Les secrets des ruelles.

 
Quand quelques loups ont accepté de se faire domestiquer pour devenir des chiens, ils ont transmis à ceux-ci le sens du flair, qui en ont fait des chasseurs sans pareil. Quand j’étais un tout jeune loup, j’étais moi-même très sensible aux odeurs, en particulier à celles qui parcouraient les ruelles de mon village dans le Mercantour. Elles étaient notre terrain de jeux, nous pouvions passer de l’une à l’autre en empruntant les passages (presque secrets) qui se trouvaient dans certaines maisons, ce qui pimentait encore plus le décor à « l’Italienne » avec le linge qui pendait aux fenêtres, l’odeur du pain chaud provenant du four à bois des boulangers où les femmes du village, les jours de fête, venaient porter leurs plats à cuire, gigots, tartes, farcis, etc. profitant du feu de la fournée.
C’était le village aux milles parfums, celui du vin près de la cave de mon oncle JEANNOT, celui de la laine chez le matelassier qui cardait en pleine rue. Il y avait aussi celui des épiceries, du bourrelier, et des copeaux de « la grande Eugène » le menuisier homosexuel qui confectionnait ses cercueils devant son atelier. Dès l’annonce d’un trépas, il sortait ses quatre planches afin de confectionner « la boîte » en quelques heures.
Parfois résonnait dans les rues la corne du « garde » à la jambe de bois avant que ne retentisse son « Avisssse à la population » nous informant de la présence d’un cirque ou du titre du film projeté au cinéma.  Ah ce cinéma de PUGET !!!!!, on y projetait des films en « avant dernière » quasiment que du Noir et Blanc d’avant guerre. Nul besoin d’entracte, le projectionniste qui ne disposait que d’un seul projecteur, était obligé de faire une pause à chaque changement de bobine, ça prenait bien une dizaine de minutes. Il arrivait parfois que le film casse, très difficile dans ces conditions de suivre l’histoire, d’autant que les « grands » n’arrêtaient pas de profiter du « noir » pour embêter des filles faussement scandalisées par les ardeurs des jeunes males pré pubères.
Notre garde, annonçait aussi les enterrements, nous informait des arrêtés du maire ou du très attendu grand nettoyage des rues qui avait lieu régulièrement. Pour se faire tout un système d’écluses et de planches était mis en place, les employés communaux se rendaient à la BULLIÈRE, immense lavoir situé en haut du village, alimenté par l’eau de La ROUDOULE captée  plusieurs centaines de mètres en amont et acheminée par un canal qui servait aussi à l’irrigation des jardins potagers. L’ouverture d’une vanne libérait les flots dans les ruelles, guidée à chaque intersection par des planches l’eau les parcourait les unes après les autres. Chaque habitant sortait et nettoyait devant sa porte, cherchant surtout à éliminer les crottes de chien et les pipis de chat qui s’en allaient au gré du courant jusqu’à un vaste pluvial situé devant la fontaine de la place de l’hôtel « Coste ». Les eaux usées alors étaient rendues à la ROUDOULE. Un dispositif identique fonctionnait sur l’autre rive où nous ne manquions pas de nous rendre pour patauger dans l’eau, attendant le passage des éclusiers, armés de leur lave-pont, qui terminaient le nettoyage.
Parmi les évènements qui venaient égayer la vie du village, il y avait les baptêmes. Tous les enfants de PUGET étaient associés à la fête, dès la sortie de la messe, nous crions une phrase en niçois dont je ne me souviens plus mais qui signifiait que le parrain serait un gros radin s’il n’offrait pas quelque chose aux gamins du village.
En prévision de quoi, la famille avait accumulé les jours précédents toutes les piécettes de quelques centimes, qu’elle pouvait trouver dans ses tiroirs et chez les commerçants de PUGET. Sur le chemin du retour puis ensuite de la fenêtre de la maison, le parrain lançait les pièces par poignées avec des dragées. S’il était généreux, il prenait soin d’ajouter aux centimes quelques pièces de un franc, ceux qui les ramassaient avaient gagné le gros lot.



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