Nos enfants ont du mal à imaginer une époque pas si lointaine, où le moindre voyage était une aventure expéditionnaire. Dans les années 50 nous partions généralement en train mais je me souviens très bien des premiers grands départs en voiture. Le jour dit, toute la famille se mettait en ordre de marche, mes grands-parents à l’avant de la 4 Cv et les trois enfants derrière. Entre Jean-Claude (mon frère aîné) et moi il y avait Luc, le benjamin, dans sa caisse d’Omo, en guise de berceau, une partie des valises solidement fixées sur la galerie du toit, le reste dans la « cinquième roue », sorte de remorque équipée d’une seule roue au centre et attelée de manière rigide au pare-chocs de la voiture. Quant à mes parents, ils suivaient sur la Vespa. Je ne sais combien de voyages avons nous fait dans ses conditions, mais lorsque quarante ans plus tard, j’ai découvert un modèle réduit de 4 Cv au 1/14ème avec cette fameuse « cinquième roue », je n’ai pas hésité à l’acquérir et à l’exposer sur une étagère de la bibliothèque.
Plus tard, au début des années soixante, lorsque la famille s’est établie temporairement en Lozère, nous partions chaque été pour Puget-Théniers, mon village natal, aux confins de la Provence et du comté de Nice dans la vallée du Var. Le trajet était une véritable expédition, dont la première épreuve était la traversée des Cévennes suivie de la descente sur la vallée du RHÔNE, ensuite nous devions rallier NICE par les nationales puis Puget. Désormais, c’était nos parents qui se trouvaient à l’avant de la voiture, une Dyna Panhard, avec mes frères nous étions entassés à l’arrière sur la banquette en Skaï véritable, en principe Luc était callé entre ses aînés, mais généralement il était aussi le premier à vomir, et nous rechignions à lui laisser la place près de la portière. Mes parents avaient tenté de faire suivre une cuvette, mais la solution n’était pas géniale et ils finissaient par préférer s’arrêter chaque fois qu’un haut de cœur annonçait un jet de vomi de l’un d’entre nous, car nous étions parfaitement organisés, dès de Luc allait mieux, Jean-Claude et moi prenions le relais l’un après l’autre, et ainsi de suite, cela durait tout le voyage. Pour éviter le contact avec le plastique de la banquette, mon père avait installé des plaids à l’aide d’une multitude de sandows ultra fins, peine perdue, après quelques kilomètres, la couverture glissait et venait aggraver notre inconfort. Pour nous changer les idées mon père organisait des jeux basés sur notre connaissance des panneaux routiers Nous devions aussi ânonner « Beu et A BA, Beu et É BÉ, BABÉ, Beu et I BI, BABEBI etc. » histoire d’apprendre l’alphabet à LUC. Il ne fallait pas compter sur l’autoradio pour nous distraire, nous n’avions pas ce summum du luxe, mon père avait bien essayé de mettre le transistor dans la voiture mais sans antenne extérieure le résultat n’était pas très glorieux. Il crut le problème résolu quant il acheta une ID 19, car comme le toit était en plastique, il était dit que les radios y fonctionnaient sans antenne, ce qui était vrai, à un détail prêt, il fallait orienter le poste en fonction de l’émetteur, ce qui fait qu’à chaque virage ma mère devait corriger l’orientation. Il fallut renoncer aux joies d’écouter Radio Monte CARLO et retourner à nos rengaines.
Pour être honnête nous n’étions pas les seuls à souffrir du voyage, la voiture y allait aussi de ses petits bobos lorsque le pot d’échappement cédait au charme d’un nid de poule, ou qu’une chambre à air s’éprenait d’un magnifique clou oublié sur la chaussée quant il ne s’agissait pas de la batterie qui refusait de donner du jus à la bobine. Un honnête garagiste, nous rassurait aussitôt en nous certifiant que ce n’était pas grave, il fallait juste changer cette fameuse batterie pourtant récente. Nous repartions plus léger de quelques centaines de francs pour retomber en panne cent kilomètres plus loin. Un autre garagiste, goguenard celui là, nous expliquait qu’en fait c’était le fil de l’alternateur qui était débranché et que notre ancienne batterie serait certainement revendue comme neuve à autre pigeon.
Mon père jurait d’aller parler du pays à l’indélicat mécano sur le chemin du retour, mais comme nous changions d’itinéraire chaque fois, cela restait lettre morte.
Il me parait utile de préciser qu’à cette époque, on voyageait par les « nationales » qui aujourd’hui, feraient honte à nos départementales. Les rocades, les itinéraires bis, les voies de contournement, c’étaient encore du domaine du rêve, Il fallait traverser chaque ville et jusqu’au moindre petits village figurant sur la carte. Nous avions droit à tous les bouchons, Alès, Nîmes, Beaucaire, Aix en Provence, et les plus terribles d’entre eux, Le Luc et Vidauban avant d’atteindre le NIRVANA, la Félicité des automobilistes et de leurs passagers, j’ai nommé « L’AUTOROUTE », soixante kilomètres d’une deux fois deux voies au travers des massifs des Maures et de l’Estérel où nous avions l’occasion de rouler à la vitesse vertigineuse de 100, voir de 110 km / heure et même 120 lorsque nous avons eu l’ID 19 (mais uniquement pour doubler). Une fois rendus à NICE, nous bénéficions encore d’un répit grâce aux longues lignes droites des Lingostières et de la vallée jusqu’à Saint MARTIN du VAR avant de retrouver la route étroite et sinueuse qui menait à PUGET où nous arrivions passablement malades et épuisés. Vive les vacances.