ma porte à ROZOY sur SERRE, les trois automitrailleuses allemandes ont débouché dans la rue principale et ont ouvert le feu aussitôt pour dégager la route, je fus éraflé par une balle et je suis entré aussitôt à l’intérieur, ma femme m’a fait un pansement sommaire. Nous sommes passés par une porte de derrière, où se trouve le garage, j’ai pris ma voiture qui était déjà prête pour le départ et sans plus attendre nous prîmes une route parallèle pour rejoindre la route de SOISSONS.”
Je connaissais bien ROSOY sur SERRE, puisque nous y allions en tournée au moins une fois par semaine. Peu après une femme passe près de moi, elle sortait du café, et je l’entends dire aux personnes qui étaient avec elle, ”Je ne peux plus retourner chez moi, je me suis trouvée nez à nez avec trois automitrailleuses allemandes”.
Cette fois, il n’y avait plus de doute, les Allemands avaient rompu le front. Sur ma route, je n’avais pas rencontré de renfort de troupes françaises qui allaient barrer la route aux Allemands. Je n’avais plus de temps à perdre, je repartis aussitôt et après quinze kilomètres très pénibles j’arrivais à LONGPONT, où tout était bien calme. Pas de lumière, je sonne et j’entends descendre ma femme et crier “Qui est là?”- ”C’est moi. Maurice”. Elle ouvre le vasistas et ensuite la porte en me disant, ”Mais pourquoi es-tu là?”, réponse brève, ”J’ai les hoches au cul”. Elle n’en croyait pas ses oreilles.
Là dessus, les enfants, qui ont entendu sonner et reconnu ma voix, descendent à leur tour et je dois raconter les événements. Ils ne savent pas du tout ce qui se passe, tout c’est passé dans le secret quasiment absolu, je leur dis de remonter se coucher, que nous devons tous nous reposer car nous ne savons pas ce que l’avenir nous réservera.
J’avais fait quatre-vingt dix kilomètres sur un vieux vélo et j’étais très fatigué. A partir du Jeudi 16 Mai 1940, je commençais à préparer le départ de notre petite famille et nos aventures à travers la FRANCE, sous les bombardements allaient commencer.
JEUDI 16 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Ma femme ouvre le bureau de poste, comme d’habitude, et raconte à ses deux facteurs ce que j’avais vu et entendu, donc mon retour auprès des miens. Mme MONQUET, propriétaire de la ferme de la Grange me téléphone; elle me demande si c’est exact que les Allemands sont à MONTCORNET, sur ma réponse positive, elle me dit, ”Mon fils ne s’était donc pas trompé”. En sortant, je me rends sur la place et j’aperçois le Maire qui marche sur moi en me criant “C’est honteux de faire courir des bruits semblables, vous mériteriez d’être arrêté”, j’étais stupéfait de cet accueil, et, en apercevant au loin des soldats venant de S0ISSONS, sans veste, montés sur des chevaux à peine sellés, et qui ont l’air ahuri et effrayé, je réponds au Maire, “Demandez Donc à ces gars-là, pourquoi ils sont ici, et vous verrez bien si j’ai menti” .Le Maire discuta avec ces soldats, cela a du être efficace car j’appris après que le Maire était parti avec sa femme dans la direction de VILLERS-COTTERETS !!!.
Dans la matinée, Mme DOLLE, (1a femme d’un facteur qui remplaçait son mari mobilisé), dit à ma femme ”La voiture de mon mari est au garage, mais elle est en panne, si M. RENOUX pouvait la remettre en état, elle pourrait nous être utile”. Après examen, je vis qu’en effet la cuve du carburateur fuyait. La vis de la bride qui retenait cette cuve en avait usé le fond et fait un trou. Je lui en fis part et lui demandais de regarder dans les anciens outils de son mari, (qui était plombier avant d’être facteur), s’il n’y aurait pas un fer à souder, du décapant, une baguette de soudure, elle me ramena ce que je demandais, et je me mis au travail. A cette époque, il existait encore des pièces de monnaie en bronze de cinq et dix centimes. Je pris une pièce de dix centimes, bien passée à la toile émeri, ainsi que le fond de la cuve, et je fis chauffer le fer à souder sur mon réchaud à gaz, et avec la soudure, je pus fixer la pièce au fond de la cuve. Après m’être assuré qu’il n’y avait plus de fuite, je fis un essai qui fut concluant, la voiture pouvait rouler. C’était une 10 CV RENAULT, en très bon état. Mme DOLLE, (DOLLÉ) fit une proposition à ma femme, ”Je ne sais pas conduire, si M. RENOUX veut bien, nous pourrions partir ensemble”. Ma femme lui répondit qu’en tant que Receveuse des Postes, elle ne pouvait pas partir sans ordre, en revanche, elle dit que je pouvais conduire la voiture en amenant les deux enfants DOLLE, leur maman et Janine. Mes deux gars, (Claude, 14 ans, et Pierre, 16 ans) partiraient en vélo. De plus, je ne pouvais pas rester à LONGPONT, il me fallait reprendre contact avec mon administration. Nous décidâmes de partir le lendemain, aussitôt après le repas de midi. Je fis une visite au train militaire qui était en gare depuis longtemps pour me faire soigner mon anthrax, (contracté le 5 Mai par une bestiole, piqûre dans le jardin). Cet anthrax devenait de plus en plus gros et me faisait sérieusement souffrir.
VENDREDI 17 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
J’avais organisé le départ ainsi: les deux garçons rouleraient en vélo devant la voiture, en éclaireurs, pour signaler les avions. Dans la voiture se trouveraient comme prévu: Mme DOLLE, ses deux enfants, Janine et moi-même qui conduirai. J’avais cru bon de ne pas utiliser les grandes routes surveillées par les avions, tout alla très bien jusqu’à NEUILLY Saint FRONT, où je voulais me rendre chez le Receveur pour savoir où pourrait être le Directeur des Contributions Indirectes?. Il me dit qu’il se trouvait à CHATEAU-THIERRY , mais qu’il devait rejoindre LAVAL, comme tous les autres fonctionnaires de l’AISNE. Dans ces conditions, je lui dis que j’irais directement à LAVAL, et je pris congé. Nous repartîmes en direction de Saint CYR sur MORIN, où nous arrêtâmes pour coucher. Auparavant, nous avions eu un moment d’émotions. Peu après NEUILLY Saint FRONT, nous descendions une petite route quand mes éclaireurs (Claude et Pierre) firent signe que des avions arrivaient dans notre direction. Je m’arrêtais aussitôt en disant à mes passagères d’aller se coucher dans le champ qui dominait et, reculant la voiture, je la mis derrière, contre le talus de la route. Comme j’étais, à ce moment là, presque face à l’autre talus, je vois devant moi, de l’autre coté, des grandes niches creusées dans le dit talus et bourrées de caisses d’obus de 75. C’était la réserve d’une batterie de D.C.A qui était à proximité, (Défense Contre Avions). Or, cette batterie n’a pas tiré un seul obus, alors que les avions venaient droit sur elle. Mes fils peuvent s’en souvenir, puisqu’ils étaient à coté d’elle!!!!!. Pourquoi????
REFLEXIONS. Plus tard, en fuyant à nouveau (Saint LÔ), un avion passa près d’un poste de Mitrailleurs Contre Avions. Même tactiques, les pièces ne tirèrent pas. Etait-ce une instruction précise de ne pas combattre???. C’est aussi, peut-être pour la même raison que le terrain d’aviation de CLERMONT les FERMES avait été rendu inutilisable. Comme c’est étrange. Un observateur comme moi ne peut s’empêcher de conclure. Aussi, je n’ai pas été surpris d’apprendre quelques jours plus tard que le Gouvernement du Maréchal PETAIN, demandait l’Armistice, lui qui était président du Conseil Supérieur de la Défense Nationale, avait été contre le prolongement de la ligne MAGINOT jusqu’à la mer. Pour lui, le fait qu’il y ait la forêt des ARDENNES lui paraissait un obstacle infranchissable. On a vu !!!.!!
Revenons au Vendredi 17 Mai 1940. Nous étions donc en face d’une réserve d’obus de 75 de D.C.A, il était trop tard pour changer de place. Je n’eus que le temps de quitter la voiture et de me jeter à terre, les bombes pleuvaient! Les avions continuèrent sur CHATEAU-THIERRY. Je reviens à la voiture et la mis sur la route sans attendre mes voyageuses, je partis rejoindre mes deux fils, en leur expliquant que pour nous, la voiture était notre seule planche de salut pour nous rendre à LAVAL le plus rapidement. J’aperçus Mme DOLLE et ses enfants, mais je ne voyais pas Janine. Mme DOLLE l’appelle. Heureusement, Janine se mit debout et courut vers nous, elle avait été plus loin que les autres et avait vu tomber les bombes, elle n’avait pas perdu de vue les avions et se couchait au moment précis. Cette peur passée, nous repartîmes et traversâmes Saint CYR sur MORIN à la nuit tombante. Il y avait une unité de transport cantonnée dans le pays et le seul hôtel n’avait que deux chambres à nous offrir. Mme DOLLE en prit une avec ses enfants. Pierre et Janine couchèrent sur des coussins dans la chambre qui restait libre, laissant le lit pour Claude et moi. Nous avions besoin de repos mais les batteries de D.C.A firent leur travail. Elles protégeaient le Grand Quartier Général, installé à la FERTE sous JOUARRE. La maison tremblait et nous ne pouvions pas dormir. Claude, qui avait donc quatorze ans, se retournait souvent et me cognait l’épaule, ce qui correspondait à mon anthrax. Enfin, au matin, nous repartions après avoir pris un petit déjeuner, en direction de LAVAL
Contribution de Claude RENOUX (14 ans à l’époque)
J’étais à l’époque grassement nourri de littérature ne figurant pas au programme; à 14 ans, on préfère d’ Artagnan à Rodrigue; entre deux traîneurs de sabre, je préférais celui qui ne parlait pas en alexandrin: question de goût. Ce qui ne devait être que provisoire d’ailleurs le Poupou, (que Je ne connaissais pas), ne m’avait pas encore présenté Cyrano de Bergerac, que je connaissais de réputation, mais sans plus.
Pour le présent, c’est à dire mi-mai 1940, je m’identifiais à Raoul, vicomte de Bragelonne, et j’avais fait de mon père un grand CONDE tout à fait présentable, sauf que le grand Condé ne montait pas à bicyclette tandis que le Popeye avait fait ses début au 26èmè B.C.P, compagnie cycliste.
Mes 14 ans étaient frustrés. Ca allait trop vite! Jamais Je n’aurais le temps d’intervenir - croyais Je! Mais l’essentiel est de participer. Et pour participer... on y a participé à la défense élastique!
Nous en tûmes, Pierre et moi, le centre, le noyau dur, la cible mobile, le leurre. Et quand c’est LEURRE! Nous avons attiré les hardes barbares, successivement sur l’Ourcq, la Marne, la Seine, la Mayenne et la Loire avant d’atterrir, vidés, exténués et la langue pendante à Montfaucon du Lot. Ah, on leur en a fait voir du pays, mais ils nous en ont fait voir bien davantage, car chaque fois que nous arrivions à une ligne de résistance soigneusement préparée à l’avance par le G.Q.G. VLAN! “ Ils” arrivaient sur nos talons.
Tels l’héroïque Popeye, nous avions “ les boches au cul. Nous étions heureusement d’excellents cyclistes. Etant les moins forts nous nous devions d’être les plus rapides. Cette promenade de santé, ce parfum d’aventure et la découverte chaque jour d’un nouvel horizon; c’était vraiment trop beau. Admirateurs de Viétto, d’ Antonin Magne autant que de d’Artagnan et les 3 boys scouts ‘-Conscients de faire partie d’un grand peuple - (fallait voir le monde qui nous accompagnait) nous ôtions libres comme l’air, maîtres de nos destinées et fier comme Artaban. Et tout ça au milieu d’une pagaïe monumentale, sans le moindre BISON FUTE pour y mettre un peu d’ordre.
Nous ne savions pas encore que nous étions les précurseurs de ces migrations annuelles qui Jetteraient des millions d’Européens sur ces mêmes routes, cap sur le sud, à partir des années 50. Les intellos appellent ça 1’ instinct grégaire avec une certaine teinte de mépris qui ne les empêchent pas de faire partie du troupeau. A propos de troupeau, revenons à nos moutons.
Le Popeye nous a conté notre baptême du feu à Neuilly Saint Front. J’ y reviens. Lorsque les premières bombes ont commencé à tomber, je trouvais cela extrêmement excitant, spectaculaire, captivant. Je vivais enfin la guerre, POUR DE VRAI! Mieux; je la faisais, je pourrais comme le Popeye la raconter à mes descendants. Oui, mes petits, ces bons dieux de Boches m’avaient visé et manqué. Je ne doutais pas, en ma naïve candeur que nous constituions un objectif militaire de première importance -le noyau central de la défense élastique. Depuis quelques temps de menues branchettes me tombaient sur la tête, coupées nettes. Je n’y attachais aucun intérêt dans mon exaltation. Mon cerveau, dans les grandes circonstances, fonctionne toujours avec une certaine lenteur, que j’attribuais, à l’époque à un très flatteur mépris du danger. Cerveau.., lent . .. . mais. . . ces branchettes étaient coupées “ net “ ... Nom de. bleu! Mais c’est bien sûr, LES ECLATS DE BOMBES! Et tout ça à quelques centimètres de ma pauvre tête! Je fus pris subitement d’un amour sans pareil pour la terre nourricière, et je ne jurerais pas que l’empreinte de mon visage n’y soit pas encore imprimée. Je réalisais enfin que ça n’était pas du cinéma, d’autant que j’entendais mon cher Popeye qui HURLAIT
“Nom de Dieu, on est sur un dépôt de munitions, c’est ça qu’ils visent!”
Enfin lucide, je sentis monter en moi un brutal flux de quelque chose que je sus plus tard être de l’adrénaline, faute de connaître la chose, j’employais le mot trouille, tout simplement. Heureusement, les pilotes nazis n’ayant pas remarqué ma faiblesse passagère, partirent chercher ailleurs, d’autres victimes innocentes. N’écoutant que son courage, notre petite troupe se rua vers le Sud. L’amour sacré de la Patrie ne conduisant plus nos bras vengeurs, il fallut chercher à l’étage du dessous le soutien de nos mollets.
Qui répondirent PRESENTS! Nous avons dû faire, Pierre et moi, une sacrée moyenne ce jour là! Il me semble même que la voiture avait du mal à nous suivre. Il est vrai qu’elle était en surcharge et que le Popeye ne conduisait que d’un bras, l’autre étant réduit à l’impuissance par un anthrax passé sournoisement à l’ennemi. A l’étape se situe l’épisode de Morin. Je ne puis rien en dire, sinon que pendant des années j’ai entendu le récit de cette nuit d’épouvante. Moi, je me souviens simplement m’être écroulé sur le billard du bistrot - mort de fatigue au point d’oublier de ne sustenter. (Je n’ai su que plus tard que j’avais dormi avec le Popeye). Profitait de mon sommeil la FRANGE s’écroulait, son armée victime d’une erreur d’orientation partait courageusement à l’assaut de la Méditerranée et des Pyrénées.
Et toujours je dormais Il est probable que j’ai dû continuer à dormir debout, puis assis jusqu’à Pithiviers. Car pour permettre sans doute à la voiture d’aller aussi vite que les vélos, le Popeye avait eu l’ingénieuse idée de fixer ceux ci sur le toit de celle là. Cette surcharge conséquente fut acceptée sans trop de mauvaise humeur par la 10 CV Renault qui y trouvait son compte sur le plan de l’amour propre. Pithiviers nous laissa le souvenir de son pâté d’alouette et de sa recette bien connue: mélange de viande de cheval et d’alouette, moitié moitié, un cheval- une alouette. La même recette a été appliquée depuis au Centralisme Démocratique. Question à 10 Frs: qui fait le cheval?
SAMEDI 18 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
En passant à PITHIVIERS, je me fis soigner à l’hôpital. Janine était venue m’accompagner, mes autres compagnons étaient restés à proximité de l’hôpital avec la voiture. Le Docteur regarda et, sans me prévenir, pressa l’anthrax entre deux compresses. Je poussais un cri terrible et je m’évanouis, quand Janine entendit mon cri, elle fut toute bouleversée mais heureusement je revenais à moi. Je crois que nous avons couché à PITHIVIERS, mais je n’en suis pas certain.
DIMANCHE 19 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
Nous démontâmes les vélos, pour aller plus vite, et les casèrent tant bien que mal sur le toit, ceci pour que Claude et Pierre puissent prendre place à l’intérieur, (Nous étions huit dans la voiture, trois devant et cinq derrière!!!). Nous arrivâmes dans la soirée et nous avons pu être logé provisoirement.
LUNDI 20 MAI 1940. (Maurice RENOUX)
M’étant renseigné sur l’endroit où se trouvait la Direction des Contributions Indirectes, je me suis présenté au Directeur dans la matinée. Il était arrivé la veille avec une partie du personnel de la Direction. On me demanda des nouvelles de MONTCORNET et je dis ce que je savais et comment j’étais parti un peu avant l’arrivée des Allemands.
J’obtins du Directeur de rester quelques jours à LAVAL, en attendant une affectation pour me faire soigner sérieusement de mon anthrax et, surtout, pour obtenir si possible des nouvelles de ma femme.
J’étais allé à la Direction des P.T.T demander si elle était arrivée et donner mon adresse au cas où elle aurait pu rejoindre LAVAL. J’avais également télégraphié à COLOMBES, à mon frère Félix, pour qu’il soit au courant et éventuellement renseigner l’un ou l’autre.
Je sus donc, par Félix, que ma femme était passée à COLOMBES et était en route pour LAVAL. En effet, elle nous rejoignit et nous raconta ce qui s’était passé après notre départ.
L’évacuation, 1er acte: (Récit de Pierre Jules RENOUX, 16 ans à l’époque)
Le vendredi 17 mai, la femme du facteur Marcel Dolle qui est aux armées, demande à mon père qui doit rejoindre Laval dans la Mayenne, de conduire sa voiture pour évacuer sa famille vers le sud. Tout le monde embarque : madame Dolle, ses deux enfants, mon père bien sûr et ma soeur Janine. Mon frère Claude et moi suivons en vélo. Seule ma mère reste à son poste au bureau des PTT de Longpont. Elle ne partira que dans les tous derniers jours de mai après qu’une bombe, tombée sur la route à 15 mètres de la maison, ait fait voler en éclats portes et fenêtres. C’est un officier d’une unité de cavalerie qui lui dit : “Mais, madame, il faut partir. Vous ne recevrez de vos supérieurs à Laon aucune directive. Il y a longtemps que tout le monde a foutu le camp.”
Elle part sur une auto mitrailleuse jusqu’à Meaux où elle peut prendre le train pour rejoindre Laval, où nous sommes arrivés le 20 Mai.
A Pithiviers, Madame Dolle a retrouvé son mari. Nous quittons donc la famille Dolle, et c’est par le train, après de multiples changements et péripéties diverses, que nous arrivons dans le chef-lieu de la Mayenne, point de regroupement des fonctionnaires de l’Aisne, toutes administrations confondues. Nous avons trouvé à nous loger à St Berthevin les Laval. Mon frère et moi avons du boulot dans une ferme : on coupe, on met en bottes, et on rentre le foin. Ce n’est pas le bagne, loin s’en faut : travail 2 heures, collation, travail, collation etc. A ce rythme, on attrape peut-être des ampoules, mais on se fait surtout du lard. On en oublie presque la guerre, mais elle ne va pas tarder à nous rattraper.
RETROUVAILLES et Nouvelles Séparation (Maurice RENOUX)
Le Vendredi 17 Mai 194O, après notre départ, Andrée été donc restée à son poste à LONGPONT. Alors qu’il y avait une cliente au guichet, les avions lâchèrent des bombes sur le pays, Dédée et sa cliente se précipitèrent à la cave, une deuxième bombe, puis une troisième éclatèrent de plus en plus près, (Dédée pensait “La quatrième sera pour nous!!!), en effet, cette bombe tomba sur le mur en face de la Poste, de l’autre coté de la route, envoyant une bonne partie des pierres du mur sur la route et fracassant par la déflagration les carreaux, portes et fenêtres de la Poste. Remontant, tout éperdue, Andrée se rendit compte qu’elle ne pouvait plus rester là et se risqua sur la route. Bien lui en pris, elle vit un camion militaire arrêté, dont les hommes déblayaient la route pour se frayer un passage. Elle s’adressa au sous-officier et lui demanda s’il pouvait l’amener, ”Vous êtes la receveuse?”, lui demanda-t-il, “Où sont vos bagages? vous n’avez rien oublié?, votre comptabilité, vos valeurs, les timbres, le timbre à date?”- ”J’ai tout cela dans mes sept sacs qui sont là. Vous avez l’air de bien connaître le service postal”. -"Oui Madame, mon père était Receveur en 1914, et, il s’est trouvé dans les mêmes conditions que vous aujourd’hui. Vous comprenez pourquoi je suis heureux de pouvoir vous être utile.
Après avoir chargé les sacs, ils partirent vers la FERTE-MILON, où se trouvait un bureau de poste. Le receveur dit, "Je ne peux rien prendre, car moi-même, je pars tout de suite, je vous conseille d’aller à MEAUX, c’est un grand bureau de Poste, il doit y avoir du monde”. De retour au camion, elle expliqua ce qu’elle venait d’entendre. Le sous-officier la fit remonter et lui dit “Nous allons nous rendre au poste de Commandement du Régiment de Chars qui est à LIZY Sous OURQ. Nous vous hébergerons et nous vous ferons dîner; Demain, il y aura certainement une corvée pour aller à MEAUX et l’on vous emmènera”.
Présentée aux officiers, Andrée fut très bien accueillie, elle raconta son histoire, et dit qu’elle avait hâte de revoir sa famille. Le Samedi 18, elle fut conduite à MEAUX, libérée de ses sacs postaux, elle prit le train pour PARIS et COLOMBES. Elle arriva chez sa mère et sa sœur. Tous furent étonnés d’apprendre que les Allemands étaient dans 1’AISNE et peut-être à SOISSONS. Elle passa le Dimanche 19 avec eux, et le Lundi 20, elle nous rejoignit à LAVAL. Andrée est enfin avec nous.
Mais nous n’étions pas au bout de nos peines; Andrée fut affectée au bureau de Saint BERTHEVIN-les-LAVAL, à une dizaine de kilomètres avec Mme DOLLE, par la Direction des P.T.T. Elle trouva à loger tout le monde et je pus, quelques jours vivre avec eux.
A mon tour, je fus affecté à la Direction de Saint LÔ (MANCHE). J’avais été placé à la brigade de surveillance et mon chef de service, M. PETANGUE m’avait trouvé une chambre quelques jours après, dans la même maison que lui. J’y étais très bien. Avec mon nouveau chef, nous parcourions la partie NORD du COTENTIN, uniquement pour des surveillances d’alambics ou des affaires de contentieux. Nous étions bien au courant des événements par la Radio et nous suivions la marche des envahisseurs. Quand les Allemands eurent atteint PARIS, nous pensions bien qu’ils ne s’arrêteraient pas là. J’envisageais un nouveau repli, mon chef aussi. Une chose me tracassait, c’était de risquer de ne plus avoir de nouvelle des miens et de me trouver sans argent. Fort heureusement, le Syndicat avait obtenu que les Directions d’origine établissent une fiche de renseignements pour chaque employé afin de pouvoir percevoir leur traitement.
L’évacuation, 2ème acte: (Pierre Jules RENOUX)
On arrive à la mi-juin. La famille, à peine rassemblée va se disloquer. Mon père part dans la Manche rejoindre la Direction Départementale des C.I. Mon frère Claude et moi partons en vélo pour le Lot; ma soeur aînée est dans un sana des PTT à Montfaucon du Lot.
Pour ma mère et ma soeur Janine, l’évacuation tourne au drame, à la limite de l’épouvante. Après notre départ, elles quittent Laval par le train le 16 ou le 17 juin en direction de Nantes. A Rennes, les trains de réfugiés, de militaires, de munitions sont bombardés par la Luftwaffe : un carnage ! Plusieurs milliers de morts... Ma mère et ma soeur ont sauté du train. Dans l'affolement général, elles sont séparées et se perdent de vue. Ma mère, pendant 3 jours, va faire les hôpitaux et les morgues pour retrouver Janine, en vain... Vers le 14 Juillet, elle saura enfin que ma soeur a été récupérée par de braves gens qui l’ont emmenée et hébergée à Vannes
DIRECTION SUD-EST: Saint LÔ, POITIERS, .BORDEAUX. (Maurice RENOUX)
Nous partîmes, M. PETANGUE ayant un beau-frère à BORDEAUX, nous comptions donc s’y arrêter. Vers midi, brusquement, nous vîmes de la vapeur s’échapper du radiateur, la durit était crevée, je m’offris de démonter cette durit et d’aller au garage le plus proche pour en chercher une autre. Je partis à pieds, le personnel du garage était allé déjeuner, j’attendis leur retour pour repartir aussitôt servi. En traversant le passage à niveau, (j’étais au beau milieu des voies), quand j’aperçus un avion qui volait en rase motte. Je n’ai eu que le temps de me coucher, mais il ne tira pas sur la gare. J’appris plus tard, qu’il était allé reconnaître l’important embranchement de FOLLIGNY (MANCHE). Peu après, en effet nous entendîmes des explosions, c’était une escadrille qui bombardait cet objectif, (il y avait des cratères énormes de cinquante mètres de diamètre). Les locomotives étaient réduites à la verticale; Je rejoignis la voiture et effectuais la réparation. Nous repartîmes et nous avons croisé une unité de chars anglais retournant s’embarquer à CHERBOURG. Les Anglais nous faisaient des signes indiquant que leur moral était très bas. Mon collègue accepta de faire un détour pour passer à Saint BERTHEMIN rassurer ma femme. Nous apprîmes que la famille était partie!!!.
LA FAMILLE EST À NOUVEAU DISPERSEE. (Maurice RENOUX)
Mes fils, Pierre et Claude, étaient partis à vélo, envoyés par leur mère à VILLIERS (Chez la Tante BERTHE). Ils devaient par la suite, aller à MONTFAUCON, dans le LOT, le cas échéant; Leur soeur aînée, Lucette, étant, dans cette ville, dans une maison de convalescence. Quant à ma femme et à Janine, ainsi que les autres P.T.T de l’AISNE, elles avaient un ordre de mission pour rejoindre ANGOULEME par RENNES et NANTES.
Quant à nous, nous partîmes en direction de POITIERS, où nous arrivâmes à la nuit tombante. Je ne me souviens pas comment nous fûmes hébergés. Au restaurant, un officier, qui était en face de moi, me dit “Je viens de téléphoner à ma femme pour qu’elle retourne à la maison, sans perdre de temps, les Allemands vont être dans tout le pays avant peu, il est préférable qu’elle soit chez elle que réfugiée on se sait où!!”
Nous quittâmes POITIERS le 19 Juin 194O, nous venions d’apprendre que l’armistice était signé. A BORDEAUX cela nous fut confirmé, et en même temps, on nous apprenait qu’il était interdit de quitter la ville. Nous nous présentâmes à la Direction des Contributions Indirectes. Nous n’avions aucune affectation, mais nous devions passer tous les jours prendre des ordres.
Récit de Claude RENOUX
Les allemands ayant enfin retrouvé le noyau dur de notre défense élastique, nous allions à nouveau devoir leur faire voir notre roue arrière, et nous replier sur des positions préparées à l’avance: A savoir Villiers (Indre).
J’ai en mémoire une longue, longue ligne droite, interminable située du côté de LA FLÊCHE, siège du prytanée militaire, où notre arrière grand père officier du génie, sinon de génie, avait été professeur de topographie: Charles BUISNEAU, né à la Flèche, était donc le père de notre grand mère paternelle. Sa photographie en grand uniforme au col brodé de feuilles de chêne, fourragère, aiguillette et tuti quanti, décorait la chambre de ma grand mère Louise, et dite “Manzette “. J’ajoute qu’avec sa moustache avantageuse et sa royale notre arrière grand-père avait fière allure. Je disais donc que cette route de La Flêche me laisse un souvenir pénible. J’avais faim, j’avais soif, j’étais fourbu, j’étais crevé, je souhaitais de tout coeur que l’un de nos pneus soit également crevé. Mais rien à faire, la maison Michelin était à la hauteur de sa réputation. (C’était d’ailleurs, je me souviens, des pneus Wolber fabriqués à Soissons). Pierre était intraitable, il nous fallait passer la boire ce soir, on se reposerait après....
ET Il AVAIT RAISON!
Car lendemain matin, les intrépides aviateurs italiens faisaient leur peu glorieuse entrée dans la guerre en bombardant les ponts de la Loire, faisant des milliers de victimes parmi les réfugiés civils bloqués sur ces mêmes ponts. Ces ponts que nous avions franchis la veille au soir. Médédée qu’on n’appelait pas encore comme ça, nous avait confié une lettre à remettre à la première receveuse des P.T.T. que nous trouverions si nous étions dans le besoin. Pierre portait sur son sein cette lettre comme on porte le Saint Sacrement. Moi, je faisais de ce précieux document, quelque chose comme la lettre que Monsieur d’Artagnan père donna à son fils pour Monsieur de Tréville, (lettre qui lui fut dérobée par l’infâme comte de Rochefort à Meung sur Loire). Plus heureux que d’Artagnan nous disposions de notre blanc-seing, et pûmes le présenter à la receveuse de Langeais (ou Bléré, ce qui est sûr c’est que c’était sur la rive gauche de la Loire et qu’il y avait un château.) Ce blanc-seing, moite de la transpiration de Pierre, communiqua son humidité aux yeux de cette brave femme. Laquelle nous reçut à bras ouverts, je dirais même à draps ouverts, car le lit me parût extrêmement confortable, après son pot au feu particulièrement succulent. Aux aurores le lendemain, frais comme des gardons, après avoir fait nos adieux à notre bonne hôtesse, et avoir été affectueusement pressés sur sa généreuse poitrine, nous prenions la direction de Villiers.
OBJECTIF: TANTE BERTHE, soeur de notre grand père maternel (que nous n’avions pas connu).
A notre arrivée, Tante Berthe, après les embrassades d’usage, nous attira dans un coin pour nous glisser dans l’oreille: “ méfiez vous, ici il y a le péril rouge.
Direction Limoges (Claude RENOUX)
J’avais aux pieds depuis Soissons une paire d’espadrilles dont la semelle de corde très épaisse était enrobée dans du caoutchouc. Les chaussures c’est fait pour marcher, d’accord, mais quand on fait du vélo ça peut également servir â autre chose.
La preuve: Je n’avais plus de freins, ni à l’avant, ni à l’arrière. Les patins en étalent archi usés, et les marchands de cycle (enfin, ceux qui n’étaient pas encore partis) avaient épuisé leurs stocks. Pensez: avec le monde qu’il y avait sur les routes! Pierre, garçon plein de ressources, et doté d’une ingéniosité à toutes épreuves, trouva la solution: supprimer les garde-boue et freiner avec le pied . . . pas plus! Et nous repartîmes dans la cohue. Le flot des véhicules civils était sans cesse grossi par des convois militaires à la recherche de leurs officiers partis les attendre à la frontière espagnole. On sait que le rôle des chefs est d’être à l’avant de la troupe. Préfiguration de la future Europe, on voyait pas mal de Belges, de Hollandais, de Luxembourgeois, de Français bien entendu. Manquaient que les Allemands, mais patience, ils n‘étalent pas loin derrière. Pierre et moi, sur nos bicyclettes allégées (déjà!) nous faufilions au milieu de ce flux migratoire, profitant dans les côtes des engins motorisés pour nous faire tirer. J’ai souvenance d’avoir fait quelques kilomètres accroché à un énorme volant, situé sur le côté droit d’un phare de la D.C.A autoportée
Il me revient comme une obsession les noms de certaines bourgades traversées: Le Blanc, Le Dorat, La Trimouille. Ah, La Trimouille! En plus des nombreuses rimes riches que je lui trouvais, me remontaient des réminiscences littéraires. Alexandre Dumas, bien sûr. Avec l’omniprésent d’Artagnan, et l’un de ses plus fameux affrontements avec les gardes du cardinal. “ L’hôtel de la Trimouille ‘.Nous mangions comme nous pouvions, nous avons même pris une fois un vrai repas au restaurant. Je crois que c’était à Uzerches. Pour la première fois de ma vie j ‘ai vu à la table voisine un homme faire chabrot. C’était un plâtrier, je me souviens avoir trouvé cela absolument dégueulasse! J’ai changé d’avis depuis.
Nous dormions à la belle étoile ou dans des granges. Il m’est même arrivé de me laver. Pierre avait du probablement insister. Moi, j’avais perdu le goût du luxe! On s’habitue à tout, et finalement avec le recul du temps, il n’arrive de m’avouer que cette équipée constitue un de mes meilleurs souvenirs.
Et pourtant! Comme beaucoup de choses en ce bas monde, mes super espadrilles aux semelles enrobées étaient condamnées à l’usure d’abord, au trépas ensuite. J’en devais accélérer le processus par un usage intensif dans une fonction contre nature que n’avait pas prévu le fabricant. Certes, j ‘essayais de les ménager en alternant pied droit, pied gauche; freinage avant, freinage arrière; afin d’en répartir l’usure aussi équitablement que possible. Mais les meilleurs serviteurs finissent toujours par devenir susceptibles. Mes escarpins commencèrent à se négliger, leurs semelles prirent de plus en plus de concavité. Ce qui les faisait ressembler à de vieilles tuiles romanes. Elles décidèrent de se venger cruellement des mauvais traitements que je leur infligeais.
Nous venions d’arriver à Limoges. Je suivais Pierre naturellement. C’était mon éclaireur, mon phare, mon guide, ma balise Argos et surtout le porteur du ravitaillement. Le soleil étant au zénith, mon estomac marquait midi. Nous abordions une avenue ombragée, bien droite, pavée et partagée par une ligne de tramway. Une déclivité sympathique nous indiquait la place de la gare - ouf, on allait pouvoir souffler un peu. Pierrot étant trop loin devant, je me proposais de le rattraper vite fait, bien fait, en trois vigoureux coups de pédales. L’essentiel étant de ne pas le perdre de vue. Mon regard fixé, non sur la ligne bleue des Vosges, mais sur sa coupe de cheveux dite “ à la bressan “; j’oubliais de regarder le sol et les rails du tramway profitèrent traîtreusement de mon inattention pour bloquer une roue avant. La critique est facile, mais l’arrêt difficile.... L’arrêt fut instantané. Le vélo immobilisé je continuais ma route sans lui, selon la Loi de l’inertie, décrivant une gracieuse parabole, qui, n’ayant rien de biblique, me déposa sur le pavé avec une inconcevable brutalité. Plutôt sonné, et contusionné, honteux et confus, jurant mais un peu tard qu’on ne m’y prendrait plus.
On allait pourtant m’y reprendre, et pas plus tard que tout de suite. Je redressais ma roue avant sous le regard indifférent de la plupart des témoins, vérifiais si mes bagages étaient bien arrimés, particulièrement le précieux pantalon de l’école navale. Et je sautais en voltige sur mon fringant coursier. Fantaisie parfaitement inutile puisque il s’agissait d’un vélo femelle. Mais je tenais à faire mon petit effet sur deux pisseuses de mon âge qui me regardaient, pensais-je, avec un certain intérêt. Mon petit effet tomba complètement à plat, comme moi cinq minutes plus tôt. J’en fus d’autant plus mortifié que ces deux garces s’étranglaient de rire! Je rengainais cette blessure d’amour propre au plus profond de ma vésiculaire biliaire, et maître de ma destinée j’examinais la suite. La suite n’était pas spécialement réjouissante; la déclivité de la pente s’était accentuée et la cohue indescriptible. La Loi de la pesanteur me propulsait à une allure vertigineuse vers la place de la gare.
Tentative de freinage contrôlé à coup de semelle. Brûlure fulgurante: c’est ma plante du pied droit qui vient de suppléer à la défaillance de mon espadrille dont la base vient de rendre l’âme. Brutalement mon pied se relève sans ma permission. Il vient de proclamer son indépendance! Et la vitesse qui me gagne......... Je me sens catapulté vers la place. Au beau milieu de laquelle trône un énorme représentant de l’autorité, solidement campé sur ses deux jambes écartées. Il me tourne le dos (l’imprudent !), occupé qu’il est à renseigner un petit jeune homme en qui je reconnais mon frère Ma décision est prise: j’estime l’adiposité du gardien de la paix plus confortable que le crépi du mur d’en face, et je baisse la tête...
Patatras! Boum! Aie! Qu’est ce que c’est? Mon bibendum en képi proteste, vitupère, invective, insulte, et vous savez qui? Je vous le donne en mille! Moi, oui moi! Alors que je ne lui ai encore rien dit! Un caractériel probablement! Mais à la guerre comme à la guerre, non? Justement on l’avait oublié celle la! Très opportunément elle se rappelle à notre bon souvenir, sous la forme d’une intervention tonitruante de la Luftwaffe, ravie d’avoir retrouvé dans ses collimateurs les Renoux Brothers “, noyau dur de la défense élastique.” Les bombes commencent à tomber, ce qui excite le zèle d’une D.C.A miraculeusement sortie de sa réserve devant l’imminence de l’armistice. Courageuse, mais pas téméraire, l’hirondelle de Limoges s’est spontanément limogée. Disparue probablement dans un abri individuel assez large pour accueillir ses formes opulentes. Il va de soi, qu’en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, j’ai mis ma précieuse personne à couvert.
Le couvert en question est un monument entouré de fusains, construit en je-ne-sais-quoi, à la gloire de je-ne- sais-qui, mais situé je sais où: devant la gare de Limoges. Au petit bonheur je plongeais dans le massif de fusains, espérant que son vert feuillage me dissimulerait aux yeux de 1’ ennemi.
Quand je dis: “ au petit bonheur ~, c’était une formule particulièrement heureuse car je me trouvais nez à avec un de mes condisciples du collège de Soissons. Ce garçon était petit et s’appelait BONHEUR. Comme ça ne s’invente pas, je ne l’ai pas inventé. J’avoue qu’au collège, je ne l’avais pas trop fréquenté. Voyez le genre: fort en thème, fort en math, FORT EN TOUT. Sauf bien entendu en gym et en dessin. A l’évidence nous n avions pas la même culture, mais je ne suis pas raciste. La divine providence m’ayant sauvé deux fois la mise dans le quart d’heure précédent, j’accordais au petit BONHEUR un regard plein de mansuétude, ne pouvant lui tenir rigueur d’être tort en thème puisque cette infirmité n’est pas contagieuse.
D’autant que nous avions eu le même réflexe: plonger dans les fusains. C’était de sa part une preuve d’intelligence -J’en pris note - il avait fait des progrès en gym - J’en pris note. Pour la première fois nous étions ex-aequo. Je m’en réjouis car je ne suis pas sectaire. Allégée de ses bombes, sans doute dépitée de nous avoir une fois de plus ratés, la Luftwaffe était repartie vers ses bases.
OU NOUS VECUMES UNE SERIE DE COINCIDENCES EXTRAORDINAIRES. (Maurice RENOUX)
L’ARMISTICE était donc signé, j’étais à BORDEAUX sans nouvelles de ma femme et de mes enfants.
Le beau-frère de M. PETANGUE, qui tenait une droguerie, m’offrit l’hospitalité. On me trouva un lit cage que l’on installa dans un cabinet de rangement avec fenêtre. J’étais donc très bien, je prenais mes repas avec eux et comme ils ne voulaient pas m’indiquer un prix de pension, je m’arrangeais pour amener mon écot en achetant ceci ou cela pour tout le monde.
Un jour, vers midi, nous attendions le retour de Mme et M. PETANGUE, qui étaient allés faire des courses. Comme ils tardaient beaucoup, mes hôtes dirent “Tant pis, nous allons commencer à manger” Enfin, les retardataires arrivèrent, mon collègue me tendit une lettre, ”Connaissez-vous cette écriture? “- “ C’est l’écriture de ma femme! !“. D’ailleurs, au, dos elle avait mentionné sur l’enveloppe: Mme A.RENOUX, receveuse des P.T.T, repliée à la Direction Générale de RENNES. Cette lettre ne m’était pas adressée!!, (Andrée ne connaissait pas mon adresse). Cette lettre était adressée à Mme CARRE (Carré), à ANGOULEME.
Je savais qui était Mme CARRE, elle avait été receveuse des Postes à LONGPONT avant Andrée, elle nous avait même rendu visite.
Je pris donc connaissance de cette lettre.
J’appris que partant de LAVAL, où elle était réfugiée, elle devait avec Janine rejoindre ANGOULEME. Le train qui les amenait à RENNES avait été bombardé et mitraillé par les Allemands. Ma femme et ma fille se trouvèrent séparées, l’une se sauvant à droite de la ligne de chemin de fer, l’autre à gauche. Elles ne se retrouvèrent que trois mois plus tard!!!.
Je demandais à mon collègue comment il avait pu entrer en possession de cette lettre qui ne m’était pas destinée.
Il me raconta ceci: ”Nous marchions, ma femme et moi, sur une des grandes avenues de BORDEAUX, quand, une Division de blindés allemands défila, se dirigeant vers le SUD, 1’ESPAGNE probablement. J’aperçus une voiture en stationnement, immatriculée dans la MANCHE, je demandais donc au conducteur dans quel état il avait quitté la ville de CHERBOURG, dont il me dit être originaire, (l’état des ponts, des villes etc.)”. Le conducteur lui donna des détails, dit qu’ils avaient traversé POITIERS, ANGOULEME, puis il s’écria, ”J’avais une lettre à poster pour ANGOULEME! J’ai oublié de le faire, pourriez vous la poster à ma place??”. C’est ainsi que M. PETANGUE prit la lettre. Il l’a mit dans sa poche avec l’intention de la poster, quand la circulation aura été rétablie. Devant la Poste il dit à sa femme “Il faut que je poste la lettre”. Il allait la glisser dans la boite quant il aperçut au verso le nom de Mme A.RENOUX etc. etc. Il dit alors “La femme de M. RENOUX est bien receveuse des Postes? Cette lettre parait bien être de sa part. Nous allons bien voir, il verra bien si c’est l’écriture de sa femme”.
C’est ainsi que j’ai eu des nouvelles de ma femme. Aussitôt, je partis à la Poste pour envoyer la lettre en question à Mme CARRE, sa destinataire, je lui racontais comment cette lettre m’était parvenue. Je télégraphiais à Lucette qui était à MONTFAUCON sur LOT avec ses deux frères. J’expliquais à l’employée du guichet cette aventure, ”Madame, pardonnez-moi cette exaltation mais je suis bouleversé par ce qui m’arrive, c’est tellement extraordinaire! !! ”.
J’écrivis aussitôt à ma femme, en utilisant l’adresse qu’elle avait mise au verso de l’enveloppe (adresse provisoire puisque son ordre de mission pour ANGOULEME n’était plus valable, et qu’elle devait retourner dans l’AISNE)
LETTRE QUE MADAME CARRE A ECRITE À ANDREE, FAISANT ALLUSION A LA FAMEUSE LETTRE RECUE PAR HASARD!
Angoulême le 12 Juillet 1940.
Bien chère Madame,
Suis navrée d’apprendre que vous n’avez pu encore joindre votre jeune fille. Quel dommage que son séjour à VANNES ne soit pas prolongé. Peut-être tente-t-elle de venir jusqu’à Angoulême ou bien retourner dans la Mayenne ! C’est désolant!! Soyez assurée, au cas où elle arriverai ici, que l’aide la meilleure lui serait apportée. Les P.T.T de l’Aisne sont toujours là ! Aucune nouvelle pour le retour. Les DELBOEUFS sont sans nouvelle de leur soldat. Mme DOLLÉ repliée à Tarbes. Vous enverrez un mot pour indiquer le départ d’Angoulême de la Colonie de l’Aisne. Quoi qu’il en soit, le Directeur n’est jamais arrivé jusqu’ici, non plus que nombre d’employés, lesquels se trouvaient égarés un peu partout.
Ici, le personnel de Château-Thierry, parmi lesquels des amis à moi, que j’ai pu héberger, certains ont fait le trajet Château-Thierry, Angoulême en vélo. Que de tribulations pour tous. Ne me remerciez pas, Chère Madame, d’avoir fait si peu de choses (que de vous communiquer une adresse). Tant mieux que grâce au hasard, votre première lettre qui m’était adressée, soit miraculeusement passée dans les mains de votre mari, ayant, ainsi servi à renouer le fil familial, etc. etc., j’ai eu la joie de relier une autre famille des P.T.T du Loiret, etc., etc.
Signé Madame CARRÉ
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Maurice RENOUX 76 rue P.L. LANDE BORDEAUX
A Luce TOUX et ses frères
Sanatorium des PTT Montfaucon Lot
Bordeaux le 2 Juillet 1940
Mes chers petits,
Je suis inquiet sur Janine, Madame CARRE vient de me répondre qu’elle ne l’avait pas vu à ANGOULEMES, alors que les familles Dollé, Wargnier, et Deboeuf y sont bien arrivées. Votre maman qui est, je le pense, toujours à RENNES, à la Direction Régionale, doit se faire un mauvais sang terrible.
Ne manquez pas de m’écrire dès que cela vous sera possible car depuis la carte de Lucette du 26 juin je n’ai rien reçu.
Je recommande à Pierre et à Claude d’être gentils et bien obéissants avec Lucette et de chercher à s’occuper et à servir.
Amitiés à Gaston et à vous trois, mille affectueux baisers de votre papa.
Maurice RENOUX
Lettre de Maurice RENOUX à Luce TOUX et à ses fils (lettre de Bordeaux)
Monsieur Maurice RENOUX Bordeaux le 4 Juillet 1940
76 rue P.L Lande
Bordeaux
A Mademoiselle Luce TOUX
Sanatorium des PTT
Montfaucon Lot
Je suis toujours très inquiet sur le sort de Janine dont je ne sais toujours rien. De votre maman rien de plus, je lui écris à RENNES, mais la liaison postale ne doit pas être encore rétablie. Quel mauvais sang elle doit se faire ! J’ai bien reçu hier votre lettre. Je suis content que vous soyez à l’abri, aussi mal que vous puissiez être, cela vaut mieux que les bois. J’ai reçu hier également une lettre de Tante Berthe qui était inquiète sur votre sort mais entre-temps je lui avais adressé un télégramme qui a du la rassurer pour vous mais bien l’angoisser sur Janine. Mémère Marguerite est à Villiers et mes frères Félix et Emile sont à Clermont Ferrand avec leur famille (sauf Ginette qui est à Vichy ; Simone dont on est sans nouvelle ainsi que Madame Astier qui a du rester à Paris)
Vous devriez écrire à ces deux endroits : Villiers et Clermont-Ferrand ainsi qu’à Rennes et Saint Berthevin à tout hasard, peut-être qu’un service sera en avance sur une autre région. J’ai même écrit à Longpont au cas où votre maman y serait envoyée avant que le trafic soit repris par ici
En ce qui vous concerne, je vous confirme qu’il faut rester où vous êtes, ce n’est pas le moment de remonter où vous étiez. Tachez de faire le plus économiquement possible car je ne suis pas payé maintenant avant fin Septembre ! Et d’ici là, il se passera encore bien des évènements du train où ça va ! Inquiétez vous de savoir quel est le collège le plus près pour tacher d’y aller comme internes à la reprise. J’aime mieux vous voir par là : l’air est meilleur !
Je remercie beaucoup Gaston et Lulu de s’occuper de vous et de votre part soyez disciplinés et ordonnés. Je serai encore bien plus fier de vous si vous tenez compte de mes conseils. Dès que je saurais quelque chose au sujet de mon départ, je vous en aviserais ainsi que Clermont et Villiers : de même en ce qui concerne votre maman, il faut en faire de même de votre coté. De cette façon nous triplerons les chances d’être renseignés, et faites comme moi, 20% d’économie de timbre.
Vous connaissez ma façon de penser, elle n’a pas variée et bien des choses me font énormément souffrir en dehors de la séparation et du manque de nouvelles, mais vous, faites attention à vos propos et mettez « un bœuf sur la langue »
Bons et affectueux à tous de votre papa
Maurice RENOUX
Lettre de Marguerite HENAULT et Berthe GEORGET à Luce TOUX
Villiers le 4 Juillet 1940
Mon cher petit,
Aujourd’hui seulement je t’écris te sachant avec tes frères, cela nous tranquillise car depuis leur départ de chez Berthe nous ne vivions plus, nous demandant chaque jour ce qu’ils étaient devenus. Nous regrettions de les avoir laissé partir ; enfin ils sont en lieu sûr, mais comment fais-tu ? Je voulais t’envoyer un peu d’argent, nous ne le pouvons pas (la poste n’accepte pas les mandats, et je me demande comment nous allons faire. Nous avons reçu un télégramme de ton petit père qui est à Bordeaux, nous mettant au courant de la situation. Ta maman est à Rennes, elle a quitté Laval avec Janine et moi, je suis chez Berthe, attendant les évènements. Ton oncle, ta Tante, tes cousines doivent être à Clermont Ferrand. C’est te dite que toute la famille est dispersée. Il y a déjà longtemps que tu as écrit, fais le pour nous rassurer et nous dire comment tu fais pour y arriver ? Ta tante veut t’écrire. Je fini donc ma lettre pour lui laisser la place et je t’embrasse bien, bien fort comme je t’aime. Ta mémère qui ne cesse de penser à toi.
Marguerite
Ma chère Lulu,
Que d’ennuis depuis ta dernière lettre, l’arrivée de la Grand-mère le 16 Juin, celle de Pierre et Claude le lendemain, leur départ précipité le 19, tout cela pour arriver à quoi ? À tomber sur ce qu’ils voulaient éviter. Le jour de leur départ nous avons couché dans la cave de la classe avec Monsieur Villedieu, Colette et ses grand-père et grand-mère. Colette a trouvé que c’était joli d’être tous ensemble, elle aurait voulu recommencer, le lendemain Jeudi à notre rentrée dans notre maison les « 1ers éléments » ont fait leur entrée dans le bourg. J’ai eu l’honneur la première de leur donner des renseignements. J’étais très, très calme, il n’y a absolument rien eu, tes frères auraient resté ici ils auraient mieux fait, c’était pour eux comme pour les autres, rien, rien. A Mézières, il y a eu bataille. Lucienne et ses enfants, et tout le monde du reste, est indemne. Comment fais tu ? Je me le demande, Quelle idée d’aller te ret